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Tout est cohérent dans cet ouvrage, de l'illustration de la première de couverture, oeuvre du photographe soviétique Boris Mikhaïlov, mettant en vedette une jeune femme aux jambes découvertes, moulée dans un mini-short que l'on discerne à peine, avec pour couvre-chef un semblant de châle faisant office du foulard au regard à la fois perçant et désabusé. Une jeune femme qui hésite entre tradition et modernité. Avec, de surcroît, un titre à la fois cocasse, loufoque et incompréhensible en l'état. Et des textes désopilants, facétieux, d'une naïveté simple en apparence mais pourvus d'une forme de second degré relativement cynique. le tout émaillé par le ton un brin provocateur de l'auteur. Parce que Zakhar Prilepine n'écrit pas là pour plaire, pour donner dans le beau, le bien ou le sympathique, ses nouvelles sont parées en arrière-plan de ce militantisme, qui caractère le personnage. Prilepine est en effet à la tête de l'organisation radicale, le Parti National-Bolchévique, dirigé jusqu'en 2006 par le controversé Edouard Limonov (dont Emmanuel Carrère a retracé la vie à travers son récit Limonov, voila mon billet ici.) Parti qui s'arroge la défense des minorités russes dans les ex-républiques soviétiques et qui s'oppose, par ailleurs, à l'actuel parti en place en Russie, qui le qualifie d'extrémiste. de fait, cela n'étonnera personne qu'il soit interdit depuis 2007.
Un auteur, une couverture, un titre subversifs (Je suis quand même allée vérifier, si vous vous demandez qui a effectué la recherche « boire de la vodka chaude », c'est effectivement moi. Il semblerait bien que boire la vodka chaude soit une hérésie en Russie, puisqu'il serait de bon aloi de la boire – assez, très – fraîche): on commence à mieux cerner ce qui nous attend. Un narrateur ordinaire, ni meilleur, ni pire qu'un autre. Un homme lambda, dont l'une des occupations favorite, c'est de boire, vodka, bière, eau-de-vie quelconque, l'alcool semblant apporter la chaleur qui manque à sa réalité froide, dure et ennuyeuse. Mais derrière cette simplicité affichée, se cache un homme au jugement et regard plus clairvoyant qu'il ne veut bien l'avouer, qu'il tente, selon toute apparence, de diluer dans les litres d'alcool qu'il ingurgite chaque jour.
Tout comme l'homme, l'écriture va à l'essentiel et ne s'embarrasse point de détails inutiles et superflus: aucun artifice, sans fard, tout est à nu, brut, quitte à choquer. Jusqu'à l'utilisation même d'injures, la religion n'est pas épargnée, les blasphèmes y sont légion. Mais Gilka tente de noyer le grotesque de leur existence, sa propre existence, dans un humour noir, décapant, caustique. Comme si l'humour, et cette légèreté, apparente, étaient les seules solutions pour supporter l'inanité de leur vie, l'angoisse anxiogène que font naître ces menaces engendrées par son engagement politique. Tourner en dérision la moindre des situations semble lui permettre de prendre du recul sur son incapacité, la sienne ainsi que celle de ceux qui l'entourent, à pouvoir changer et évoluer, incapacité à avoir la moindre emprise sur le monde.
A travers les aventures de Gilka, nous avons l'occasion d'avoir un aperçu de cette société russe qui s'est reconstruite depuis la fin de l'empire soviétique sous le jour d'une critique acerbe des individus qui la composent. L'air de rien, il y démonte consciencieusement ces apparences de nouvelle et Grande Russie, en fait, corrompue par ses oligarques omniprésents qui ont mis à sa tête un chef de l'Etat omnipotent. La Mère Russie, en fait, dévorée par un capitalisme avide et affamé, lequel, même s'il a enrichi certains, n'a pas tellement bénéficié à la majorité des citoyens russes. Une critique acérée de cette Russie, qui a perdu de sa grandeur, fragile, bringuebalante, maintenue par les mains de fer de l'ancien officier du KGB, un constat assez effrayant d'un monde peu accueillant, gangrené par la mafia, la corruption, entaché par la violence des guerres, la guerre de Tchétchénie, inhérent à ce qu'il est devenu. Un monde, sans père, ou la loi du plus fort a pris le pas sur tout autre contrat social. le choix d'ailleurs d'illustrer le présent roman avec une photographie de Boris Mikhaïlov est plutôt judicieux puisque ce dernier évoque, lui aussi, les laissés-pour-compte de l'avènement du capitalisme. Dans cette série Rouge, il se consacre ainsi à photographier des personnes totalement ordinaires dans un quotidien qui l'est tout autant.
Les titres des nouvelles sont révélateurs – Histoire de pute, Viande de chien – de cette perte de valeurs, de cet univers ou plus rien n'est respecté, tout est moqué, tout à un prix, les icônes – qu'elles soient religieuses ou culturelles, sont déchues, tout est condamné à l'oubli. Comment s'en sortir, dans ce monde incertain, ou les protagonistes ne peuvent plus se raccrocher à grand-chose, ou ceux qui ont encore les moyens de mener une vie correcte ont sombré dans un cynisme insolent, et les autres ont pris le parti de cette acceptation résignée et fataliste de ceux qui n'ont plus les forces de se battre. Ou encore par l'humour grinçant du narrateur Gilka, qui malgré tout, essaie de se raccrocher aux quelques brindilles qui lui restent, ses amis, son frère et lui qui se débattent péniblement pour s'en sortir. Même la Vodka n'y est plus guère estimée, c'est dire.
Cette brutalité est atténuée, fort heureusement, par quelques épisodes ou notre narrateur, désenchanté, blasé, se plait à se remémorer les quelques moments agréables, qu'il a vécu, qu'il a encore l'occasion encore de vivre, au sein de son intimité familiale. La cellule familiale tient lieu de dernier refuge face à un monde, auquel la plume féroce, railleuse de Prilepine, ne fait décidément pas de cadeau: le monde politique, les femmes piégées dans un mauvais mariage ou prêtes à vendre leurs charmes, à la cupidité attirée par tout ce qui brille, les hommes, quant à eux, bons-à-rien, fainéants, indolents, qui ne trouve pas la voie pour s'en sortir ou celles qui ne sont pas vraiment légales. Tout et tous sont salis et pervertis par l'argent, et ce regret de la Grande Russie c'est justement le regret de ces soi-disant valeurs.
Prilepine a choisi la voix de l'humour pour dessiner ses nouvelles, et il n'épargne pas son narrateur qui appartient tout autant à ce qu'il dénonce. Un narrateur fataliste conscient de sa propre incapacité, et celles des autres, à changer les choses, conscient de l'inutilité du combat, qu'il juge ridicule, qu'il s'est fixé, ou le mot même de révolution, qui revêt pourtant d'une forte symbolique en Russie, est tombé dans le sens commun, d'une trivialité pathétique, dévêtue de toute la puissance historique qui était la sienne. Une Russie qui apparaît comme dénuée de la force vitale, qui a fait d'elle le pays culturellement grand, qu'elle est devenue au fil des siècles, aliénée par un président, qui ne manque pas d'en prendre pour son grade, rattachée à des intérêts économiques, qui ne finissent que par profiter pour un petit nombre, ces oligarques, la majorité du peuple russe nourrit par les dernières illusions que le nouveau tsar veut bien lui apporter. Curieusement, jamais l'épouse de Gilka, encore moins sa fille, n'apparaissent dans ces nouvelles, si ce n'est au détour d'une brève allusion, comme s'il tenait à les préserver de ce monde grotesque dans lequel il évolue, les épargner de sa vision pessimiste, sans pitié, de leur vie. le coin de paradis qu'elles représentent toutes les deux, comme une oasis au milieu du désert, reste encore soigneusement préservé de toute intrusion narrative, qui pourrait leur enlever leur innocence.
On le voit, la génération Poutine post-soviétique est une génération qui a du mal à trouver ses marques, ou la religion a perdu son rôle social, perte légitimée par ce communisme athée, reléguée au rang de souvenir avec cette idée de Grande Russie qui, elle, reste gravée dans la mémoire. La nostalgie, les regrets, d'une grandeur, amplifiée par le lavage de cerveau stalinien, une Russie qui semble désormais perdue, et que visiblement un président, qui a trop cédé aux sirènes du capitalisme, ne parvient pas à restaurer. Un témoignage sincère, qui ne s'embarrasse pas de ces mêmes faux-semblants du Kremlin, qui mérite d'être écouté d'où nous sommes, lequel avec le recul des années, se révélera peut-être encore plus criant de vérité. Finalement, si la forme est différente, le fond pas tant que cela, nous ne sommes plus si loin de Gogol et de ses Nouvelles de Pétersbourg par ces destins d'hommes broyés par une société monstrueuse, et ses gouvernants qui le sont plus encore.
Zakhar Prilepine, vous me causez un sacré dilemme. Dans ce livre, quelle est votre part de mauvaise foi ? Vous voulez toujours avoir raison. Ce livre est écrit à l’aune de votre fierté d’être russe et je le comprends pleinement. Votre écriture est belle, elle m’a emballée. J’y ai senti de l’urgence, de la colère. Je ne vais pas vous le cacher, votre écriture peut être jubilatoirement verte : « Vous avez peut-être envie de me mordre. Mordez-vous les couilles chers opposants. Encore que je me demande où vous iriez les chercher. » J’ai, de temps à autre, fermé le livre parce que agacée par vos écrits, votre mauvaise foi. Une fois ma lecture terminée, j’ai laissé les choses se décanter, j’ai repensé à certains passages, à certains ressentis immédiats qui furent les miens.
Oui, la Russie est immense et, comme en Chine, la valeur de l’humain n’est pas la même que chez nous, ce qui est plus difficile à admettre dans nos pays européens. « L’homme russe –sous entendu impérial-, ce sont les espaces sauvages et les horizons inatteignables qui l’ont créé et éduqué ».
Vous pestez contre cette mondialisation qui a pour nom l’ultralibéralisme et je vous comprends. Comme vous, je pourfends cette unification mondiale au nom de la modernité, donc, du capitalisme et du libéralisme. « Le néolibéral mondial a violenté l’Afrique, l’Asie, la Russie et l’Amérique latine et, après ça, il vient parler de tolérance. Menterie et hypocrisie ». « Pourtant l’impression que laisse la lecture du livre (Une semaine en décembre de Sebastian Faulks), c’est que rien ne différencie ces gens de nous autres, pas un cheveu ! Les mêmes soucis, la même absurdité, la même fuite dans les échanges virtuels, la même peur –si ce n’est plus- de perdre son travail ». La période stalinienne n’est pas non plus votre tasse de thé russe. Vous voudriez une société qui ne laisse pas ses vieux sur le bord de la route à mendier pour manger,
Sans faire de bruit, je vais passer sur le garçon de café français pour parler d’un sujet qui vous fâche (encore un !), les maisons de retraite. Et oui, cher Monsieur, en ville les appartements sont plus petits, les enfants travaillent, sont devenus citadins, ont besoin de leur liberté… Oui, oui je sais « les maisons pour personnes âgées sont une réalisation bien connue des pays dits civilisés. Dans les sociétés traditionnelles, autrement dit, la société attardée, elles sont bien plus rares. Jusqu’à des temps récents, nous étions manifestement une société attardée. »
Un de nos chanteurs français, que j’aime beaucoup, Jean Ferrat a chanté cette désertification des campagnes. Cela remonte aux années 60 ! « Les jeunes veulent aller au bal, il n’y a rien de plus normal que de vouloir vivre sa vie ».
Vous rouspétez après la sédentarisation des jeunes, l’obésité qui les gagne, l’oisiveté, les jeux en ligne… Contre la baisse de la natalité, contre les femmes qui travaillent, contre l’avortement…
Dites, Monsieur Prilepine, seriez-vous contre le travail des femmes ? Il me semble me rappeler que, du temps de l’URSS, les femmes travaillaient déjà. Lors d’un voyage, tiens, juste au moment de l’explosion nucléaire de Tchernobyl, mon mari et moi avions sympathisé avec notre guide (qui ne s’appelait pas Nathalie !). Elle travaillait, était divorcée (mari ingénieur, mais violent et alcoolique) donc, ce n’est pas nouveau !
Seriez-vous contre l’avortement ? « En Russie, soit dit en passant, on procède à un million deux cent mille avortements par an. Il est clair qu’une partie d’entre eux répond à des considérations médicales, mais ce n’est pas la majorité, et de loin… Il n’existe donc pas d’autres méthodes de contraception ? C’est quoi cet avortarium que nous avons créé ici ? Et votre argument massue « Etes-vous convaincu que vous-mêmes étiez désirés ? Peut-être que vous non plus, il n’aurait pas fallu vous mettre au monde ? » Oui cher Zakhar, je ne fus pas une enfant désirée et je l’ai entendu souvent, trop souvent dans mon enfance pour que cela ne laisse pas de trace.
Vous reprochez à l’homme russe son manque de grandeur, d’ambition : « L’homme n’a plus très envie d’aller dans le cosmos. Même se reproduire ne figure pas vraiment à son programmer. » Vous regrettez son narcissisme : « l’homme russe est tenu d’être beau, pas d’avoir l’air d’une femme américaine. », de se ramollir, de trop manger, de trop penser à lui et pas assez à la collectivité, « Nos désirs pèsent aujourd’hui plus lourd que ne pesaient jadis des villages entiers avec tous leurs habitants. » Vous réglez vos comptes avec les media, surtout le contenu de la nouvelle télévision russe (vous savez, l’uniformatisation nous a permis de voir de « très beaux » programmes de téléréalité !). Un dirigeant de TF1, une chaîne populaire française disait « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Fallait le dire !!
Vous fustigez votre « classe créative », (dénomination qui recouvre les couches moyennes éduquées se réclamant du néolibéralisme dit la note de Monique Zoldian) nous avons nos bobos. Ce sont les mêmes ou peu s’en faut.
Ce que j’ai aimé plus particulièrement chez vous ? Le soin et l’amour que vous portez à votre famille « Chaque famille nombreuse se sent comme konioukhov au milieu de l’océan. Le bonheur dans les cœurs et tout autour, les éléments déchaînés ». Je suis d’accord avec vous lorsque vous écrivez : « Celui qui a eu une enfance véritablement heureuse… a été immunisé contre le malheur pour la vie entière. J’en suis convaincu. »
Oui, Zakhar Prilepine, je ne suis pas toujours d’accord avec vous, mais vous m’avez ouvert une fenêtre sur votre pays, la Russie. Je comprends que si vous râlez ainsi c’est de voir votre grand pays partir à vau-l’eau. Ce que j’ai aimé dans ce livre ? C’est que vous êtes un homme debout. Au fait, de gauche, oui « Etre de gauche est juste. Etre de gauche signifie être libre et audacieux. Talentueux, ouvert et sûr de soi » ; jeune, certainement puisque non résigné ; méchant, non, plutôt virulent, ironique, mordant, désireux de voir la Russie prendre une autre direction et s’occuper de son peuple.
Autant le livre de Sergueï Chargounov."Une autre idée de la Russie" fut comme un verre de bon bordeaux (j'adore) gouleyant qui laisse un très bel arrière-goût ; autant « De gauche, jeune et méchant » ressemble plus à un verre de gnole qui râpe, mais ne s’oublie pas.
Sur mes étagères m’attend « Le singe noir ». J’espère y prendre autant de plaisir.
On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Zakhar Prilepine, j'y reviendrai plus tard, mais ce qui est sûr c'est qu'il est franc, direct, cru et parfois brutal, et ça c'est plutôt un compliment. Sa langue est sans fioriture et un chat est appelé un chat. Son opposition au pouvoir russe actuel est permanente, argumentée et virulente. Il n'est pas nostalgique de la période URSS -comment pourrait-on regretter les temps staliniens ?- mais il remarque que depuis la perestroïka de Gorbatchev débutée en 1985, et plus particulièrement depuis 1989 et l'effondrement de l'empire soviétique, les Russes vivent moins bien : "Nous nous en souvenons et comment ! Nous n'étions pas bien loin, nous y avons goûté, même que nous en avons gardé un arrière-goût dans la bouche. Ce sont pendant ces années où, pour la première fois après plusieurs décennies, on a vu des centaines de milliers de vieilles gens jetés à la rue faire la manche dans les passages, tandis que des centaines de milliers d'autres retraités défilaient dans les rues en maudissant les "démocrates", en tapant sur des casseroles." (p.163) Certains vivent mieux, les plus riches sont toujours plus riches mais les plus pauvres plus pauvres. Cette ouverture sur l'Occident a chamboulé la société russe, la mondialisation l'a frappée de plein fouet et a laissé beaucoup d'habitants sur le bord de la route. Zakhar Prilepine aimerait revenir à une société plus juste, plus humaine, basée sur les relations entre hommes et non pas sur le profit pour quelques uns, c'est son engagement à gauche, au Parti National-Bolchevique. Je partage largement son avis sur cette question, là où je ne le suis plus c'est sur son nationalisme qui me gène beaucoup : opposer sans cesse les Russes aux Européens, plus ceci ou moins cela, ne me sied point. Il semble oublier ou ne pas savoir qu'en Europe, des voix s'élèvent comme la sienne, mais avec la chance d'avoir des chefs d'état plus démocrates que V. Poutine (moins c'est compliqué). Je n'aime pas le nationalisme en général qu'il soit de France ou d'ailleurs. Je suis heureux d'être français, je suis persuadé que c'est une énorme chance, mais je n'en tire aucune fierté particulière et il ne me viendrait pas à l'esprit, pour attiser l'orgueil national de tirer sur d'autres nationalités. Il me semble que c'est un mauvais calcul, on doit pouvoir faire changer les choses sans se monter les uns contre les autres, sans se construire en opposition.
Autre point qui me dérange, c'est le vieux schéma qu'il a en tête entre les hommes et les femmes. Je ne l'accuse pas de machisme, bien au contraire, il a une profonde admiration pour les femmes et sait le vrai rôle qu'elles tiennent tant dans la famille que dans la société, mais il reste avec l'idée que l'homme doit être fort, viril et évidemment pas efféminé (mais aucune trace d'homophobie dans ses propos).
Il sait se faite tendre lorsqu'il parle de sa famille, Les trois âges de la vie d'un homme est une chronique poétique et très bien vue sur l'éducation des enfants, tout à fait en phase avec ce que j'en pense et ce que j'essaie de faire à la maison. Beaucoup d'autres points qu'il aborde méritent attention et réflexion à laquelle il participe en donnant son point de vue.
Bref, je ne suis pas toutes les idées de Zakhar Prilepine mais, j'en conseille très fortement la lecture, pour voir une autre facette de la Russie que l'on croit trop souvent soumise à son président, pour lire des textes forts bien troussés, bourrés de références russes -expliquées en bas des pages- qui tirent sur tout le monde et dressent le portrait d'une société russe qui va mal, et sans doute plus globalement d'une société mondiale qui ne se porte pas mieux.
Ces chroniques écrites en 1999 et 2011 sont de diverses longueurs, d'intérêt varié et de compréhension plus ou moins évidente. Ce sont des articles politiques, Zakhar Prilepine est très engagé contre le régime actuel, contre les libéraux et l'ouverture au capitalisme sans garde-fou, sociétales, sociales, littéraires, selon les humeurs et les envies de l'écrivain. Elles ont toutes en commun de parler de la Russie d'aujourd'hui, parfois sur un mode revendicatif, parfois en parlant de l'histoire de ce pays et de ses habitants pour mieux tenter d'expliquer les raisons pour lesquelles selon lui, le capitalisme sauvage de ces vingt dernières années ne fonctionne pas. Z. Prilepine ne prétend pas avoir raison, il prétend avoir des opinions, des avis ni plus légitimes ni moins que les avis des gouvernants actuels, et souhaite les exprimer sans crainte pour lui ou pour les siens. Car en Russie, il ne fait pas bon être contre V. Poutine : contrôles fréquents, intimidations pour les actes les plus insignifiants.
Ces chroniques sont un excellent moyen de se faire une idée non passée par le filtre des médias et politiques occidentaux : on est avec quelqu'un de l'intérieur, comme disait Francis Cabrel qui n'a rien -enfin peut-être m'avancé-je- de russe mais c'était juste pour montrer l'étendue de ma connaissance en matière de chanson française ! Z. Prilepine vit en Russie avec femme et enfants, il participe à la vie littéraire, intellectuelle, politique de ce pays qu'il aime tant, au point parfois de virer carrément nationaliste, et là, j'avoue que je coince un peu ; bon, du chauvinisme, pourquoi pas, on aime bien dire du bien de son pays quand il le mérite, mais dans quelques chroniques je trouve qu'il va un peu loin. Ceci étant, la Russie a été tellement décriée que tenter de la rétablir aux yeux de tous est une tâche quotidienne à laquelle s'emploie aisément l'auteur. Il reste fidèle à ses idées qui sont de ne pas jeter tout le passé de son pays avec Staline et ses millions de morts.
Dans ses écrits, il n'est pas tendre, ni avec Gorbatchev ou Eltsine que nous voyons en Occident comme les précurseurs de l'ouverture du pays à la liberté, ni avec V. Poutine, ni avec les apparatchiks du pouvoir actuel ou les courtisans. Il peut cependant l'être dès qu'il parle de sa vie d'enfant, de sa bien-aimée et de ses enfants et de son pays, de sa culture. C'est un livre instructif, parfois excessif qui me renvoie une image assez fidèle de celle que j'avais avant du peuple russe : "Je raconte qu'il existe un mythe sur l'attirance intime des Russes pour une main de fer, le despotisme et la tyrannie. Mais que les Russes se rappellent et n'apprécient pas moins la clémence de leurs dirigeants que n'importe laquelle de leurs décisions autoritaires." (p.81) Un mythe qui n'en est pas vraiment un, comme il le montre dans ces textes : son peuple aime avoir à sa tête des hommes forts, puissants qui savent montrer qu'ils ont de l'audace et qu'ils n'ont pas peur, il aime aussi les voir humains, et c'est sur ce paradoxe que Vladimir Poutine forge sa stature et son pouvoir qu'il n'est manifestement pas prêt de perdre au vu des derniers événements en Crimée particulièrement et plus largement en Ukraine.
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