Quand les dames du noir se dévoilent !
Le Joueur est la confession directe d'un possédé à la voix haletante et familière. Le destin d'Alexis Ivanovitch, consumé par deux passions égales, le jeu et l'amour d'une femme, révèle l'image d'une humanité pleine de désirs fous et d'aspirations incontrôlées, condamnée à l'éternelle nostalgie du bonheur ou à l'espérance du salut. Dicté en vingt-sept jours à une sténographe, publié en 1866, la même année que Crime et Châtiment, ce roman tourmenté, qui reprend l'héritage du romantisme russe et ouvre sur les achèvements majeurs de Dostoïevski, offre un accès saisissant à l'univers du grand écrivain.
Le joueur fut rédigé sous la pression d’un pari fou. Comme d’habitude criblé de dettes et menacé de saisie, Dostoïevski a accepté les conditions abusives de son éditeur : si son prochain roman ne paraît pas à la date attendue, l’écrivain devra lui céder, gratuitement et pour une durée de neuf ans, les droits de publication de tous ses futurs écrits. L’auteur est alors plongé dans la rédaction de Crime et châtiment. Il lui reste vingt-sept jours pour présenter un livre. Et il va y réussir, dictant un autre court roman à une sténographe, Anna Grigorievna Snitkina, qu’il épousera l’année suivante, et, deux heures avant l’échéance, alors que l’éditeur s’est délibérément éclipsé, faisant enregistrer au commissariat le dépôt de son texte.
Sauvé in extremis, Dostoïevski n’a pas signé ce contrat suicidaire sous la seule pression du désespoir et du manque d’argent. Il aime jouer avec le feu et se déclare lui-même malade du jeu et de la dépendance qu’il crée. Depuis l’adolescence, il a pris l’habitude de solliciter ses proches pour financer son goût des jeux de hasard, et, depuis quelques années, a découvert le frisson de la roulette lors de ses séjours dans les villes d’eaux, alors si courues, d’Europe occidentale. Il y laisse chaque fois jusqu’à sa chemise et plus encore, avant de se refaire dans l’urgence dans des élans éperdus de création littéraire. Sa vie est un chaos qui rejaillit jusque dans son œuvre, son génie ne s’épanouissant qu’au bord du gouffre. Il gagne beaucoup d’argent, mais en manque constamment, éternel flambeur pour qui thésauriser n’est qu’avarice, le défaut de son père.
C’est donc son double que l’on découvre ici, dans la ville d’eau imaginaire de Roulettenbourg où se presse la bonne société européenne, confinée dans un entre-soi hiérarchisé et hypocrite, avide de distraction et de scandale. Alexeï Ivanovitch est le précepteur des enfants d’un Général sur le retour, ruiné mais prêt à toutes les folies – et donc très impatient d’hériter de sa vieille tante, la Baboulinka, qu’il fait passer pour déjà morte – pour épouser Mademoiselle Blanche, une demi-mondaine française. Lui-même épris de Paulina Alexandrovna, la belle-fille du Général, le jeune homme entretient avec elle une relation maladive, très semblable à celle qui lie l’auteur à sa maîtresse Pauline Souslova, dans un jeu pervers d’attraction-répulsion où il semble prendre un certain plaisir à se faire humilier.
Tout ce petit monde oisif ne gravitant qu’autour des obsessions de l’amour et de l’argent, c’est naturellement autour de ces deux thèmes que se font et se défont les relations entre les personnages. Pendant que la promiscuité de la villégiature favorise jeux et calculs amoureux – si elle se montre indifférente au timide et transi Anglais Mr Astley, Paulina aimerait bien plaire au marquis des Grieux, un Français qui joue les pique-assiette sans jamais se départir de sa terrible condescendance –, l’on s’en va s’offrir d’autres sensations sonnantes et trébuchantes au casino, en particulier autour de la roulette. Envoyé jouer pour le compte de Paulina, puis de la Baboulinka soudain débarquée comme une apparition à Roulettenbourg, Alexeï, conscient de mettre les doigts dans un piège dont il ne sortira plus tant le jeu le prend déjà aux tripes, tombe peu à peu dans l’addiction.
C’est ainsi qu’à la cinglante peinture d’un microcosme gouverné par l’ambition et par la soif d’argent, occasion pour lui de fustiger les si méprisantes nations occidentales pourtant bien petitement calculatrices comparées à la flamboyance passionnée de l’âme russe, l’écrivain adjoint le portrait incomparablement lucide d’un joueur compulsif, malade du jeu et de l’excitation qu’il provoque, en réalité prisonnier de ses désirs : désir d’argent, mais aussi désir d’amour, puisque lorsque son personnage réalise que Paulina l’aime, sa propre passion s’éteint. Ce qu’il aime, ce n’est pas l’objet de son désir, mais sa passion même : le désir.
Considéré comme la préfiguration de ses œuvres les plus connues, Le joueur est le roman d’une obsession d’autodestruction. Conscient de sa folie mais incapable d’y résister, fasciné jusqu’à l’horreur par l’abîme dans lequel il se regarde tomber, son protagoniste confronté à l’absurdité de ses désirs, y compris amoureux puisqu’ils le font s’éprendre de femmes dominatrices, capricieuses et ambivalentes – figures qui deviendront récurrentes chez Dostoïevski –, porte déjà en germe cette fièvre de la passion paroxystique pouvant conduire aux pires extrêmes, y compris le crime.
Court roman de Dostoïevski, « Le joueur » n’en est pas moins dense et riche.
Il nous entraîne à la suite d'Alexis Ivanovitch, précepteur des enfants d'un général russe.
Ce dernier, en villégiature en Allemagne, est ruiné. Sa seule chance de salut, et de mariage avec une courtisane dont il est fou, réside dans le décès de sa riche grand-tante. Mais lorsque l’on compte sur un héritage, la personne mourante a toujours le chic pour recouvrer la santé.
Autour d'eux, gravite notamment Paulina, belle-fille du général pour laquelle Alexis éprouve une grande passion, malgré ou à cause du caractère fantasque et ombrageux de la jeune femme.
Et la roulette.
Où se gagne et se perde des fortunes, où des hommes et des femmes passent du désespoir à l'exaltation au gré des caprices d’une bille.
Je n’ai pu lire ce roman sans faire un parallèle avec le destin de son auteur.
Lui aussi vécu une addiction au jeu qui l'entraînera à une quasi-ruine. Dostoïevski connut aussi cette dépendance, cette impossibilité de s'extraire d'une salle de jeu malgré les pertes sans fins. Les sensations décrites par le narrateur sonnent donc avec un réalisme absolument glaçant.
Ce roman est sombre, les éléments s’enchaînent rapidement et ne deviennent compréhensibles qu’au fur et à mesure de la lecture, à la différence des autres grands romans de l’auteur qui prennent le temps de poser le cadre et les personnages.
« Le joueur » est un bon roman signé par Dostoïevski, qui mérite d’être lu, mais qui n’est pas, pour moi, à la hauteur des chefs-d’œuvre de l’auteur que sont « Crime et châtiment » et « Les frères Karamazov ».
Quand je me suis lancée dans la lecture de ce classique, je pensais y retrouver un peu l'ambiance du joueur d'échecs de Zweig ! Pas du tout
Certes, il s'agit aussi d'un "drame" mais beaucoup moins noir que Zweig ! Il m'est arrivé de rire lorsque Dostoïevski nous dépeint le portrait de la grand-mère addict à la roulette. Sa plume est magnifique mais au final il répète sans cesse la même chose en changeant les mots ... Certains apprécieront sans doute cet exercice d'écriture mais pour moi c'est un peu soporifique ...
Sans doute que le génie qui animait Dostoïevski quand il dictait le Joueur à Anna Grigorievna Snitkina, est le même génie qui surgit en certains de nous en face d'une situation qui a tout d'un compte à rebours. Comme ce fut le cas de l'auteur avec son éditeur cynique, Stellovski : s'acquitter de l'écriture d'un roman en moins de vingt-sept jours, sinon « libre à lui, Stellovski, d'éditer pendant 9 ans comme il le voudrait tout ce que j'écrirai sans avoir à me verser de gratification ». Quoique le génie de Dostoïevski ait quelques caractéristiques (ou caractères) d'un lutin — ses quolibets contre les sociétés européennes, notamment les juifs, les polonais et les français, qu'ils traitent des gens rompus à l'appât du gain.
Cependant le Joueur demeure l'un des romans autobiographiques des plus concis avec plus de chapitres (17), et des paragraphes alléchants qui font de lui un leitmotiv littéraire.
Le joueur fait partie de ces livres "petit mais costaud" qui en une centaine de pages développe tant de sentiment, dévoile tant de l'être humain et des vices du XIXème siècle.
Dostoïevski dresse un portrait peu flatteur des moeurs bourgeoises russes de cette époque ; tout n'y ait qu'hypocrisie, quête d'argent, de statut, manipulation des uns, discrimination des autres, ...
Et au milieu la passion qui les anime, passion amoureuse et passion du jeu ; passion qui pousse à la folie, à la psychose. Laquelle sera la plus dangereuse pour l'Homme ? Laquelle supplantera l'autre ?
Un des livres les plus concis du grand écrivain russe. L'enfer d'un homme confronté à la pulsion de sa passion du jeu nous conduit à partager ses souffrances et sa volonté de sortir de sa misérable condition. Avec le héros du roman, nous devenons joueur, souffrons de ses échecs, partageons sa pulsion de vie mais aussi sa pulsion de mort... C'est l'art de ce grand écrivain russe qu'est Dostoïevski de nous conduire à devenir ce héros de roman par la force de l'analyse psychologique que celui-ci nous livre.
Bof, bof... il faut attendre 80 pages et l'arrivée triomphante de la "baboulinka" pour que ça commence enfin à être un peu intéressant... A part Alexis Ivanovitch, amoureux "esclave" de Pauline, le seul moteur qui anime tous les personnages est l'argent : les florins, les frédéricks, les roubles, l'or et les francs, on jongle d'une monnaie à l'autre, et le jeu qui permet d'acquitter ses dettes, de ne pas mourir dans le ruisseau et qui finit par prendre toute la place. J'ai eu du mal à me passionner !
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