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"La question est sans réponse a priori.
Comment, lorsque gronde la colère des faits, affirmer autre chose que ce qu’il est commun d’entendre ? Éviter l’hyperbole au profit de la mesure ? Comment défendre ce que l’opinion nomme un monstre ?"
Ce qu’il est commun d’entendre et de penser, c’est qu’un homme qui a martyrisé physiquement, psychologiquement son propre enfant durant des années, qui l’a tuée, ne mérite pas d’être défendu.
Perpet’ et qu’il s’estime heureux. Perpet’ et que ses codétenus lui en fassent baver au moins un dixième que ce qu’il a fait endurer à sa progéniture.
Comment un avocat peut-il défendre un monstre ? Pourquoi accepte-t-il cette mission au risque de devenir l’allié du monstre, être celui qui travaillera à alléger la peine d’un père bourreau qui n’a eu aucune indulgence envers une enfant, la sienne, qui elle, n’a bénéficié d’aucune défense.
Car enfin, rien n’oblige un avocat à être celui du diable.
L’auteure a été commise d’office. Elle aurait pu refuser, bien sûr. Mais elle va accepter d’approcher cet homme immense, déglingué, armé de deux pognes gigantesques, les armes du crime. Parce que la défense est un droit, pour tout un chacun, parce qu’elle a choisi le pénal et que si elle est consciente que dans cette affaire, elle peut y laisser des plumes et sa clientèle, il lui faut se frotter à ce que l’humanité trimballe de plus noir pour tenter, non pas d’accepter, mais de comprendre, un peu.
"Je deviendrai au fil des audiences le salaud d’avocat. La doxa a toujours raison. Alors, pour conjurer l’opinion, je me suis dépêchée de trouver un sens à votre défense, avant que ce qui nous faisait converger l’un vers l’autre ne tourne à l’hostile.
J’ai commencé avec vous par la fin, puisque vous reconnaissiez l’ensemble des faits, que vous étiez coupable et responsable de vos actes. Commencer par la fin, c’était le sens de votre histoire, celle qui allait devenir la nôtre.
Cette histoire que vous aviez débutée sans moi, dans laquelle j’allais m’insinuer par obligation et tenter d’y inscrire une suite."
L’homme a tout avoué. Il se qualifie lui-même de monstre. Il veut perpet’. Il tente même d’inviter son avocate à se dessaisir de ce dossier immonde. Il ne mérite plus rien.
Nous voilà plongés dans les rencontres entre l’avocate et le client. Dans les reconstitutions, les audiences, dans l’horreur brute, dans les fragments d’humanité qui remontent, parfois, à la surface, mais que le client refuse d’utiliser comme d’infimes éléments de défense.
Elle garde la juste distance. Elle encaisse.
Et la mère ? C’est pire. Mais il la couvrira, parce que le monstre est amoureux fou. Se dessine alors le portrait d’un homme qui n’est pas né monstre, mais qui l’est devenu.
Une autre question émerge : l’homme est-il un monstre ou est-il est un homme qui a commis des actes monstrueux ?
L’exhibition des faits, dans ce récit, nous est épargnée. Il aurait bien sûr été tentant de décrire par le menu les sévices infligés, le coup de grâce, le corps planqué, le silence… Rien de tout cela n’a été employé par l’auteure pour appuyer là où ça fait mal. Mais rien n’a été caché non plus. Tout est direct, abrupt, sans empathie pour le coupable, sans haine non plus.
La plaidoirie est d’une justesse, d’une justice impeccable. Et justice a été rendue. À aucun moment, la petite fille n’a été oubliée par celle qui a défendu son meurtrier, son papa.
À travers ce récit adressé au coupable, l’auteure s’autorise à parler à cet homme, comme il lui était impossible de le faire quand elle était son avocate. En s’adressant à lui, en l’humanisant dans la mesure du possible, elle nous parle, à nous. Elle plaide sa cause à elle, à celle de ses confrères, ceux qui acceptent ce qui semble inacceptable, ceux qui défendent, en leur âme et conscience.
La question, aujourd’hui, a trouvé quelques réponses.
Ce récit est le juste pendant du livre d’Alexandre Seurat « La maladroite » chez le même éditeur.
Il s’agit de l’affaire Marina Darras Sabatier, enfant tué par ses parents à l’âge de 8 ans, épilogue d’une vie de martyre et d’un grand n’importe quoi des services sociaux.
Véronique Sousset, directrice d’établissement pénitentiaire décide en 2008 de devenir avocate au pénal. Et elle nous livre son expérience puisqu’elle a été chargée de « défendre un monstre ».
« Avant, il a fallu refaire le chemin de l’horreur, coup pour coup. Consentir à ne rien comprendre. Courir ce risque. Ecouter votre langue, saisir vos mots, les prendre en charge, mais reconnaitre d’abord leur étrangeté. Durant de longues années, sur l’autel de votre amour propre et de celui bien plus sale de votre amour conjugal, vous avez, avec votre femme, frappé, insulté, séquestré votre enfant. »
Le lecteur comprend d’emblée que le droit d’être défendu sera omniprésent que cela n’a rien à voir avec la recherche d’excuses mais qu’il s’agit de comprendre pour ceux qui ont la lourde tâche d’être dans le jury mais aussi pour que l’accusé comprenne ce qu’il a fait.
Cet homme a été déclaré « sain d’esprit » et d’intelligence normale voire plus, alors…Comment en est-il arrivé là ?
En creux l’auteur nous dit l’impact au jour le jour qu’il y a sur sa vie quotidienne, ce qu’il lui faut d’énergie pour faire son métier. Les codes qu’il faut trouver. L’accusé n’a pas la même facilité à manier le langage.
Le lecteur progresse avec la défense et l’accusé, sans jamais oublier Marina ni son calvaire. Mais ce qui est mis en exergue c’est la complexité humaine, il n’y a pas de place pour le « c’est blanc ou noir » non la gamme des nuances grises est infinie.
Lorsque l’accusé apprend que l’avocat désigné d’office a renoncé, il demande à Véronique Sousset « Pourquoi ? C’est compliqué mon affaire ? » sur le moment on manque d’air puis plus tard certains voiles tombent.
Le récit de la reconstitution est juste effroyable, et à un moment votre défense fait sens : « Je me dissous dans ma fonction. Je vous tends un mouchoir et vous demande impassible de vous concentrer. Vous êtes un pantin et j’aperçois les ficelles qui vous tiennent. Enfin je vous vois, enfin vous comprenez, enfin vous me confirmez que je ne suis pas là pour rien. »
Devant nous se déroule une vie, des vies, l’horreur, l’indicible qui fait jour, les méandres dans lesquels on se noie.
Je crois que la lectrice que je suis n’a respiré normalement qu’une seule fois, lorsque parmi les gens qui vous ont côtoyé au cours de votre vie, un seul s’est présenté pour dire celui qu’il a connu : « il dit à la barre que vous êtes son meilleur ami, qu’il n’en a plus eu depuis, que c’est normal qu’il vienne témoigner, que c’est la vie. » et la réponse de l’accusé nous explose en pleine face « Non, Frédéric, ce que j’ai fait c’est pas la vie… »
Je vous laisse découvrir la plaidoirie qui justifie la défense de tout individu, car il y a un homme derrière. A la fin de ce récit, nulle envie de pardonner, d’excuser, pas d’empathie avec l’accusé, il y a juste un homme devant nous et une femme qui va au bout de son engagement.
Merci Véronique Sousset de nous éclairer avec ce récit tracé droit comme un sillon vers « La foi qu’on doit garder en l’homme ».
En chapitres courts, avec des mots choisis pour une sobriété de bon aloi, vous aussi vous avez redonné une vie à Marina, cette enfant qui, un an avant de mourir, à déclarer aux gendarmes : « Papa et maman sont gentils. Non, ils ne s’énervent pas, sauf si je fais des bêtises, mais c’est rare. Je tombe souvent ou je me chamaille avec mes frères et sœurs. »
©Chantal Lafon- Litteratum Amor 09 mars 2017
Souvenez-vous du terrible livre d’Alexandre Seurat "La Maladroite" (éditions du Rouergue août 2015) qui racontait comment, malgré les multiples signalements des institutrices, les démarches des services sociaux et de la gendarmerie, une petite fille, maltraitée par ses parents, avait fini par succomber sous les coups de ces derniers. Ce texte m’avait beaucoup touchée et j’en garde encore une profonde impression de malaise face à l’inefficacité des uns et des autres pour sauver une enfant en danger. Je ne condamne personne, ce serait trop facile, néanmoins, face à l’horreur absolue, on se dit toujours que le pire aurait pu être évité.
Lorsque j’ouvre "Défense légitime" dont le sous-titre est : « Défendre un homme que l’opinion considère comme un monstre. Le récit bouleversant d’une avocate », je ne sais rien du lien entre le livre de Seurat et celui que je m’apprête à lire. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le « monstre » dont il s’agit n’est autre que le père de la petite.
Sur le coup, je l’avoue, je m’interroge sur la poursuite de ma lecture. Je ne pense qu’à l’enfant et à tout ce qu’elle a subi et suis tout à fait incapable d’entendre parler de l’autre, celui que je ne veux même pas nommer tellement il ne mérite plus de l’être. J’ai le livre entre les mains et les mots de l’avocate qui m’accompagnent. Sans eux, j’aurais abandonné, sans eux, j’aurais tout lâché, incapable, seule, d’y voir plus clair, refusant la moindre explication qui ouvrirait une voie vers l’autre que je me refuse à voir. Non, c’est au-delà de mes forces.
Et pourtant, aidée, guidée, tenue par les mots de Véronique Sousset, l’avocate du « monstre », j’avance vers quelque chose qui me semble être une forme de lumière encore bien floue. C’est difficile, j’ose à peine regarder où je mets les pieds mais j’y vais.
Qui est-elle, cette femme, l’avocate ? Oh, surprise ! Elle est comme moi, pas plus capable de supporter l’insupportable que moi. Non, elle n’est pas une superwoman. Elle s’interroge : « Comment défendre ce que l’opinion nomme un monstre ? », comment regarder celui qui se trouve en face de vous et qui a commis le pire ? « Monstre, un des rares mots de la langue française qui ne rime avec aucun autre. Du latin « monstrum » : phénomène singulier avant que de désigner un être qui fait horreur. Je n’en avais jamais côtoyé de si près. J’ai fait sa connaissance. Rien n’efface cette expérience. Abasourdie, on baisse le regard dans un premier temps, puis on lève la tête pour lui faire face. » Elle doit accepter d’être pour les autres « l’avocat d’un salaud » et logiquement, devenir aussi « le salaud d’avocat », accepter « d’entendre l’inaudible », accepter d’écouter, d’échanger avec lui, celui qui se tiendra de l’autre côté de la table. Corps séparés, éloignés, tenus à distance. Lire les dossiers, voir les photos, assister à la reconstitution des faits. « Des heures de questions préparées, de confrontations, pour savoir qui, quand, où, comment, rarement pourquoi. », « Éreintée de cette plongée dans les entrailles de l’humanité, secouée pour avoir ainsi frôlé les bords de votre gouffre, j’ai bien failli chuter. » Elle avance comme une funambule sur un fil, je la suis difficilement, mets mes pas dans les siens, je l’imite mais je tremble. Je regarde ses mains, elle aussi tremble : « Je sens bien que si je me penche sur elle (la petite), je ne pourrai plus vous accompagner. Votre fille est une flamme qui brûle où mes certitudes peuvent aussi se consumer. »
Elle se doit de rester concentrée, maîtriser son corps, ses émotions. « Pourquoi est-ce vous qui reprenez le dossier ?, ne me demandez-vous pas. Je ne vous réponds pas : « Parce que personne n’en veut au barreau. » Ma consoeur a abdiqué pro domo, car comme à tant d’autres, vous faites horreur. » L’avocate est commise d’office, on s’interroge sur sa décision de défendre celui qui a « frappé, insulté, séquestré » et tué son enfant. Pourquoi accepter de le défendre ? Pour comprendre, refaire le parcours du début, de son début à lui, l’homme, de son enfance à son enfant. Chercher la parcelle d’humanité certainement enfouie en lui, la ramener à la surface pour qu’avec le temps, le monstre redevienne homme. « C’est quoi une juste peine ? La juste peine c’est une peine utile, qui répond à ce double objectif : punir et prévenir. Elle devient alors l’instrument possible d’une réadaptation à la société, c’est à ça que doit servir la prison. Car « faire sa peine » comme on l’entend, ce n’est pas laisser s’égrainer le temps, des années comme des bâtons alignés que l’on raye sur un mur de cellule. Faire sa peine, c’est s’en emparer. La prison sera le lieu où Monsieur va continuer le chemin qu’il a commencé vers nous. »
Madame, sachez que non seulement vous avez été lue mais aussi que vos mots viendront dorénavant éclairer ma pensée. Je ne suis pas certaine de marcher toujours bien droit et je crains même quelques rechutes, alors, croyez-moi, je ressortirai votre livre et relirai ces lignes qui m’ont empêchée de renoncer « à la foi que l’on doit garder en l’homme. »
Merci.
Lireaulit: http://lireaulit.blogspot.fr/
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