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Et si, après 1945, l'Empire français avait changé de centre de gravité, le pouvoir passant de la «petite France» hexagonale à ses colonies ? Et si Suzanne Césaire, succédant à son mari, Aimé, présidait cette Union française d'un nouveau genre ? En avril 1946, l'Assemblée nationale constituante adopte la loi Lamine Guèye, qui attribue la citoyenneté française à tous les ressortissants de l'Empire. Dans ce roman, Sylvain Pattieu imagine qu'elle a été véritablement appliquée. Presque quinze ans après, la jeune Marie-des-Neiges quitte Dakar, ses parents, sa chère professeure Maryse Condé et rejoint, avec son enfant, Aix-en-Provence, ville où elle ne cesse d'éprouver son désir de liberté. Mais la nouvelle Union française à laquelle elle croit, avec ses camarades, est menacée par des séditieux nostalgiques de l'ordre ancien. Entre Ange, le bandit corse, et Kathy, l'étudiante américaine, Marie-des-Neiges vogue, tangue et cherche sa place dans ce monde ébranlé. Roman d'apprentissage porté par un grand souffle d'écriture, Une vie qui se cabre se saisit des enjeux postcoloniaux et nous embarque dans la destinée d'une femme propulsée dans les soubresauts de l'histoire.
Une uchronie est un genre littéraire particulier qui repose sur la réécriture de l’Histoire en partant d’éléments réels. Ce roman est une uchronie qui part d’une loi adoptée en 1946 par l’Assemblée nationale et qui attribue la citoyenneté française à tous les ressortissants de l’Empire. Sylvain Pattieu imagine dans ce roman que cette loi a été appliquée.
Nous allons suivre la jeune Marie -Des -Neiges, de son Dakar natal à Aix-en -Provence. Elle va devenir une étudiante studieuse et côtoyer une américaine et un bandit dont elle tombera dans les filets.
Ce roman d’apprentissage jongle entre l’hexagone et ses colonies, nous raconte les enjeux politiques et coloniaux d’après-guerre, à travers les yeux d’une jeune fille de couleur en plein apprentissage de la vie.
Ce roman nous plonge dans une histoire fictive qui aurait pu être possible, avec des « si » …
L’histoire est addictive, les personnages plus vrais que nature, attachants ; elle nous offre une nouvelle vision des peuples colonisés.
Un roman politique et initiatique où l’auteur, agrégé et docteur en histoire, prend plaisir à refaire le monde en donnant de la place aux oubliés.
En avril 1946, notre Assemblée nationale adopte la loi Lamine Gueye – du nom de ce député du département du Sénégal à cette Assemblée – attribuant la citoyenneté française à tous les ressortissants de l’Empire, mettant fin au code de l’indigénat. Sylvain Pattieu imagine que cette loi a été véritablement appliquée et déroule son uchronie (récit d’évènements fictifs à partir d’un point de départ historique) : Aimé Césaire est élu président de l’ensemble France et colonies, Algérie comprise, qui devient l’Union française. Le président Césaire négocie avec Ho Chi Minh, évitant une guerre. Mais il est assassiné et c’est sa femme Suzanne qui, une fois élue, doit poursuivre son action. « Nous sommes gouvernés par une poétesse après l’avoir été par un poète, avouez qu’il y a pire destin pour un peuple. »
Cette loi historique, sert de toile de fond à un récit romantique autour du personnage attachant de Marie-des-neiges, une jeune femme que l’on va suivre tout au long d’un récit superbement construit. Une partie est consacrée à son départ du Sénégal, puis une autre à son installation à Aix-en-Provence : les cours, le groupe d’amis de toutes nationalités, leurs débats puis la violence encore qui rebat les cartes... Lakhdar est le discret, il écoute, « il s’emmêle de trop penser et de ne pas souvent dire. » ; à l’opposé Marie-Augustias aime le conflit, Joseph a le sens de l’organisation, il voudrait être un chef ; Robert et Kathy papillonnent… Le texte est vite addictif sous l’effet des images fortes et d’un romanesque efficace.
Reflet d’une époque d’après guerre tournée vers la reconstruction, l’heure est aux revendications, au collectif. Les forces communistes et religieuses sont influentes. On retrouve ces tendances dans la famille de Marie-des-Neiges et ses amis quand elle débarque pour ses études à Aix en Provence une quinzaine d’années après la création de l’Union française. L’auteur a l’art des noms, il les explique notamment à travers celui de la voisine de Marie, cette sympathique Michèle Michel (superbe page quand elle se présente à la jeune femme…) qui se fait une joie d’aider la jeune fille tout juste arrivée de Dakar avec un enfant en bas âge. Mais la nouvelle Union française à laquelle elle croit, avec ses amis, est menacée par des séditieux nostalgiques de l’ordre ancien, des groupes royalistes cherchant l’affrontement et des nervis mafieux agissant dans l’ombre.. Entre Ange le nervi corse et Kathy l’étudiante américaine, Marie-des-Neiges se grise de liberté et cherche sa place dans ce monde en construction. Des pages superbes : la longue explication de l’origine du curieux prénom Marie-des-Neiges, adjonction insolite « des-Neiges » à Marie lié à la religion de sa mère très pieuse (son père est syndicaliste et athée…). Pages simples et convaincantes des amours entre Marie et Ange et aussi entre la même Marie et Kathy l’américaine, l’écriture rendant grâce à la beauté, la vérité et le mystère de ces moments.
L’uchronie permet de mettre en avant des dirigeants africains et antillais méconnus : Modibo Keita, Soundiata Keita, Blaise Diagne, Thomas Sankara et des écrivains et poètes, Franz Fanon, Claude McKay avec un magnifique texte de Césaire (pages 202, 203) et le discours de Suzanne Césaire (page 236). Les placer en tant qu'élite et dirigeants de la France n’est pas une petite affaire, leur donne la place qu’ils n’ont pas eu dans les livres d’histoire. Cela change le regard sur ces hommes et femmes des colonies françaises et il faut parfois faire une petite recherche pour en savoir plus (ce n'est pas un livre d'histoire ni un roman historique). Je retrouve ici une démarche proche de celle d’Eric Vuillard (14 juillet, Tristesse de la terre...). Les deux auteurs renouvellent la forme du récit historique redonnant la parole aux petites gens, aux perdants en passe d’être oubliés. Ce n’est pas le récit officiel habituel, il aide à entendre toutes les voix, la vérité peut ainsi mieux trouver son chemin.
La fiction donne la possibilité de saisir les enjeux post-coloniaux et nous embarque dans la destinée d’une femme en prise avec les soubresauts de l’histoire. L’ensemble forme un superbe roman d’amour et de tolérance, un cantique à la fraternité quelle que soit l’origine, la couleur de peau ou la religion. Lecture vertigineuse se terminant dans le paléolithique lorsque Marie devenue anthropologue s’émerveille de la beauté des œuvres préhistoriques, celle de nos origines communes, qu’elle découvre avec son équipe dans une grotte du Vercors.
Beaucoup de style, un belle écriture inventive (Marseille est collineuse...), des poèmes intercalés, l’humour et de la légèreté aussi… Ses mots sont la mémoire d’un temps passé proche empli de rêves de fraternité et de progrès universels. Et je vous garantis que vous n'oublierez pas de sitôt Marie-des-Neiges ! Une vie qui se cabre est un des très beaux romans lus dans le cadre de la sélection pour le prix Orange du livre 2024 auquel j'ai l'honneur de participer.
Une vie qui se cabre est l’histoire de l’Empire français revisitée dans lequel s’insère la France « le petit hexagone » et les colonies. Les Africains sont au pouvoir, le couple Césaire notamment ou Diouf fils qui rachetera l’OM et sera maire de Marseille.
Le livre est découpé en 7 tranches de vie avec autant de lieux de Dakar au Vercors en passant par Aix, Marseille et la Corse ; Marie a un prénom insolite avec l’adjonction « des Neiges ».
Marie admire ses parents, deux références dans un couple disparate, lui cheminot marxiste, elle, chrétienne fervente mais militante pour le droit des femmes et contre la polygamie et les mariages forcés.
Ces débats qu’elle a connu enfant seront un fil conducteur toute sa vie avec ses amis ou ses amants. Ses parents craignaient son départ mais son éducation l’avait préparée pour intégrer l’Ecole Nationale Instituteur. Elle découvre le racisme de l’Action Française et est surprise par l’évolution du fils d’un camarade de combat de son père qui veut s’enrichir et prendre le pouvoir aux Blancs.
Avec l’aide de sa vieille voisine qui garde son fils, elle s’intègre dans un groupe d’étudiants à majorité noire. Certains comme son père privilégient le combat au vote. Elle va rencontrer le désir sous des formes inattendues avec Kathy, jeune américain et Ange, nervi, briseur de grève et de piquets de dockers.
Marie poursuit ses études à la fac d’histoire qui correspond à son tempérament de chercheuse et d’intellectuelle. Les Césaire se battent pour l’égalité et contre l’injustice. Mais transformer un empire colonial en démocratie n’est pas une sinécure. Les chemins de l’émancipation ne sont pas un long fleuve tranquille. Certains sont déçus par l’Afrique comme son amie Maryse, qui la trouve trop pauvre et idéalisée.
La fierté de Marie est de ne pas avoir galvaudé les valeurs de ses parents et d’avoir mené une vie qui se cabre avec des trajectoires belles et imprévisibles.
Sylvain Pattieu offre un livre d’une densité incroyable où chaque ligne compte. Tout est millimétré, les odeurs et couleurs à Dakar, le parler marseillais.
On baigne dans l’évolution des générations avec des personnages tous particulièrement attachants.
La petite histoire se conjugue avec facilité dans la grande.
Une vie qui se cabre est roman passionnant et original, dystopique, riche en réflexions sur le racisme, la colonisation et les rapports hommes-femmes. A découvrir absolument.
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Votre chronique est très belle et reflète parfaitement ce très beau roman !