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Pourquoi un homme politique extrémiste consacre-t-il sept cents pages à développer des théories perverses et fumeuses dans une langue à peu près inaccessible au commun des mortels ? Pourquoi ce style confus, cette accumulation d'adverbes, de conjonctions douteuses, ces glissements sémantiques, ces syllogismes, ces dérapages du cheminement déductif ? Est-ce de l'incapacité ? Ou bien une méthode ?
Si certains se demandent à quoi bon sortir de l'oubli ce brûlot de haine, Olivier Mannoni, qui a consacré dix ans à la retraduction de Mein Kampf, leur répond. Outre les tempêtes suscitées par la parution d' Historiciser le mal, il raconte ici la lutte au corps à corps avec une prose lourde et pernicieuse et les incidences plus personnelles de ce compagnonnage forcé. Face à une actualité où les démons semblent renaître, Olivier Mannoni nous alerte sur le pouvoir du discours tronqué, trompeur et d'autant plus efficace qu'il est simpliste.
Né en 1960, Olivier Mannoni est traducteur de l'allemand, spécialisé dans les textes sur le IIIe Reich. Récipiendaire du prix Eugen-Helmlé, il a fondé l'École de traduction littéraire et présidé l'Association des traducteurs littéraires de France. Il est aussi critique littéraire et biographe.
"Apprendre l'Allemand (...), c'était être tôt ou tard, volontairement ou malgré soi, confronté aux souvenirs du nazisme."
Dans ce court mais intense récit, Olivier Mannoni revient sur son expérience singulière de traducteur de "Mein Kampf" ; on se souvient sans doute des débats enfiévrés qui ont suivi l'annonce du projet autour d'une prose qui sent le soufre, la haine et la mort. Au cours de ses années d'exercice, le traducteur s'était déjà frotté aux textes de certains dignitaires ou sympathisants du régime nazi qui constituent pour les historiens des sources documentaires nécessaires. Exercice douloureux qui atteint bien sûr ici son paroxysme. L'auteur raconte donc la genèse du projet, l'équipe d'historiens chargés d'encadrer et d'expliciter le texte comme autant de balises jusqu'au titre de l'ouvrage "Historiser le mal" qui montre ainsi qu'il ne s'agit pas d'une simple traduction le texte initial étant noyé sous les notes et les commentaires.
"Non, traduire Hitler, Goebbels, Himmler, Rosenberg et les autres ce n'est pas traduire de l'allemand. C'est traduire une langue forgée pour et par un totalitarisme meurtrier, une langue destinée à faire peur (...). Une langue faite pour tromper, mentir et, nous allons le voir, abrutir"
Mais l'intérêt de son témoignage réside dans son aptitude à se confronter aux mots et à leur sens parfois multiple, notamment dans la langue allemande comme il l'explique très bien. Il plaide avec talent pour la mise au jour, l'explication qui mène à la compréhension grâce à l'analyse fine de la langue, de la syntaxe, du vocabulaire, de la mécanique... cette même analyse qui permet ensuite de retrouver ailleurs, dans d'autres discours bien plus proches de nous les ingrédients identifiés chez les promoteurs de haine. C'est effroyable et fascinant. C'est aussi un témoignage rare et fort de ce que représente réellement le métier de traducteur, bien loin de l'exercice de transposition d'une langue à une autre. Les mots prennent ici toute leur dimension.
"Parce qu'il permet le dialogue et la prise de décision commune, le langage est la force de la démocratie. Que ce langage soit perverti, et c'est la démocratie elle-même qui se distord, s'atrophie et perd sa raison d'être."
Quand il se lance en 2011 dans ce travail dantesque de traduction de Mein Kampf, écrit en 1924, Dominique Mannoni ne se doute pas de l’opprobre qu’il va s’attirer au sein des milieux intellectuels, durant les 9 ans que durera cette entreprise.
Dans cet essai, il soulève des interrogations passionnantes, comme celle d’adapter ou non le texte à la langue et à la compréhension du lecteur français. Car cet essai d’Hitler est tellement simpliste et confus que le traducteur hésite entre retrouver le propos lisible derrière le verbiage ou laisser telle quelle, la parole alambiquée et dévoyée du futur dictateur. C’est l’éditeur Fayard qui tranchera.
Viennent ensuite les détracteurs qui l’accusent de remettre en avant, alors qu’il semblait être tombé dans l’oubli, un ouvrage nocif, symbole de la doctrine nazie. Mais qui sont les lecteurs susceptibles d’être convaincus par ce « bourbier verbal » ?
L’auteur, traducteur d’une quarantaine d’études et de témoignages historiques, analyse également la linguistique nazie qui, en usant d’allusions confuses et de répétitions obsessionnelles, détourne la langue allemande.
Dans la dernière partie de son ouvrage, il examine tout ce qui, dans le discours de l’extrême droite contemporaine et dans les tendances complotistes, est inspiré du livre d’Hitler. Car on sait aujourd’hui où conduit la banalisation d’une parole haineuse et raciste et c’est glaçant.
Débattant de tous ces dilemmes et de sa façon de les appréhender, Olivier Mannoni, nous éclaire, avec ce court essai, sur l’importance de cette nouvelle traduction du livre fondateur du nazisme. Il détaille l’apport essentiel que représente, pour les générations actuelles et à venir, l’étude Historiciser le mal qu’en ont fait les historiens, en développant pour chaque chapitre, une analyse critique et une déconstruction scientifique de Mein Kampf.
Alors à la question « Fallait-il traduire Hitler ? » la réponse est oui, absolument oui et je n’ai pas le moindre doute que cet essai vous en persuadera.
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