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Au Struthof (seul camp de concentration nazi ouvert sur le sol français), Pierre Delmain, écrivain et déporté politique, endosse un rôle déterminant : à mains nues, convoquant ses forces ultimes, il achève les déportés quand leur état les rend impropres aux « expériences scientifiques » menées sur place. Avec douceur, empathie, humanité. Il ne se le pardonne pas pour autant. Alors il s'échappe. Dans ses rêves. Littéralement.
À Paris, Saül Berstein, collectionneur d'art, retarde dans les vapeurs de mescaline et la fréquentation de la beauté le moment de croire à la violence et à la laideur extrêmes de l'horreur qui le traque.
Imprévisible et subtilement engagé, Raphaël Jerusalmy orchestre brève la rencontre cruciale de deux destins et accomplit un tour de force romanesque stupéfiant.
L’amie qui m’a prêté ce roman m’avait prévenu : il est très noir. J’y ai trouvé beaucoup de lumière.
Cet Homme, Pierre Delmain, prisonnier au Struthof (seul camp en France) est chargé d’étrangler les détenus dont le docteur du camp ne veut plus pour ses expériences.
J’ai aimé le narrateur Pierre qui à la fois profite de son travail au chaud et avec du rab’ de nourriture, mais dont le travail est inhumain.
J’ai aimé qu’il donne un nom, même inventé, à chacune des personnes qu’il tue, abrégeant leurs souffrances, parfois.
J’ai aimé qu’il les regarde dans les yeux, accompagnant leur dernier souffle d’un dernier regard.
J’ai aimé sa discussion avec un prêtre qui lui fait connaître Bernard de Clairvaux, lui permettant de s’enfuir par l’imagination.
J’ai aimé Saül Berstein, le collectionneur d’art, qui sourit au milieu des autres sujets d’expérience.
J’ai aimé que la beauté de l’art aide Berstein à ne pas succomber à la noirceur du lieu.
J’ai découvert l’artiste Natalia Gontchareva dont le tableau de descente du Christ en croix obsède Berstein.
J’ai aimé que les deux hommes se croisent au camp, échangent des propos sans intérêt. J’ai aimé cette vie si simple au milieu des ruines.
J’ai aimé que ce roman me parle du corps, celui que perd le narrateur au fur et à mesure de sa tâche. Ce corps qu’il ne se ré-approprie que par petites touches à la sortie du camp.
Un roman qui montre que l’Art (littérature et peinture) nous aide à rester Humain au milieu de la Barbarie.
Un coup de coeur.
Quelques citations :
Tu fais semblant de soutenir le regard de ta victime. Tu lui donnes l’impression de communier avec elle, tout en t’efforçant de ne pas la voir. De t’en éloigner le plus possible… (…) sans toutefois y parvenir. (p.109)
Les hommes savent quelque chose que Dieu même ignore. (…) Ce que c’est que de devoir mourir. (p.131)
L’image que je retiendrai :
Celle du Musée de Cluny que Berstein et Paul visitent chacun à des moments différents de leur vie.
https://alexmotamots.fr/in-absentia-raphael-jerusalmy/
"Mais si tu n'écris plus, dans quel ailleurs iras-tu te réfugier ? Dans quelle absence ?" Celui qui se pose cette question est écrivain. Enfin il l'était avant d'être emprisonné au Struthof, seul camp de concentration nazi sur le territoire français. Pierre Delmain n'écrit plus mais il s'évade par la pensée, brode des histoires à partir de bribes où se mélangent fiction et réalité. C'est ainsi qu'il tient. Ainsi qu'il parvient à assumer la fonction qui lui est assignée : achever à mains nues les déportés agonisants, rendus inutiles aux expérimentations "scientifiques" des nazis. Il le fait avec empathie, le maximum d'humanité malgré le contexte qui vise à en supprimer chaque parcelle. De son côté, Saül Bernstein, collectionneur d'art sent l'étau se resserrer même s'il s'acharne à continuer à ignorer le danger. Les routes de ces deux hommes vont se croiser pour quelques heures, où l'horreur se dispute à l'absurde et qui resteront à jamais gravées dans l'esprit de celui qui retrouvera miraculeusement la liberté.
A partir d'un événement historique réel révélé en fin de volume et dont j'ignorais tout, Raphaël Jerusalmy nous offre une histoire terrible, poignante et pourtant lumineuse. A l'horreur il oppose la beauté et la force des Arts, qu'il s'agisse d'écriture, de peinture ou de musique. Aux velléités d'annihilation il oppose les parcelles d'humanité qui résistent et se glissent dans chaque interstice accessible. La précision de l'écriture donne une force saisissante à ce récit à la tension impeccablement maîtrisée. Il fait de ces deux hommes et de la force de l'esprit les derniers remparts face à l'abomination. Et de la littérature, le vecteur indispensable de la liberté et de la mémoire. A lire, parce que malheureusement nous n'en avons jamais fini avec l'horreur, mais heureusement les étincelles susceptibles de ranimer la flamme sont là. Et nous les connaissons.
"Si Bernstein, du fond de l'horreur, persiste à se référer aux canons de la beauté et de l'art, il n'y peut rien. C'est là l'échelle de valeurs dont il dispose et à laquelle, chez lui, tout se ramène. Tel un médecin qui ne peut s'empêcher de diagnostiquer. Ou un magistrat de passer jugement. Tant qu'il le peut encore."
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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