Au menu : un curieux récit dans un aéroport, une saga familiale aux Antilles et une superbe histoire de l’art pour enfants
Comme vous le savez, nous aimons partir sur les routes de France à la recherche de nouvelles librairies, où nous rencontrons à chaque fois des passionné(e)s qui n’ont qu’une idée en tête : transmettre leur amour de la lecture et partager avec...
Au menu : un curieux récit dans un aéroport, une saga familiale aux Antilles et une superbe histoire de l’art pour enfants
Une étrange histoire en parfaite harmonie avec la magie de l'aéroport.
L'auteure, le livre (280 pages, août 2018) :
Tout petits déjà nos parents nous emmenaient à Orly voir les avions décoller, comme le chantait Bécaud !
Les aéroports sont, avec les gares, des havres privilégiés en dehors du monde et du temps : on y est en transit, toujours entre deux, entre un départ ou une arrivée, une escale ou une autre, les yeux grands ouverts sur un tableau de destinations plus ou moins lointaines ou exotiques.
Des possibles et des futurs, en veux-tu, en voilà, peut-être même que le passé n'existe plus.
Avec Roissy, Tiffany Tavernier (la fille du cinéaste Bertrand T.) nous plonge au cœur de cet univers parallèle, comme on a pu le découvrir dans le film Le Terminal.
Elle dit s'être inspirée d'un article britannique sur une femme sans domicile qui vivait dans l'aéroport d'Heathrow.
Les personnages :
Une femme qui erre jour et nuit depuis des mois dans l'aéroport. On ne connait pas son nom, elle non plus ne sait pas comment elle s'appelle, quelle peut être sa vie, quelle a pu être sa vie d'avant : elle est amnésique, les brumes de sa mémoire laissent deviner un drame.
Il y a là quelques sdf, Josias, Vlad, ... qui ont trouvé refuge dans les sous-sols du T2A, non loin d'un algeco d'Emmaüs qui sert le café chaud.
Et puis les employés du lieu dont elle lit les noms sur les badges et qui lui racontent leurs tranches de vie.
Il y a là Imen, femme de ménage au T2D, Lucie à la pharmacie, Rémi, le recycleur de chariots, Philippe, le chef cuisinier, Viviane, une ergothérapeute du T2E, Anthony maître chien renifleur et sa chienne Ilka, ou encore Kathy, serveuse au Grand Comptoir.
Il y a même quelques "sans-abri cols blancs" qui viennent chercher un abri chaque soir et repartent travailler à Paris le lendemain matin (si, si).
Devant les portes coulissantes des arrivées, il y a là aussi un homme énigmatique qui attend régulièrement l'arrivée du vol AF 445 Rio-Paris (celui qui a remplacé l'AF 447 crashé en 2009), sans doute parce que "chaque matin, lorsque les portes des arrivées s’ouvrent sur les passagers du Rio, c’est comme si tous ressuscitaient".
Le canevas :
L'errance d'une femme seule, amnésique, qui traîne dans les aérogares de Roissy, se lave dans les sanitaires, chaparde de quoi manger à droite à gauche, dévore des bouquins au point Relay et marche, marche, sans cesse comme tout le monde en ce lieu.
Elle s'invente sans cesse de nouvelles vies (faute de connaître la sienne). Elle écoute patiemment celles de ceux qu'elle croise dans ses errances.
♥ On aime beaucoup l'idée :
➔ Un petit bouquin qui capture parfaitement la magie du lieu.
Le lecteur, à l'instar des personnages croisés dans cette déambulation, se prend d'affection pour cette femme au passé mystérieux qui erre de salle d'attente en salle d'embarquement.
➔ On ne peut s'empêcher d'être intrigué par les coulisses de cet aéroport-ville qu'on ne fait jamais que traverser en transit, sans vraiment s'y attarder ni s'y intéresser, pressés que nous sommes de rejoindre une "destination", contrairement aux personnages de cette histoire.
➔ La prose de Tiffany Tavernier est particulièrement bien maîtrisée, laissant apparaître juste ce qu'il faut d'étrangeté et de poésie, jusque à mi-parcours, le récit se laisse malheureusement envahir par les rêveries, les délires et les souvenirs, quand tout bascule, quand les vitres du cocon aéroportuaire se fissurent pour laisser entrer la vraie vie, quand la mémoire revient.
Une oeuvre bien construite difficile de lâcher, le personnage est attachant et émouvant. La voix d'Alice révèle les traitements sous emprises avec une subtilité insidieuse où dans une relation où chaque aspect de la vie est minutieusement contrôlé par son compagnon. Une réflexion sur le comportement insupportable de son conjoint.
La plume est rythmée par une alternance entre des chapitres classique et introspection sous forme de monologue intérieur.
Un portrait de femme, La spiritualité, Violences, Couple et Emprise.
"Elle marche à présent, elle marche vers le pont d'Arcole, où elle espère tomber sur son goéland. Tout est si embrouillé dans sa tête. Elle a besoin de voir l'oiseau planer au-dessus d'elle, raser, bec pointé à l'avant, la surface scintillante des eaux. Partir, tout là-haut, avec lui. Rejoindre l'insouciance du corps animal."
"Chaque jour, elle s'abstient à accueillir un peu plus sa colère, à élargir de paix et de douceur. il fait si bon dans ce lieu clos de sainteté où leur histoire l'amour étincelle. Pourquoi alors son corps ne suit- il pas ? Les nausées ont repris et, certaines nuits, son cœur bat à une telle vitesse qu'elle ne parvient pas à s'endormir."
L’autrice nous emmène dans les profondeurs de Roissy et de ces « invisibles ».
Ils seraient 41 sans abris + le personnage principale qui n’a pas de prénom essayant de se noyer dans les plus de 1,5 millions de voyageurs quotidiens.
Tiffany Tavernier décrit le portrait d’une femme amnésique, fragilisée par un traumatisme survenu 8 mois plus tôt. Elle se réfugie à l’aéroport, il deviendra son cocon, sa protection…
Dans la journée c’est une valse avec le décor et les voyageurs pour ne pas se faire repérer par les 700 caméras qui filment 24h/24h
Au gré des rencontres elle change d’identité, de profession, de destination, de vie.
Jusqu’à la rencontre avec un autre traumatisé, qui lui vit a l’extérieur mais vient tous les jours attendre le vol de 10h de Rio, en espérant ….
Je ne connaissais pas cette autrice, et je ne pense pas que ce sera le seul livre que je vais lire!
L’écriture est nerveuse et parfois en tension même.
Tiffany Tavernier saisit le thème de l’emprise et du harcèlement conjugal dans son dernier roman En vérité Alice. Et, à son habitude, l’autrice le traite de façon très personnelle, mais parfaitement réussi.
Alice, jeune femme dévouée, vit l’amour parfait. L’homme qu’elle aime la comble et la rend parfaitement heureuse. Seulement, Tiffany Tavernier fait l’effort de décrire, point par point, le harcèlement qu’Alice subit.
La solitude de la jeune femme est décrite avec la mise en place de l’emprise. Évidemment, le dénigrement de son conjoint est à l’œuvre. Seulement, Alice garde toujours le désir insatiable de le satisfaire. Néanmoins, il lui renvoie toujours, et sans cesse, sa déception. Car lui, il réclame le statut de victime, par rapport à son passé de maltraité et son présent déprécié. Alors, par amour du sacrifice, comme le démontre son nouveau travail, Alice va devenir sa sainte ! Seulement, y réussira-t-elle ?
Car, Alice vient de trouver un emploi, devant l’insistance de son conjoint. C’est le diocèse de Paris qui lui offre son CDI. Sa mission est d’organiser la section « canonisation » et répondre aux nombreuses sollicitations. Un langage nouveau à acquérir, des collègues baignées par leur bienveillance à découvrir, la vie des saints en modèle, Alice s’immerge dans un milieu social inconnu.
À la croyance d’Alice, Tiffany Tavernier oppose la croyance en Dieu. Est-ce ces nouvelles connaissances, est-ce la proximité de divers saints, qui vont permettre la prise de conscience ?
Aucune raison de le révéler.
Une vision particulière
La nouveauté du point de vue raconté dans En vérité Alice se situe dans ce présupposé que la victime, véritable, se croit comblée. Sa « foi » en cet homme est immense. Mise sur un piédestal, elle dénie complètement l’influence déplorable de son conjoint, l’excuse et même refuse tous éléments qui pourraient la faire douter.
Ce parallèle est intéressant. Tiffany Tavernier démontre la puissance d’une croyance qu’elle soit pour un homme ou pour un Dieu. Son personnage féminin, au centre de cette fiction, montre son aveuglement et le déni inconscient qu’elle utilise. Même la foi des prêtres autour d’Alice n’est pas aussi absolue !
L’amour n’est pas aveuglement même s’il est lumière. L’amour n’est pas don de soi-même s’il demande de s’oublier. La passion quelquefois transcende à l’image de l’histoire du Christ. Mais doit-on aller jusqu’à souffrir et mourir pour aimer pleinement ? Ce sont toutes ces questions que Tiffany Tavernier soulève avec En vérité Alice.
Le talent de Tiffany Tavernier est encore présent avec En vérité Alice pour éclairer de son écriture un portrait de femme, abîmée par la vie, qui s’en remet aveuglément à un homme. Celui-ci abuse de sa confiance, se prenant pour un gourou, un Dieu. L’écrivaine montre que tout est dans l’intention qui provoque la dépendance, l’anéantissement du libre arbitre et la solitude de la personne.
Un vrai régal !
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/07/08/t-tavernier-en-verite-alice/
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