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Emma, huit ans, handicapée, a droit à un emplacement réservé devant la maison. Sauf que des voitures - de l'innocente familiale au panier à salade, en passant par le corbillard et la Porsche - s'y installent à la place de celle de sa mère. Celle-ci voit rouge et décide de prendre le taureau par les cornes. Si la bataille contre les égoïsmes de tout poil que mène cette jeune mère en colère pour défendre sa fille bien-aimée prend parfois des allures de corrida, l'humour est toujours présent. C'est une des plus jolies formes de l'amour.
Voilà. Ma fille avait obtenu une place. Oh, ce n'était pas une place au soleil, loin s'en faut, mais c'était une place sûre, qu'elle occuperait toute sa vie. À propos, vous savez ce que m'a dit l'artiste qui a peint ce chef-d'ouvre, je parle de l'emplacement réservé ? Il m'a dit : « Une fois par an, vous devez appeler le commissariat, pour qu'on vienne le repeindre. » Comment ça, le repeindre ? On a découvert des peintures rupestres datant de 32 000 ans et, aujourd'hui, on n'est pas fichu de faire durer plus de 365 jours quatre traits de peinture blanche industrielle ?
Emma est un petite fille qui demande énormément d'attention et de temps, elle demande aussi pas mal de manutention, un emplacement réservé est donc un confort dont sa maman ne peut plus se passer. Elle bataille pour l'avoir aussi, lorsqu'il est encombré par des automobilistes qui n'en ont pas le besoin, elle pète un câble. Elle devient alors une véritable louve qui protège sa petite (j'ai préféré cette image à celle de la mégère). Disons qu'elle ose tout ce à quoi on peut penser lorsqu'on voit des comportements inadaptés mais que l'on n'ose pas faire, question d'éducation peut-être ou de limites que l'on ne peut franchir. Corine Jamar a décidé de traité ce thème par l'humour, notamment lorsque ce sont les policiers qui sont garés sur l'emplacement ou lorsqu'elle attache des objets au poteau indicateur d'emplacement réservé, qu'un flic débarque chez elle parce que des voisins ont porté plainte et lui met une amende pour outrage à agent et tentative de corruption : "Quoi ? Quoi ? Je lui avais simplement proposé d'arrondir ses fins de mois en montant la garde sur mon emplacement quand je partais chercher Emma à l'école. Je réfléchis une seconde. Je ne lui avais pas exactement dit : venez monter la garde. Je lui avais dit : venez faire l'épouvantail devant chez moi, vous avez la tenue idéale..." (p.60) Et l'homme là-dedans, parce que la maman semble seule à gérer le quotidien ? Il est là, ne comprenant pas les excès de sa femme, tentant de l'apaiser, de la raisonner, fuyant parfois également, se réfugiant dans son magasin de farces et attrapes. Il faut dire à sa décharge que sa femme ne lui laisse pas beaucoup de place, elle qui préfère donner tout son temps à sa fille.
Le ton résolument humoristique n'ôte rien aux messages, au contraire. Celui de la difficulté de vivre au quotidien avec un enfant handicapé qui nécessite beaucoup de temps et dont on ne sent pas toujours le retour -mais ça arrive, parfois tard, mais ça arrive. Celui de la prise en charge de ces enfants qui ont besoin pour avancer de beaucoup de sollicitations et de consultations de spécialistes pas toujours prises en charge par l'État et qui coûtent cher (Corine Jamar vit en Belgique, mais en France le problème est le même) . Celui du respect de l'autre quelles que soient ses différences. Les thèmes de la naissance, la vie, l'amour, la mort, la jalousie, le désespoir, l'envie, ... tous sont également présents dans ce roman.
Construit en petits chapitres, ce roman ressemble à un journal d'une maman de handicapée, ce que Corine Jamar est. C'est l'histoire d'une mère qui ne peut se résoudre à laisser sa fille handicapée, qui est totalement débordée par le travail qu'Emma lui demande et qui jamais ne songe à déléguer, sûre d'être la plus à même de s'occuper de sa fille et qui ne voit pas qu'elle est proche de l'épuisement non pas professionnel mais personnel. C'est du vécu romancé et surtout mis en mots avec humour. Parce que l'humour fait passer les messages mieux que n'importe quel autre canal. Pari osé parce qu'il n'est pas simple de faire rire avec le handicap. Pari réussi.
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