Un livre tout en pudeur et retenue.
Un livre tout en pudeur et retenue.
Qu’a-t-il choisi dans le cours de son existence ? Pas grand-chose. A 17 ans, en 1921, François s’est engagé dans l’armée, « déjà fataliste » : « On verrait bien. » Il a servi en Allemagne, au Maroc, au Tonkin, tôt rejoint la France libre, puis assisté, en Indochine et en Algérie, au délitement de ce qui avait été l’empire colonial français. « Tout ce en quoi j’ai cru, tout ce pour quoi je me suis battu, n’existe plus », note-t-il, à l’heure des bilans. Sa vie familiale n’a jamais été un réconfort, marié sans trop savoir pourquoi à la terrible Yvonne ; ils ont eu deux fils, élevés à la haïr, et une petite fille emportée par une méningite à 2 ans. Son seul bonheur a été l’amour secret qui l’a lié à Jeanne, qui l’a accompagné dans ses affectations, et dont il a eu un fils, vu une fois, tout petit. A 70 ans, voilà François enfin veuf. Et si, « cœur racorni », il fait le compte de ses défaites, et s’il croit le temps des projets passé, il écrit tout de même, après des années de silence, à Jeanne. On verra bien…
François était le père de Xavier Houssin (collaborateur du « Monde des livres »), qui lui consacre ce bouleversant L’Officier de fortune. Après 16, rue d’Avelghem (Buchet-Chastel, 2004) et La Fausse Porte (Stock, 2011), l’écrivain continue de combler les silences de l’histoire familiale et de la mémoire avec une délicatesse remarquable – et une infinie justesse.
Réparer ce qui peut l’être
C’est à la première personne que François délivre son récit, s’efforce de « faire tenir ensemble les phrases et les temps, de reprendre le fil ». A la première personne qu’il raconte cette traversée du siècle, ses illusions militaires et coloniales perdues, ses regrets et ses « remords fuyants », mais aussi le lien ravaudé avec Jeanne, qu’il finira par épouser, et avec « le garçon », âgé de 18 ans lors de leurs retrouvailles. Lequel, quarante-cinq ans plus tard, lui prête le concours de ses phrases brèves, si reconnaissables. Elles parviennent à dire tant de choses sur les chagrins d’un homme qui ne s’est jamais épanché, sur une vie ballottée par les événements, mais aussi sur l’envie, au soir de sa vie, de réparer ce qui peut l’être, de trouver le courage d’être heureux.
Poignant hommage à ce père tard connu, L’Officier de fortune est aussi, en creux, une évocation magnifique de Jeanne, à laquelle Xavier Houssin avait consacré La Mort de ma mère (Buchet-Chastel, 2009).
Coup de poing, coup de cœur !
Pour le poing :
L’officier de fortune donne la parole à un type de personnage qu’on ne trouve plus guère dans la production littéraire contemporaine : le soldat de carrière. Il a longtemps fait contre mauvaise fortune bon cœur, incarnant ces soldats issus des classes populaires, valeureux et obéissants qui ont traversé le vingtième siècle en faisant front pour finalement constater que leurs efforts, leurs sacrifices, leurs camarades disparus, leurs vies saccagées n’ont pas servi à grand-chose. Ils avaient combattu vaillamment, souvent pris le dessus sur l’adversaire pour, la plupart du temps, devoir se retirer, abandonnés par les politiciens, dans l’indifférence générale.
L’amertume du personnage, on la ressent de la première à la dernière page : « En 1928, à vingt-cinq ans, je débarquais au Maroc. Notre monde alors était immense. Mais voilà. Tout ce en quoi j’ai cru, tout ce pourquoi je me suis battu, n’existe plus. »
Pour le cœur :
L’auteur réussit à raconter un père dont il n’a fait la connaissance qu’à vingt ans, avec lequel il n’a eu que très peu d’échanges et dont il ne connait que ce que sa mère a pu lui en dire. Et pour ce faire, c’est le père qui parle, revivant en phrases courtes, comme l’avare de mots qu’il a toujours été, sa vie, ses échecs, son amour sacrifié et ce fils inconnu à peine croisé.
Est-il encore temps d’être enfin un peu heureux auprès de l’amour de sa vie ? De faire la connaissance du fils caché que le narrateur appelle pudiquement « le garçon » pour bien marquer, me semble-t-il, cette impossibilité qu’il a (qu’ils ont ?) à effacer les années perdues, l’absence et l’ignorance mutuelle. « Demain… j’aurai soixante-dix ans… j’ai pensé à l’âge, à ce qui me restait. Un an ? Cinq ans ? Dix ans ? Pas de quoi faire des projets en tout cas. »
« Il fallait bien que l’on fasse enfin connaissance tous les deux. Et que l’on se parle. Mais pour se dire quoi, grand Dieu ? »
Autant le dire tout de suite, c’est une grande réussite, pleine de sensibilité, de finesse et d’émotion. L’hommage d’un fils à un homme qu’il n’a pas connu mais auquel il redonne la parole et la vie le temps de ce court récit. Avec beaucoup de pudeur et de retenue, Xavier Houssin nous conte une vie aventureuse, une passion amoureuse contrariée, une fidélité au drapeau et à la famille très mal payée en retour et aussi cette distance impossible à réduire avec « le garçon », lui, ce fils qui n’en sera jamais vraiment un du vivant de son père.
A titre posthume, l’auteur rend un bel hommage à son père pour lequel il hisse une dernière fois les couleurs. Je recommande vivement ce très court et très fort roman, qui m’a particulièrement touché, et auquel je n’ai trouvé qu’un seul défaut qu’il me faut à présent préciser.
N’ayant aucun talent littéraire, doté d’un style que mes professeurs de lettres ont souvent qualifié de « lourd », j’ai toujours été à l’abri de la folle idée, traversant tant d’esprits fragiles, de m’imaginer capable de raconter une histoire susceptible d’intéresser le moindre public. Je me dois donc de dénoncer le caractère pernicieux de ce roman extraordinaire dont la puissance, si je n’y prenais garde, serait de nature à me faire changer d’avis, tant j’y ai retrouvé des pensées, des interrogations, des émotions déjà éprouvées pour avoir moi-même connu et perdu un autre officier de (mauvaise) fortune à la trajectoire professionnelle et sentimentale équivalente. Nous nous étions très peu fréquentés pendant mes vingt premières années. Je n’ai réellement fait sa découverte qu’un mois avant sa mort… Mon père.
L’auteur raconte avec nostalgie et amertume son passage de l'enfance à l'adolescence dans un collège religieux dans les années 60. Les déceptions adolescentes nous font grandir trop vite, vraiment trop vite...
Xavier Houssin est né à Paris en 1955. Chroniqueur au "Monde des livres" et dans la presse hebdomadaire, il collabore également à l'émission "Jeux d'épreuves" sur France Culture.
Il est également l'auteur, aux éditions Buchet-Chastel, de trois romans : "La Ballade de Lola" (2003), "16 rue d'Avelghem"(2004) et "Le premier pas suffit" (2005).
Dans ce récit, l'auteur raconte avec justesse et des mots simples le décès de sa chère mère de 88 ans : "C'est fini. Ses yeux étaient fermés. Oh, mon Dieu, nous y sommes. Minuit moins vingt minutes. J'ai entendu de moi sortir un long cri rauque. Je me suis effondré sur le lit en pleurant".
Ce texte touchant alterne présent et passé. L'hospitalisation avec la perfusion, la respiration difficile : "elle était immobile, les yeux ouverts sur rien, un bras contre son flanc. L'autre piqué d'une aiguille maintenue au sparadrap à la saignée du coude". Et plus tard la préparation des obsèques et l'enterrement : "Encore une journée de formalités diverses. Démarches à la mairie. Soins de conservation […] Le curé de Saint-Pair concélébrait la messe […] Nous avons récité les dernières prières".
Le récit est entrecoupé de beaux souvenirs d'enfance que Xavier Houssin a partagé avec sa mère à Senlis (Oise) et en Normandie.
Le narrateur est désormais confronté à une épreuve difficile celle du deuil, l'absence de sa mère. Hélas, le poème déchiré de Claudel (faisant office de tombeau) jeté dans sa tombe n'y changera rien : "J'ai déchiré le texte de Claudel en tout petits morceaux. Les ai laissés tomber dans la terre de sa tombe. J'enveloppais de mots ma mère disparue. Mon Dieu qu'il faisait beau. C'est fini. C'est fini".
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