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À Evreux, un jeune homme, chauffeur-livreur de son état, voit passer les jours, sans aigreur ni passion. Un beau-père violent, une déception amoureuse et un stupide accident précipitent sa chute et le poussent vers des individus peu recommandables. Il se retrouve alors entraîné au Mali où il fait ses armes pour le compte de l'État Islamique, puis en Syrie, dans une forteresse djihadiste où les hommes ont oublié leur humanité. Il devient un monstre, par ignorance, par malchance, par indifférence, presque contre son gré. Il fait la une des médias, parce qu'à peine devenu homme on lui a tendu une lame, et une gorge à trancher.
Un direct à l'estomac qui m'a laissée KO, sonnée pour un long moment !
Ce "Français", le narrateur, est un jeune homme de 20 ans, à peine sorti de l'adolescence. A Evreux, où il vit chez sa mère malade et son beau-père violent,la grisaille enveloppe autant le ciel, la ville, les immeubles, les gens que l'avenir. L'avenir ? Comment envisager un avenir lorsque le présent et la présence font défaut ? De désir d'être aimé en déceptions, de recherche de sens en engrenages absurdes, le narrateur se retrouve sourire aux lèvres, sabre à la main, sur des milliers d'écrans...
Plus je repense à ce livre et plus je l'interroge : peut-on comprendre l'inacceptable ? Certes l'on compatit face à ce que subit ce jeune homme, l'écrasement de ses rêves, somme toute banals, les humiliations, les sévices qu'il endure. L'histoire qu'il nous raconte de l'intérieur, son histoire, est effroyable, insupportable et nous incline à la mansuétude. Mais le roman, bien après sa fin, continue de saper toutes nos certitudes. Les images épouvantables qu'il suggère ne cessent de nous hanter et l'empathie ressentie au moment de la lecture alterne constamment avec un rejet instinctif, viscéral. Et l'on passe de l'un à l'autre en se disant finalement que l'on ne sait rien.
Rarement un roman m'a causé un tel choc. Un choc salutaire, sans doute, car il empêche toute simplification, tout manichéisme. Il refuse d'expliquer et d'excuser et nous laisse là, pantelants, démunis, dépouillés de nos a-priori.
Oui, un roman salutaire à lire l'esprit et le coeur ouverts, même si ça fait mal.
http://alombredunoyer.com/2015/10/21/le-francais-julien-suaudeau/
Après Dawa, Le Français est le deuxième roman de Julien Suaudeau. Il est aussi passionnant que dérangeant. Il est en tout cas à découvrir.
« Je ne suis pas une petite chose et je vous arracherais le cœur de mes mains si elles étaient libres. » Ainsi se termine ce court roman (étonnamment court d’ailleurs par rapport au pavé de 500 pages qu’était Dawa). Cette phrase dure et dérangeante vous donne un résumé de l’état dans lequel on referme la dernière page de ce roman : fortement perturbé !
Le narrateur du Français est un jeune homme normand vivant à Evreux dont on ne connait que peu de choses (blond aux yeux bleus et une vingtaine d’années sont les seules informations que l’on possède). Rien ne le prédestine à tout ce qu’il va suivre dans le roman. Mais les violences du beau-père (verbales et physiques), une mère malade, une vie morne et terne sans réel avenir ou perspective, Stéphanie qui ne veut pas de lui et la mort tragique lors d’un rodéo d’un voyou connu du quartier vont changer sa vie. Par un enchainement de circonstances donc et pour échapper à la police, il va se rapprocher de trafiquants yougoslaves, qui eux même vont le mettre en relation avec le gérant d’un cybercafé à Bamako au Mali. C’est le départ tant espéré, le nouveau but de sa vie. De Bamako au Mali où il découvrira l’islam, il arrivera en Syrie, tombera dans l’engrenage de l’islamisme et deviendra acteur du djihad. Tragique itinéraire d’un enfant gâché, plus connu par son surnom « Le Français »...
« Seul Allah est digne d'être loué et Mahomet est son prophète. Les jours ont passé et je me suis habitué à ce baratin. Si vous vous répétez n'importe quoi assez longtemps, tôt ou tard vous finissez par y croire. C'est le cours naturel des choses. Les publicités fonctionnent de cette façon, la musique des mots vous donne envie de croire qu'ils sont vrais. Le Coran, je le lisais, je voyais bien qu'on me racontait des histoires, et en même temps je m'habituais peu à peu à ces phrases qui vous présentent le monde sous un jour simple et bien ordonné. »
Julien Suaudeau joue beaucoup sur l’ambiguïté du narrateur. Ce dernier s’engage dans le djihad, devient le pire des barbares mais pas par fanatisme religieux. A l’inverse même, il a l’air parfaitement conscient de ce vers quoi il va, les conséquences de ses actes, mais il le fait tout de même… Il y a toujours une raison, une ressemblance, un espoir, un but… jusqu’à la chute finale (j’ai eu beaucoup de mal avec le dernier chapitre…)
« C’était comme si ce qui m’arrivait était devenu abstrait, indifférent. J’avais l’impression d’avoir tout laissé derrière moi, la vie, l’avenir, les possibilités, les sentiments. Je vivais à côté de moi-même, sidéré par le rêve d’être une personne, et incapable de le vivre. Je ne pouvais pas m’en détacher, mais je n’arrivais pas non plus à me jeter dedans, comme le font tous les hommes, les désespérés surtout. »
De ce fait, cela ne plaira pas à tout le monde. D’aucuns trouveront ce récit trop improbable.
Il n’en reste pas moins pour moi que cet opus est une belle étude critique des jeunes paumés de nos banlieues (donc qu’on peut « aisément » embrigader en leur offrant un but dans la vie), voire des politiques menées (et de la guerre ou tout semble permis… on trouve en fin de roman quelques scènes de torture inhumaines très factuelles et descriptives, donc très difficiles à accepter. Ames sensibles s’abstenir…)
« C’était la vie de ces hommes-là : mentir, faire croire, tromper ; Les raisons pour lesquelles ils agissaient ainsi n’avaient aucune importance dans le fond. »
Un dernier mot sur l’écriture : elle est remarquable. Elle rend la lecture très fluide, d’autant plus que le récit est très documenté. L’auteur semble savoir de quoi il parle, ce qui rend l’intrigue très réaliste et la lecture passionnante.
Roman choc de cette rentrée littéraire sur un sujet dramatiquement d’actualité, servi par une belle écriture, le Français ne vous laissera pas indifférent. Je ne peux que vous le conseiller.
4/5
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