Dans plusieurs interviews, Douglas Kennedy a présenté ce roman comme étant le plus personnel qu'il ait jamais écrit. Dès lors, fort de cette information, la lecture du roman s'accompagne d'une recherche inexorable, celle d'identifier les parties du récit qui peuvent être assimilées à des...
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Dans plusieurs interviews, Douglas Kennedy a présenté ce roman comme étant le plus personnel qu'il ait jamais écrit. Dès lors, fort de cette information, la lecture du roman s'accompagne d'une recherche inexorable, celle d'identifier les parties du récit qui peuvent être assimilées à des éléments autobiographiques. Où commence le JE du narrateur, où s'arrête le JE de l'auteur ? C'est une question qui n'a cessé de me hanter durant la lecture bien évidemment du fait des déclarations de Douglas Kennedy, mais également, car le personnage, Thomas Nesbitt, présente un mode de pensée auquel l'écrivain nous a peu habitués.
Le roman se déroule à deux époques bien distinctes et en des lieux différents même si, fils de la narration obligent, tout cela va finir par s'entremêler pour ne former plus qu'un. Au début des années 2000, un écrivain établi, père aimant et aimé, mais en proie à une vie conjugale qui vit ses derniers instants, reçoit une lettre qu'il pensait ne jamais recevoir, une lettre qui va faire revenir brutalement un passé sur lequel il avait posé une chape de plomb.
Plongé dans les souvenirs de Thomas Nesbitt, le lecteur se retrouve en pleine Guerre Froide, à Berlin ouest durant les années 1980. À l'époque, Thomas est un jeune écrivain, insouciant, un Américain un peu caricatural, un peu boy-scout, un peu cow-boy parfois avec une impulsivité qui lui assure des reparties cinglantes, mais qui lui occasionnera quelques problèmes.
Ce qui au premier abord apparaît comme un voyage initiatique assorti d'une histoire d'amour quelque peu mièvre va peu à peu se transformer en un thriller mâtiné d'espionnage avec en toile de fond le mur de Berlin, cette dichotomie idéologique décrite ici avec une vision pro-occidentale qui surprend quelque peu. Ceux qui lisent Douglas Kennedy savent que l'homme parle couramment allemand, vit une partie de l'année à Berlin, ce qui suppose une connaissance étendue du pays. Est-ce l'écrivain ou ce jeune Thomas Nesbitt qui parle de l'Allemagne de l'Est ? Si les méthodes des services secrets de l'ouest sont plus que douteuses et que le narrateur essaie de justifier sa vision occidentale du conflit, l'Allemagne de l'Est n'en est pas moins dépeinte d'une façon un peu arbitraire, un peu manichéenne. En aucune façon, on ne peut nier qu'il valait mieux vivre à l'ouest qu'à l'est, toutefois, il me semble que l'auteur nous donne une vision sans doute trop rose de Berlin ouest et sans doute trop grise de Berlin est.
Ces quelques réserves n'ont pas réellement entaché mon plaisir de lecture notamment grâce à l'avant-dernière partie du roman qui nous permet de revivre les événements d'un autre point de vue, plus factuel, moins émotionnel et qui complète avec intelligence un récit passionnant porté par des personnages attachants. Fidèle à son style, Douglas Kennedy joue avec brio sa partition du roman accessible, mais littéraire, faisant cohabiter les références habituelles - Graham Greene, toujours lui - avec les grandes figures littéraires et musicales allemandes.
"Cet instant-là" s'étire sur quasiment cinq-cent pages, autant de mots, de phrases nécessaires pour démêler l'écheveau de cet amour passionnel sur fond de guerre froide qui ne m'a pas autant séduit que je l'aurais souhaité. Comme je l'ai évoqué plus haut, l'histoire d'amour qui occupe l'essentiel du roman est, dans ses moments les plus passionnés, décrite avec une émotion à fleur de peau, une sensibilité justifiée mais qui tend à flirter avec la sensiblerie. Cette émotivité de tous les instants, Douglas Kennedy essaie de la justifier, en sous-entendant qu'elle émane des états d'âme du personnage et qu'elle est inhérente à la passion véritable. Dès lors que penser de cette astuce romanesque ? Description parfaite des émotions d'un être sensible ou manœuvre habile pour séduire la frange d'un lectorat qui cherche à assouvir à travers les romans de l'auteur ses désirs de romance ? Le mystère reste entier et l'amateur que je suis sur sa faim.