"J’ai particulièrement apprécié l’orchestration de ce roman" ou "j’ai eu du mal à finir ce livre" ?
Alors que parait Il était une ville, son nouveau roman "purement américain, mi-polar, mi ballade désenchantée, remarquable pamphlet pétri d’humanité" comme le définit Jean-François Simmarano, un de nos lecteurs, notre journaliste...
Emilie est libraire à la librairie Mollat, véritable institution bordelaise. Elle nous fait part de ses trois coups de coeur : Les évaporés de Thomas B. Reverdy Daffodil Silver d'Isabelle Monnin Clichy de Vincent Jolit Trois romans de cette rentrée...
"J’ai particulièrement apprécié l’orchestration de ce roman" ou "j’ai eu du mal à finir ce livre" ?
"Évidemment, une bibliothèque "idéale" commencerait par être une bibliothèque bien fournie. 10 titres, c’est une étagère."
Vous aviez envie de les lire, pas encore eu le temps ? Allez, c'est le moment...
Entretien avec Thomas B. Reverdy pour son dernier roman Il était une ville publié chez Flammarion.
Un roman étrange, surprenant et fort bien écrit comme toujours avec Thomas B.Reverdy, c’est un plaisir de le lire …Y est finement amené le parallèle entre la saga évoquée par le jeu de rôles et la réalité, les différents chapitres y sont à lire en alternance.
Nous sommes au cœur du Grand Nord; le récit y est à la fois mythologique, scientifique et écologique … s’y mêle également l’histoire d'un amour contrarié et celle des amis d’enfance
En conclusion j’ai beaucoup aimé ce roman hors des sentiers battus ce qui fait un bien fou …
Lire également La montée des eaux ( exceptionnel ) Les évaporés , l’hiver du mécontentement
De son expérience d’enseignant en Seine-Saint-Denis, Thomas B. Reverdy tire une fiction terriblement vraie qui met en scène, en une seule journée explosive, le quotidien banalement chaotique d’un lycée de banlieue parisienne en voie de ghettoïsation.
Unité d’action, de temps et de lieu : nous sommes dans une tragédie classique mais très contemporaine, qui, pour être inventée, ne nous tend pas moins un troublant miroir de l’actualité. Séquencé d’heure en heure pour épouser le rythme d’un établissement scolaire, le récit nous immerge un jour entier dans un lycée de Bondy Nord, planté comme un îlot dans un courant boueux au confluent de l’autoroute A3, du canal de l’Ourcq, d’une zone industrielle et d’un campement de Roms. C’est à ce carrefour dantesque à deux pas du lycée que se resserre le nœud gordien d’un drame que la violence entreprendra de trancher. Tout commence en ces lieux par une altercation, de bon matin, entre un adolescent et un homme que la rumeur identifie bientôt comme un policier en civil. Tel un empoisonnement se répandant rapidement dans le sang, la colère se met aussitôt à enfler et, le temps que le mot d’ordre inonde les réseaux sociaux, une émeute s’apprête à déferler sur le quartier.
Inconscients du raz-de-marée qui se prépare dans un menaçant crescendo de tension narrative, lycéens et professeurs s’efforcent de leur côté de traverser au mieux cette nouvelle journée scolaire. Plusieurs lignes narratives s’entrecroisent et multiplient les points de vue. Tandis que Mo, un lycéen ni pire ni meilleur qu’un autre, s'évertue à plaire à la belle Sara sans s’attirer les railleries des caïds, que Candice la professeur de théâtre s’attèle dans le chahut habituel à une mission d’année en d’année toujours plus difficile, Paul, un écrivain confidentiel animant pour la première fois un atelier d’écriture en milieu scolaire, découvre en observateur candide les réalités de l’enseignement en banlieue défavorisée. Des classes à l’infirmerie en passant par l'infernal chaos de la cantine, des conversations autour de la machine à café aux réunions syndicales, apparaît par petites touches virtuoses un tableau d’ensemble frappant de justesse et de clairvoyance. Pendant que la proviseure atténue les vagues pour complaire à sa hiérarchie et que la CPE court follement de crise en crise, les enseignants rescapés de la démotivation affrontent la déconsidération, le manque de moyens et l’érosion des ambitions, dans des locaux aussi délabrés que ces quartiers de banlieue laissés à l’abandon.
Lorsque surviendra la déflagration, semblable à d’autres observées dans la réalité, l’on aura déjà saisi, au contact de personnages campés avec tendresse dans toute leur authenticité, leur terrible désenchantement en même temps que le miracle de leur ténacité quand l’effondrement général menace. Aux aspirations et aux talents des élèves résistant à la spirale mortifère du ghetto – à Bondy aussi, les pigeons ne demandent qu’à s’élancer vers le ciel, même s’ils reviennent toujours à leur pigeonnier bâti face au lycée – continue malgré tout de répondre le dévouement d’enseignants refusant de les abandonner. Mais le théâtre brûle, bientôt ne restera plus pour les sauver que le « grand secours », cette vanne anti-incendie qui permet d’inonder la scène...
Oscillant entre découragement et espoir autour d’un sentiment d’urgence, Thomas B. Reverdy signe de sa plume fine et nerveuse un roman du réel, magnifique de poésie et d’intensité, en même temps qu’un formidable hommage aux enseignants qui gardent la vocation malgré un terrible manque de moyens.
Le pont de Bondy, son échangeur, son lycée.
C'est une journée ordinaire, avec son lot de violence.
Il y a les élèves, les profs, les CPE, les intervenants......
Et en une journée il va se passer pas mal de choses.
C'est ça la prouesse de ce livre : 316 pages pour une seule journée.
Beaucoup de détails, de sujets de réflexion.
Des personnages bien cernés.
J'avoue que passer une journée dans un lycée de banlieue ne me tentait guère au début.
Pourtant j'ai suivi avec intérêt cette journée comme les autres, ou presque.
L'écriture est nette, précise, authentique.
On sent le vécu dans cette histoire.
De 7h30 jusqu’à 17h, tout est minuté et localisé par un Thomas B. Reverdy qui m’étonne encore par son sens du récit et sa faculté à embarquer son lecteur, le faire réfléchir, comme il l’avait fait avec L’hiver du mécontentement et Climax, ses deux derniers livres.
Je l’avais écouté avec attention aux Correspondances de Manosque où il parlait de son roman, Le grand secours, livre qui lui permet de revenir au réel, de plonger dans cet univers qu’il connaît bien, le lycée, un microcosme sociétal et romanesque gouverné par l’emploi du temps.
Avec son parler franc et son expérience du milieu enseignant, il m’avait vraiment donné envie de le lire. Aussi, dans ce Bondy Nord dont un croquis permet de comprendre toute l’aberration d’un aménagement urbain défiant le bon sens, il m’a fait vivre une journée qui paraissait, au début, bien ordinaire.
Autour du canal de l’Ourcq, s’entremêlent l’autoroute A3, des routes plus ou moins importantes, des échangeurs saturés et des transports en commun : RER, tramway, métro, bus, très intéressant panorama des moyens de déplacement dans Paris et sa banlieue. Ici, vivent des milliers de gens qui n’ont pas d’autre choix que d’habiter ces immeubles énormes dont l’entretien s’est peu à peu délité.
Tout se passe un lundi de janvier et c’est Mo qui entre le premier en scène. Il regarde le camp de Roms, aperçoit sa prof de français, Candice, qui arrive à vélo car lycée et collège sont tout proches. Un beau lever de soleil éclaire ce début de journée déjà bien chargé en embouteillages.
De son côté, Paul, écrivain, poète, quitte son petit appartement du XIIIe arrondissement pour gagner ce lycée de banlieue où il doit animer un atelier d’écriture. L’auteur n’hésite pas à manier humour et sarcasmes pour compléter sa présentation de Paul.
Les trois personnages principaux présentés, Thomas B. Reverdy peut me plonger dans un récit qui met en évidence tout le drame de ces banlieues surpeuplées ainsi que le naufrage dont notre système éducatif est victime depuis des années malgré quelques ravalements de façade.
Les descriptions et les portraits de ceux qui sont présents sous l’autoroute, à 7h50, sont particulièrement réussis car pleins d’humour et de réalisme. C’est là que tout se déclenche avec une altercation entre un grand costaud et Mahdi, un gros facho contre un lycéen. L’homme frappe, profère des insultes racistes alors que Mo, présent sur les lieux, prend des photos prouvant que l’agresseur est flic, les balance sur Snap après que ce dernier soit monté dans le bus.
S’ensuit une passionnante et édifiante plongée dans la vie du lycée, au plus près de la vie des profs, tous différents. Certains, les plus rares, ont choisi d’enseigner ici mais la plupart n’espèrent qu’une chose, cumuler assez de points pour obtenir un poste ailleurs.
Thomas B. Reverdy, lui-même enseignant, prouve sa parfaite connaissance de la vie d’un lycée, n’oublie pas les surveillantes, la proviseure. Il parle de multiculturalisme, des tenues de filles à la limite des dimensions républicaines laïques, dépeint parfaitement le travail de Candice avec ses élèves. Hélas, le tableau réaliste et désolant de l’évolution des collèges et lycées de banlieue est consternant, tellement juste !
Pendant ce temps, la pression monte à l’extérieur. Certains savent bien envenimer les choses avec l’aide efficace des réseaux sociaux. Malgré toute cette laideur, Thomas B. Reverdy accorde quelques pauses permettant d’apprécier le travail de certains enseignants qui croient encore en leur métier et réussissent à intéresser leurs élèves à la littérature. Surtout, l’atelier d’écriture animé par Paul, grâce à Candice, donne matière à réflexion. C’est d’ailleurs cette dernière qui nous apprend que, dans les théâtres, la vanne anti-incendie est appelée le grand secours.
Humour, tension, poésie, relations humaines, action de la police, Le grand secours offre quantité de ressources pour passionner et informer le lecteur, comme je l’ai été. Voilà un roman qui aurait mérité une distinction de l’un des prix littéraires de cette rentrée. Trop vrai ? Trop dérangeant ? Qu’importe, il faut lire le livre et saluer une fois de plus le talent de Thomas B. Reverdy.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2023/12/thomas-b.reverdy-le-grand-secours.html
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