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Déca-l'âge

Couverture du livre « Déca-l'âge » de Claude Rutault aux éditions 369 Editions
Résumé:

Le volume manuscrit intitulé décal'âge, ici reproduit en fac-similé, se situe dans le registre des écrits intimes, des réflexions de travail, des journaux de pensée. On y retrouve le ton de Claude Rutault, sa familiarité avec la littérature, la densité méditative de sa réflexion... Voir plus

Le volume manuscrit intitulé décal'âge, ici reproduit en fac-similé, se situe dans le registre des écrits intimes, des réflexions de travail, des journaux de pensée. On y retrouve le ton de Claude Rutault, sa familiarité avec la littérature, la densité méditative de sa réflexion quotidienne.
Claude Rutault est mieux connu comme artiste que comme écrivain. C'est assez paradoxal car on pourrait dire de lui, comme on le fait de certains architectes, que c'est un « artiste de papier ». En effet, ce qui constitue le principe de son oeuvre depuis 1973, est un vaste ensemble de protocoles écrits à partir d'une définition radicale du tableau : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée ».
Dans l'histoire analytique de la peinture moderne, deux artistes auront su aller au-delà de la butée monochrome : Niele Toroni et Claude Rutault. Le premier avec ses empreintes de pinceau numéro 50 espacées de 30 cm, le second avec ses notices descriptives ou prescriptives qui délèguent et déterminent la tâche du « preneur en charge », autrement dit de qui (personne ou institution) se charge de réaliser une « définition/méthode », c'est la formule de l'artiste, en appliquant son programme.
C'est dire l'importance de la lecture et donc de l'interprétation du texte dans l'oeuvre de C. Rutault. C'est dire surtout qu'il faut prendre cet artiste « au pied de la lettre ». Il est probablement le seul dans ce cas de figure. Cela ne signifie pas que l'on puisse réduire son oeuvre à un corpus conceptuel qui pourrait se passer de toute actualisation plastique, de toute « mise en oeuvre » physique. Une « définition/méthode », contient tous les possibles d'une oeuvre mais elle ne saurait en tenir lieu. Elle en est la condition de possibilité, une condition nécessaire et insuffisante puisqu'elle ne saurait tout dire de chaque possible qu'elle suppose. Le réel qui s'en déduit l'excède littéralement : « chaque nouvelle lecture / entraîne / la peinture ailleurs » (p. 136) En cela, l'oeuvre programmatique de C. Rutault est aussi à lire comme une expérience littéraire des limites du langage.
De même que l'artiste n'a pas cessé de peindre pratiquement depuis qu'il a mis en place son dispositif descriptif/prescriptif (il a par exemple repeint, c'est-à-dire recouvert d'une couche monochrome grise ses anciens tableaux « figuratifs » ; il a aussi réalisé lui-même certaines de ses « définitions(méthodes »), de même a-t-il eu toujours soin de réviser son oeuvre « définitionnelle », amendant, augmentant, redistribuant son corpus assemblé successivement en deux volumes parus en 2000 et en 2016.
Cherchant à réduire la peinture à sa plus simple expression, C. Rutault s'est engagé dans une interminée/interminable entreprise de déploiement discursif des variations possibles à partir de son thème initial. C'est ainsi qu'on peut lire ce massif textuel comme l'ekphrasis du musée imaginaire de son « travail ». Le lecteur y devient visiteur d'une rêverie contemplative qui s'attache à tous les aspects de l'oeuvre d'art : constituants, contextes, conditions, etc.
Il y a un ton propre à C. Rutault, on pourrait aussi dire un style de pensée, tout en retenue méditative, ressassement, variations de focale, adossement historique, généralisation intempestive, reprises inépuisées, auto-analyse, inquiétude productive, inlassable : « la phrase prendra appui sur l'effacement / de celle qui l'a précédée » (p. 13). On retrouvera ce style dans déca-l'âge dont c'est ici le fac-similé fidèle. Un volume entier de notes, un cahier de pensée, une traversée des nuits de réflexion entre sommeil et insomnie, rêve et rationalisation.
Le lecteur suivra, par-dessus son épaule, l'artiste au travail sur la partition, manuscrite au jour le jour, de son écoute intranquille : « j'aime écrire avec un stylo à plume, à l'encre noire sur un papier blanc » (p. 9). C'est l'antichambre des textes à caractère fictionnel que C. Rutault a écrits en marge du « livre » absolu des « définitions/méthodes » et par lesquels il poursuivait la peinture par d'autres moyens. Un livre d'heures décalé, patient, sévère, serein, intransigeant, « en attendant la fin du monde » (p. 13).

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