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« A neuf heures, je suis descendu de chez moi. Un soleil pâle égayait les trottoirs. J'ai repéré une voiture blanche sur le trottoir d'en face. Quatre hommes en sont sortis. J'ai pensé : « On dirait des flics ». C'étaient des flics. Ils m'ont entouré, ont exhibé des cartes barrées tricolore. L'un d'eux a dit : « Brigade criminelle. » Filé et écouté par la police d'août 1983 à mars 1984 après avoir été dénoncé par lettre anonyme dans le cadre de l'enquête sur le groupe Action Directe, Dan Franck est incarcéré à la prison de la Santé le 17 octobre 1984, date anniversaire de ses 32 ans.
Depuis, il n'a cessé d'interroger cet événement qui a matraqué sa vie. Pourquoi cette arrestation ? Croisant les rapports de filatures, les interrogatoires de la Brigade criminelle, ses carnets de prison, ses souvenirs d'enfant de mai 68, il achève son enquête sur un ultime témoignage : celui du policier qui l'a arrêté et interrogé quarante ans plus tôt.
Dès lors, la boucle est bouclée : il peut enfin écrire, sous toutes ces facettes, cette aventure qui bat comme le coeur secret de son existence.
Dan Franck est un fameux romancier, un écrivain recherché qui a prêté sa plume pour rédiger des biographies, mettre au point des scénarios, écrire pour des journaux, des magazines. Son père avait été rédacteur en chef de L’os à moelle.
C’est son engagement politique contre toute oppression et sa lutte pour préserver la liberté qui l’ont entraîné dans cette spirale qu’il reconstitue avec précision et émotion, en écrivant L’arrestation.
Comme j’avais apprécié cet écrivain dans Les champs de bataille, je n’ai pas hésité pour le lire à nouveau et cela commence par l’évocation de sa fiche Wikipédia qui rappelle les quarante jours passés en prison, en 1984. Cette détention préventive impossible à effacer est liée au groupuscule terroriste Action directe dont L’arrestation tente d’expliquer les liens et les mouvements.
Le fait que Dan Franck utilise des pseudos comme Le Garçon, Blond-Blond, le cousin ou encore le Bordelais ne facilite pas la compréhension de l’histoire mais j’en admets la nécessité. Afin de bien saisir les relations de Dan Franck avec les mouvements contestataires, il faut revenir en arrière, à mai 68, période qui a fortement marqué celles et ceux qui l’ont vécue. Dan Franck n’avait que quinze ans et regardait les plus grands mener le mouvement à Paris où il vit. Plus tard, il gagne sa vie en écrivant pour lui et pour d’autres. En 1979, il anime la collecte de fonds pour Pierre Goldman et il est profondément bouleversé lorsqu’il apprend son assassinat par un commando d’extrême-droite, quelques mois après son acquittement.
Dan Franck ne le sait pas mais la police le file depuis huit mois. Son arrestation est causée par une lettre anonyme dont l’explication n’arrive qu’à la fin du livre… suspense bien maîtrisé.
Les écoutes téléphoniques permettent de suivre tous les contacts entre les membres d’Action directe. Une première garde à vue montre que l’étau se resserre mais c’est l’attentat de la rue Trudaine, le 31 mai 1983, qui fait s’emballer l’enquête : deux policiers sont tués et un troisième grièvement blessé. S’ajoutent à cela des braquages permettant de financer le mouvement.
Dan Franck raconte alors ces mois difficiles, explique son souci de ne rien balancer, préférant mentir plutôt que de compromettre des personnes qu’il considérait, à tort, comme des amis et qui se servaient de lui pour se loger afin de préparer leurs actions.
Tout cela est remis en scène de façon vivante, animée, précise, détaillée sans la moindre condescendance. Lorsqu’il est incarcéré, à l’isolement, dans la prison de la Santé, il se rend bien vite compte de ce que ressent un être humain en prison alors qu’il n’a rien à y faire.
C’est dans sa cellule, sur une petite table scellée au mur, qu’il écrit, qu’il ne peut s’empêcher d’écrire et que cela le sauve de la folie alors qu’autour de lui, on hurle, on manipule les serrures, les targettes, les verrous, sans ménagement afin de bien rappeler à ceux qui sont enfermés, leur privation de liberté. Il n’oublie pas de mentionner aussi cette forte lampe qui l’éblouit à plusieurs reprises au cours de la nuit, surveillance oblige.
Les événements, les péripéties ne manquent pas dans ce récit. Dan Franck cite tous les amis qui lui apportent un soutien infiniment précieux. Ces lettres venues de l’extérieur sont indispensables au moral de celui qui ne comprend pas pourquoi il doit subir une chose pareille !
L’écriture a permis à Dan Franck de sortir de ce cauchemar, même si on n’en émerge jamais complètement indemne. Longtemps après, il a cherché à comprendre, à retrouver celle et ceux qui l’avaient impliqué malgré lui dans cette mouvance terroriste. Il a même rencontré ce policier qu’il appelle le Bordelais et cela permet de mettre fin au suspense, révélant enfin la source de L’arrestation.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/05/dan-franck-l-arrestation.html
En 2016, par le hasard d'une interview, le passé revient avec force dans la vie de Dan Franck. Une journaliste l'interroge sur un épisode de son parcours. « Vous avez dû chercher très loin pour trouver ça » s'exclame l'auteur.
« Pas du tout, c'est sur votre fiche Wikipédia » lui rétorque-t-elle !
L'encyclopédie collaborative en ligne fait en effet référence à un procès de 1988 sur la mouvance Action directe qui le condamne à dix-huit mois de prison avec sursis.
Dans « L'Arrestation », Dan Franck retrace les événements à l'origine de cette tache indélébile qui salit sa biographie.
Tout commence le premier jour du printemps 1984. Il est arrêté par des flics qui fouillent son appartement et le transfèrent au 36 quai des Orfèvres.
Il est soupçonné de fricoter avec le groupe terroriste.
Parce qu'il ment pour ne pas passer pour un mouchard dénonçant celui qu'il surnomme le Garçon, un vieil « ami » de lutte, et parce qu'il a fait d'un studio qu'il louait la base arrière des activistes, la situation ne tourne pas à son avantage
Les échanges avec les policiers donnent lieu à des dialogues qui seraient comiques si les circonstances n'étaient aussi dramatiques. À la recherche d'une certaine Frédérique, les enquêteurs découvrent dans l'agenda du gardé à vue la mention des initiales FF qui sont en fait celles de Frédéric François pour lequel il est ghost writer, comme il le sera un peu plus tard pour Rika Zaraï et son chef-d'œuvre « Ma médecine naturelle » !
Autre moment de pure absurdité : l'étonnement des limiers devant un homme qui écoute Bach et qui appelle ses chiens Pavot et Makhno, nom d'un anarchiste ukrainien qui combattit les armées de Lénine et de Staline !
À l'issue des face-à-face qui plongent dans le parcours militant clairement à gauche de l'auteur de « La Séparation », Dan Franck est placé en mandat de dépôt par le juge Bruguière.
Le piège se referme sur un homme trop loyal qui a été trompé par son « ami »...
Tout en remontant l'enchaînement des événements qui l'ont conduit en prison dont il dépeint les conditions inhumaines faites de solitude, de privations, d'humiliations, de saleté, de bruits, de lumières aveuglantes et de cauchemars, l'auteur nous raconte sa jeunesse engagée si dérisoire mais aussi le soutien de ses proches qui ne l'ont jamais lâché.
C'est alors toute une époque qui se dévoile avec, en creux, l'histoire d'Action directe et de ses « révolutionnaires en Weston », « ces usurpateurs bavards » qui commettent des braquages pour financer leurs projets mortifères.
On aurait aimé qu'il fouille davantage le processus qui a conduit le Garçon à le trahir.
EXTRAITS
Qui a compris la guerre d'Espagne peut décrypter le siècle.
L'histoire de nos premières jeunesses s'est achevée là, sur des actes dérisoires, infantiles, au pied d'un catafalque où se sont effondrées nos adolescences.
À vingt ans on espère, à quarante on aménage, à soixante on raisonne.
Grandir, c'est cela, […] : apposer des mots définitifs sur d'anciennes insouciances.
https://papivore.net/litterature-francophone/critique-larrestation-dan-franck-grasset/
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