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Lorsqu'on travaille à la Commission européenne dans une unité de prospective qui s'intéresse aux technologies du futur et aux questions de cybersécurité, que ressent-on quand on est approché par des lobbyistes ? Que se passe-t-il quand, dans une clé USB qui ne nous est pas destinée, on découvre des documents qui nous font soupçonner l'existence d'une porte dérobée dans une machine produite par une société chinoise basée à Dalian ? N'est-on pas tenté de quitter son bureau à Bruxelles et d'aller voir soi-même, en Chine, sur le terrain ?
Nous suivons le voyage d'un fonctionnaire de la Commission Européenne de Bruxelles au Japon avec un passage exprès en Chine. Cela ressemblait à un polar mais finalement cela n'en est pas vraiment un puisque l'on passe d'une histoire de blockchain sur les 3/4 du roman pour terminer avec sa relation à son père qui meurt lors de son retour en Belgique. L'histoire en soi est peu prenante, on attend d'être emporté mais cela reste assez plat. Tt le style très dépouillé n'y fait pas davantage. C'est un peu à l'image de cet univers du lobbying européen et de l'informatique, un monde désincarné, comme la vie de cet anti-héros et le style du roman.
Il y a quelques mois, j'ai reçu un mail très menaçant : si je n'envoyais pas une somme (une quantité?) assez élevée de « bitcoins », des photos compromettantes seraient révélées à l'humanité tout entière (qui n'attend que cela, évidemment !…) Avec la vie trépidante que je mène, je n'avais pas trop de soucis à me faire sur l'éventuelle divulgation de photos embarrassantes me concernant !!! En revanche, ce qui, dans ce message, a retenu toute mon attention, c'est cette histoire de « bitcoins »…. Quèsaco ? Autant dire que je n'avais jamais entendu parler de cette bête-là (on ne paye pas avec ça à l'épicerie de mon village…) Je me suis donc renseignée auprès de mes chers collègues scientifiques, nettement plus à la pointe de la modernité que moi (ce n'est pas difficile!) et j'avoue que… je n'ai pas compris grand-chose sinon que… (je me concentre) ce serait une monnaie qui permettrait de régler des transactions en ligne, sans avoir recours à un organisme bancaire (qui nous pique des sous), le tout dans un cadre très sécurisé... Et pour garantir cette sécurité tant recherchée, des particuliers (appelés des mineurs -on n'est pas dans Zola mais presque-) équipés d'ordinateurs ultra-puissants surveillent et valident les transactions… Ces dernières sont enregistrées sur une chaîne de blocs -blockchain- (espèce de grand livre public de comptes) : chaque bloc vérifiant en cascade l'état du système et surtout l'origine de la transaction. Ne m'en demandez pas plus, j'ai déjà transpiré sang et eau pour vous fournir ce modeste résumé. Ça dépasse largement mes très insignifiantes compétences (quasi nulles dans le domaine économico-informatico-mathématique…)
Bref, tout ça pour dire que j'ai commencé le dernier roman de Jean-Philippe Toussaint en n'en menant pas large… Et à vrai dire, je pensais ne pas dépasser la cinquantième page…
Eh bien messieurs-dames, je vous le déclare haut et fort : j'ai été littéralement happée par ce récit qui tient beaucoup du roman d'espionnage (le suspense marche à fond la caisse) mais pas seulement, et autant vous le dire tout de suite, j'ai ADORÉ ce texte et je vous explique pourquoi.
Un narrateur (dont j'ai oublié le nom… appelons-le X si vous le voulez bien) qui travaille à la Commission Européenne dans le domaine de la prospective se voit aborder un jour par des lobbyistes. Effectivement (et là, on n'est pas dans la fiction), figurez-vous qu'à Bruxelles des gens sont payés pour prévoir l'avenir (si si, je vous jure) : ils s'interrogent sur « de quoi demain sera fait » dans des domaines divers et variés comme l'alimentation, l'agriculture, l'énergie, la démographie, les ressources etc, etc… Bien entendu, ils doivent bosser en toute indépendance (bien entendu!!!) Or notre narrateur X (mais quel est son nom???) se voit un jour abordé par deux hommes qui aimeraient bien qu'il vienne faire un petit tour en Chine pour découvrir leur entreprise (et plus si affinités…) X résiste, allant jusqu'à régler lui-même son café lorsqu'il les rencontre. Et il se trouve que l'un des deux lobbyistes va, lors d'une rencontre, perdre sa clé USB : accident ? acte volontaire ? Point d'interrogation… En tout cas, X s'en empare et ce qu'il va découvrir n'est pas piqué des vers…
Comme je vous le disais, moi qui ne suis pas DU TOUT roman d'espionnage (je n'y comprends jamais rien), j'ai été complètement prise par ce roman lu quasiment d'une traite une semaine où j'étais crevée (c'est vous dire!) Je crois que cela tient au fait que l'on sent très vite que Toussaint cache autre chose derrière l'aspect espionnage et cette « autre chose », c'est la dimension humaine.
X (son nom!!!) n'a RIEN d'un super-héros. S'il évolue dans un monde moderne, technique, scientifique, ses réactions échappent COMPLÈTEMENT à la logique (ça c'est génial!) Souvent, il ne comprend pas pourquoi il a agi de telle ou telle façon, pourquoi il a pris telle ou telle décision, il a a du mal à contrôler ses émotions et se retrouve à plusieurs reprises dans des postures assez ridicules. Et je trouve ça très rassurant l'idée que l'on a beau entrer dans une ère algorithmique, logique, mathématique, finalement, l'humain, d'une certaine façon, échappe à toute cette technique, lui fait un pied de nez, lui dit merde, quoi !
Parce que l'homme n'est pas UNE MACHINE, il ne pourra jamais être contrôlé, prévu, emprisonné dans un système parce que, précisément, ce qui fait l'être humain, c'est l'inattendu, l'étonnant, le paradoxal, l'imprévu. Et leurs histoires de conjectures, d'hypothèses, de probabilités, ils peuvent, à mon sens, toujours courir...
Ah, la prospective a du boulot sur la planche (et du souci à se faire) avec un sujet d'étude comme l'être humain et ses activités… Et, ça, c'est plutôt rassurant, non ?
Bon, allez, je ne vous en dévoile pas plus… Vous verrez, la fin est superbe… Vous allez vous régaler !
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L'homme qui raconte son histoire travaille à la Commission Européenne. Il est responsable d'une unité de prospective. S'intéressant de près aux question de cybercriminalité et de cryptomonnaies, il est approché par des lobbyistes. Se refusant à donner suite à leurs sollicitations mais néanmoins intrigué par l'un des deux hommes qui cherchent à l'amadouer, il accepte un premier rendez-vous. Bientôt, il trouve une clé USB que cet homme a perdu. Une fois ouverte, icelle le questionne et le poussera à visiter une société chinoise à peine dissimulée par l'entreprise lobbyiste.
Réussir à passionner un lecteur avec des données techniques, des explications sur le bien-fondé et le rôle de la prospective, sur les cryptomonnaies comme le bitcoin, et les lobbyistes qui hantent les couloirs des lieux de décision est un exploit que relève allégrement Jean-Philippe Toussaint. Mon seul -minime- regret est que le titre ne s'écrive pas La clef USB, je préfère le mot clef écrit avec "ef" plutôt qu'avec le simple accent aigu. Le reste est comme souvent chez l'auteur une histoire où un homme se questionne sur sa vie. Il doit comprendre ce qui est important pour lui, et l'épreuve de la clef USB est un déclencheur. Et comme souvent, il fait cela loin de chez lui, hors de ses habitudes et même hors de ses usages et de son confort, puisqu'entre la Chine et le Japon. Cette fois-ci le contexte est technique et moderne, un peu anxiogène, mais c'est aussi l'époque du tout numérique qui veut cela. Absolument toutes nos actions et transactions sont numérisées, mémorisées par nos ordinateurs, nos mobiles intelligents. Pour qui n'a rien à cacher c'est sans doute une évolution normale, mais subsiste un doute que toutes ces données soient mal utilisées. C'est dans ce monde virtuel qu'évolue le héros de ce roman, en proie également à des questions beaucoup plus personnelles. Tout arrive en même temps et lui dont le travail est de préparer l'avenir pour des nations se retrouve à douter du sien.
Chez JP Toussaint, il y a surtout une écriture, une musique qui me plaisent. Ce dernier roman est assez loin des premiers de l'auteur que j'ai lus : La salle de bain, Monsieur, L'appareil-photo, beaucoup plus proche de sa quadrilogie avec Marie (Faire l'amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue -pas encore lu). Quel que soit le sujet de ses romans, je plonge et me laisse prendre aux mots et phrases avec un grand plaisir. Une expression assez mauvaise dit que certains acteurs ont tellement de talent qu'ils pourraient réciter l'annuaire et captiver leur auditoire, elle pourrait être étendue à certains écrivains, dont JP Toussaint.
«Un blanc, oui. Lorsque j’y repense, cela a commencé par un blanc. À l’automne, il y a eu un blanc de quarante-huit heures dans mon emploi du temps, entre mon départ de Roissy le 14 décembre en début d’après-midi et mon arrivée à Narita le 16 décembre à 17 heures 15.» Ce petit crochet par la Chine que le narrateur a occulté va nous permettre de découvrir la puissance des lobbys qui gravitent autour de la commission européenne à Bruxelles et les questions liées à la cybersécurité dans un roman aussi déstabilisant que piquant.
Deux hommes abordent le narrateur dans les couloirs du parlement européen à Bruxelles. Employé au sein d’une unité chargé de la prospective au sein de la Commission, il vient de plaider pour le développement d’une blockchain européenne, sujet qui intéresse particulièrement John Stavropoulos et Dragan Kucka de la société XO-BR Consulting, spécialisée dans le développement de la technologie blockchain, en particulier pour des clients asiatiques.
Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’en savoir davantage sur cette technologie pour apprécier ce roman, mais cela permet de comprendre les enjeux d’un marché qui va sans doute avoir un poids déterminant dans l’économie des années futures. La définition qu’en fournit Wikipédia me semble assez précise : «Une (ou un) blockchain, ou chaîne de blocs est une technologie de stockage et de transmission d'informations sans organe de contrôle. Techniquement, il s'agit d'une base de données distribuée dont les informations envoyées par les utilisateurs et les liens internes à la base sont vérifiés et groupés à intervalles de temps réguliers en blocs, formant ainsi une chaîne. L'ensemble est sécurisé par cryptographie. Par extension, une chaîne de blocs est une base de données distribuée qui gère une liste d'enregistrements protégés contre la falsification ou la modification par les nœuds de stockage.» L’application la plus connue du grand public est le bitcoin ou monnaie virtuelle, mais d’ores et déjà les banques, les assurances, le secteur de la santé et celui de l’énergie, mais aussi la logistique et différentes industries travaillent à la mise au point de cette révolution de l’économie numérique.
Un aparté qui permet de mieux cerner les enjeux de la négociation qui se joue dans «l’ombre feutrée et chuchotante de bars de grands hôtels bruxellois anonymes». Car la curiosité aura été la plus forte pour notre homme, avide de savoir ce qui se cache derrière cette mystérieuse société XO-BR Consulting. Et sans doute de redonner un peu de piment à une vie devenue bien fade: «J’avais le sentiment de n’avoir plus d’avenir personnel. Mon horizon, depuis que mon mariage avec Diane était en train de sombrer, me semblait irrémédiablement bouché. Depuis des mois, je me sentais enlisé dans un présent perpétuel. Nous ne nous parlions plus avec Diane, nous ne nous parlions plus depuis l’été (et même avant, je me demande si nous nous étions jamais parlé). Notre couple s’était progressivement défait au cours des années. Notre mariage, ou ce qu’il en restait, finissait de se déliter. Depuis bientôt deux ans, nous vivions côte à côte, comme des ombres, en étrangers, dans le grand appartement de la rue de Belle-Vue, avec Thomas et Tessa, nos jumeaux qui allaient à l’école élémentaire et qu’on se répartissait pendant les vacances…».
L’événement qui va tout faire basculer, c’est d’une clé USB égarée par l’un des interlocuteurs et contenant des centaines de fichiers et d’informations et notamment des photos de l’Alphaminer 88, une machine inconnue jusque-là, un prototype produit en Chine par Bitmain et commercialisé par la société basée à Dalian, en Chine, où Stavropoulos voulait l’inviter.
Détaillant encore les fichiers de la clé USB, il est stupéfait de découvrir des lignes de code qui pourraient fort bien ressembler à une «porte dérobée», c’est-à-dire un programme permettant de prendre le contrôle de la machine. Aussi décide-t-il de faire un petit crochet par la Chine avant de se rendre au colloque organisé à Tokyo et durant lequel i avait été invité à prendre la parole.
Jean-Philippe Toussaint a cet art consommé de la construction dramatique. En proposant quelques détails «qui font vrai» et en n’oubliant jamais d’ajouter une pincée d’humour, il va transformer à ce qui pourrait s’apparenter à un roman d’espionnage en vraie quête existentielle. Au dépaysement et à l’instabilité inhérentes à cette mission secrète en Chine viennent alors s’ajouter quelques épisodes tragi-comiques que je me garderais bien de dévoiler, pas plus que l’épilogue – surprenant – de l’un de mes premiers coups de cœur de cette rentrée. Car voilà une manière fort agréable de sensibiliser le lecteur à l’un des enjeux économiques majeurs des années qui viennent. Mais il est vrai qu’avec Jean-Philippe Toussaint, on est rarement déçu !
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