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L'enfance de Joseph Esperandieu dans un village d'Ile-de-France des années 1960 nous projette à l'intérieur d'un monde où se télescopent l'attelage de chevaux du Père Boulard et les premières files d'automobiles du dimanche soir.
Une France à la fois lointaine et proche. Un passé encore vivace dans bien des mémoires. Les couleurs pastel de la nostalgie.
Je suis admirative de la précocité des stratégies de défense mises en place par ce petit bonhomme, pour combattre les humiliations insupportables qui lui sont infligées... il s’agissait bien entendu de survie, mais cet enfant aurait pu être détruit et au contraire de cette souffrance, il a développé un vrai humanisme, une vraie attention aux autres... une maturité précoce.
On en arrive aussi à cette évidente conclusion qu’il est important de percevoir combien notre propre bonheur est lié à celui des autres et qu’il n’existe pas de bonheur individuel totalement indépendant d’autrui...
Quant à la forme, c’est un livre qui se dévore et magnifiquement écrit... la convergence du voyage vers Prague et du voyage dans les souvenirs, pour terminer sur l’apaisement du tableau, une belle construction...
J’ai envie de faire référence (parce qu’on est dans l’ambiance) à la conclusion de Kafka dans sa « lettre au père » (que je m’étais procurée à Prague), lui aussi victime de maltraitances : « les choses ne peuvent pas s’assembler dans la réalité comme les preuves dans ma lettre, la vie est plus qu’un jeu de patience, mais avec le correctif apporté par mon objection, il me semble qu’on arrive à un résultat approchant d’assez près la vérité pour nous apaiser un peu et nous rendre à tous les deux la vie et la mort plus faciles »...
Au cours d'une nuit de voyage vers Prague, Joseph Espérandieu, un pianiste célèbre, convoque les souvenirs de son enfance déchirée. L'internement de sa mère, l'absence du père et le placement dans une famille d'accueil : chez sa tante qu'il surnomme "Sournoise" et son oncle Roland. Une enfance de dénuement et de solitude où les humiliations et les violences physiques mais surtout affectives et mentales sont le lot quotidien. Comment, dans ces conditions, un enfant crée-t-il la force qui lui sert non seulement à résister mais surtout à se construire une personnalité marquée par la beauté et la générosité ? Joseph Espérandieu ne se satisfait pas du déni et cherche les rares et minuscules étincelles qui l'ont réchauffé et lui ont permis de garder l'espoir.
Il m'a empoigné le coeur, ce livre. J'y suis tombée toute entière comme on sait tomber seulement dans les cauchemars. Minéral de la dureté du silex et de la pureté du diamant, mais des deux jaillissent la chaleur et les miettes de lumière.
Et, paradoxalement, de cette âpreté sans concession naît une infinie douceur, le sentiment lumineux d'une victoire, plus belle d'en être fragile.
Grandir, vivre sans oublier mais sans se laisser entamer. Enfance en lambeaux et toute une vie à demander pardon. Se dissoudre jusqu'à l'effacement pour mieux renaître. N'empêche que de tout ce malheur, de ces malaimance et maltraitance, émerge une invincible force de vie. Un homme debout...
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