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Il était une fois, quelque part...
Souveraine de la Zone Trois, une contrée à la prospérité éclatante, tournée vers la sensibilité et les arts de l'esprit - mais dont l'hédonisme a cependant émoussé ses habitants - la reine Al-Ith reçoit un jour des Pourvoyeurs, ces entités supérieures qui régentent le destin de ces terres, l'Ordre d'épouser le roi de la Zone Quatre, un pays rude, grossier et belliqueux, dont le peuple vit dans la pauvreté en raison de guerres incessantes et voraces.
Ce mariage, ou plus précisément l'union charnelle des deux seigneurs, doit permettre l'épanouissement d'une existence neuve, meilleure, dans les deux Zones. Malgré leur hostilité initiale, malgré tout ce qui les sépare et la brutalité dont fait tout d'abord preuve ce roi élevé dans la certitude de sa supériorité intrinsèque, Al-Ith et Ben Ata vont finir par s'aimer - et le second par apprendre avec stupéfaction, dans les bras de son amante, les inestimables trésors que recèle une relation égalitaire entre les sexes.
Pourtant, alors qu'un fils naquit finalement de cette union, la reine Al-Ith est sommée de quitter la Zone Quatre pour retourner dans sa contrée d'origine, où elle est désormais une étrangère. Repoussée par ses pairs comme par son peuple, elle demandera à émigrer en Zone Deux, aussi supérieure à la Zone Trois que cette dernière l'est par rapport à la Zone Quatre. Ben Ata, pour sa part, recevra l'ordre d'épouser la souveraine de la Zone Cinq, un pays primitif dont les habitants sauvages vivent de pillage...
Allégorie subtile sur les rapports entre hommes et femmes, réflexion douce-amère sur les mystères du sexe et de l'amour, ode inoubliable à la féminité, mais aussi portrait en creux d'une lutte éternelle pour l'égalité qui toujours en appelle au meilleur de ses protagonistes, Les Mariages entre les Zones Trois, Quatre et Cinq forme l'une des pierres angulaires d'une série visionnaire qui s'est donné pour ambition, à travers une « fable puissante, narrativement audacieuse » (Hubert Prolongeau, Télérama), de disséquer les secrets de l'humanité. Le tout au fil d'une plume grandiose, travaillée avec une évidente maestria.
Lorsqu'Al·Ith, reine de la Zone Trois, est informée par les Pourvoyeurs de son mariage prochain avec Ben Ata, souverain de la Zone Quatre, elle s'enferme dans son palais pour ruminer. Ben Ata n'en mène pas large non plus, il n'a, lui non plus, aucune envie d'épouser une inconnue. Un mal étrange préside à leur union : les animaux et les hommes de leurs zones respectives sont en détresse, ils n'enfantent plus. Réunis, les deux souverains vont tenter de trouver une explication et une solution à cette situation inhabituelle, et par là même, apprendre à se connaître, à connaître leurs moeurs différentes et finalement, à s'aimer profondément. Mais ceci n'est pas un conte de fées où ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Al·Ith et Ben Ata font face à de nombreux revirements, de la part de leur population, mais aussi des Pourvoyeurs. Ils ne finiront pas ensemble malgré l'attachement sincère qui les lie, puisque Ben Ata doit finalement épouser la reine de la Zone Cinq, Vashi.
Zone Trois, Zone Quatre, Zone Cinq... des royaumes très différents, chacun à l'extrême d'un mode de vie particulier. La Zone Quatre est aussi pauvre que la Trois est riche et rafinée, la Zone Cinq aussi sauvage que la Quatre est guerrière. Chacune représente une façon de vivre, une idéologie, une partie de notre existence actuelle. Dans la Zone Trois, nous reconnaissons notre tendance à l'oisiveté, notre côté égocentrique, centré sur notre petit bonheur personnel. Dans la Zone Quatre, nous retrouverons nos moeurs régies par la société, nos tabous, notre conception du couple et du mariage. Dans la Zone Cinq, nous retrouvons notre volonté de dominer, de nous approprier. Notre monde à nous est un savant mélange de ces trois zones, et considérer ici de l'extérieur les habitudes de chaque zones permet de proposer une vision critique de nos propres habitudes, et de leurs incohérences les unes par rapport aux autres.
Doris Lessing soulève ici largement la question de la liberté des femmes, principalement dans le cadre du mariage. Al·Ith se retrouve confrontée à la jalousie naturelle des habitants de la Zone Quatre, et de son mari, avant d'expérimenter elle-même ce sentiment qu'elle n'avait jamais connu auparavant. Dans la Zone Trois, chacun est libre de "jouer" avec n'importe qui, la possessivité n'existe pas. L'égalité est totale en Zone Trois, tandis qu'en Zone Quatre, les femmes sont reléguées à leur condition de ménagère, condamnées à vivre une vie secrète entre elles. A travers les yeux d'Al·Ith, on s'étonne, on s'indigne de ce traitement injuste des femmes, tout en comprenant la position des habitants de la Zone Quatre, tellement proche de notre vision des choses. Petit à petit, on assiste à la transformation progressive des moeurs de la Zone Quatre vers une plus grande libération des femmes, une meilleure égalité entre les hommes et les femmes, grâce à l'influence bénéfique d'Al·Ith sur leur souverain.
A travers le mariage et les différences de moeurs, se pose également la question de l'amour et la relation des amoureux au sexe. Les sentiments inédits ressentis par Al·Ith et Ben Ata les prennent totalement au dépourvu, les inquiètent tout en les ravissant, les détruisent tout en les élevant au-dessus d'eux-mêmes. Quel est véritablement le pouvoir de l'amour? Positif ou négatif? Un simple attachement serait-il préférable, à la place de cette passion dévorante qui les poussent à se renier eux-mêmes? L'amour et la jalousie doivent-ils être indissociables? Chacun est-il voué à changer, se transformer avec l'émergence de son amour?
Finalement, je retiens de cette lecture beaucoup de questions, beaucoup de réflexions diverses et variées, et bien peu de réponses au final. Autant je pense avoir saisi le sens général de la réflexion dans la première partie du récit (Al·Ith et Ben Ata ensemble dans la Zone Quatre, échangent, se disputent et se réconcilient), autant la seconde partie (retour d'Al·Ith en Zone Trois et mariage entre Ben Ata et Vashi) m'a laissée dubitative. C'est un conte sans morale à la fin, c'est au lecteur de trouver lui-même ses propres réponses, ses propres leçons, ce qui n'est pas forcément toujours évident. J'ai apprécié cette lecture, tout en ayant la sensation tout au long du récit, de ne pas toujours saisir la profondeur des mots alignés sur la page. C'est un roman à plusieurs degrés, dont les plus subtils sont habilement dissimulés. Un lecteur peu attentif, lisant en dilettante, peine à appréhender la dimension allégorique du récit, perdant ainsi une bonne partie du livre.
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