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Alors ce livre est profondément déroutant : il est empreint d'un vrai élan poétique, d'un tempo léger qui bat au rythme du Japon rural, de la description de ses paysages spectaculaires, de la récolte du riz… D'une certaine manière c'est un véritable éloge de la lenteur !
Ça c'est pour la toile de fond, car pour les personnages, on repassera niveau poésie ! Les personnes qui passent dans ce roman ont tous un truc qui cloche, c'est palpable et en même temps difficile de mettre le doigt dessus précisément ! C'est fou !
Ce paysage paisible rend finalement encore plus criant le décalage, car dès le début on le sait, il va se passer quelque chose…
On ressent une pression très forte, une ombre inquiétante qui plane sur les personnages. Cette tension s'insinue dans l'histoire, au fur et à mesure que l'on entre dans le quotidien de ce groupe d'adolescents aux pratiques barbares, humiliantes et forcément funestes…
C'est un roman redoutable ! Franchement j'ai eu du mal à le lâcher avant de l'avoir terminé.
Roman japonais sur le harcèlement scolaire . Les personnages sont complexes, les bourreaux sont parfois victimes et vice versa. Très beau premier roman.
L’histoire s’ouvre sur un groupe étrange qui progresse dans la forêt, le jour où l’on déverse du feu dans la rivière comme un rituel pour invoquer les morts. Il s’agit d’un ouvrier, suivi par des collégiens, Ayumu fermant la marche, peu rassuré.
Puis retour en arrière, on apprend comment Amuyu est arrivé dans la région : il arrive de Tokyo car son père a été muté à Hirakawa, dans cette région un peu austère, ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il change d’école au gré des mutations paternelles.
Ils sont logés dans une maison, un peu à l’abandon et peu à peu s’y installent et leurs meubles qui paraissaient incongrus au début finissent par se fondre dans le décor. Pour se laver, par contre, il faudra aller aux bains municipaux.
Amuyu est présenté par le professeur principal aux autres élèves de la classe, qui comprend douze élèves, six garçons et six filles et Akira est chargé de lui faire visiter les lieux. Comme à chaque fois qu’il change d’école, Amuyu a du mal à s’adapter au départ car il est réservé voire timide, mais comment pourrait-il en être autrement vu qu’il change régulièrement d’établissement ?
Pourtant, tout commence plutôt bien, Akira désigné comme délégué de classe le désigne pour être vice-délégué, une première dans son existence. Le tandem se met en place, mais Amuyu se rend vite compte qu’Akira est étrange : deux ans auparavant, en proie à un accès brutal de violence, il a frappé Minoru, un autre élève avec une plaque d’égout, lui laissant une cicatrice à la tête il avait dû d’ailleurs s’excuser…
Néanmoins, Minoru semble toujours faire partie du groupe qui comprend également Fujima, Chikano et Uchida. Très vite, Amuyu se rend compte, que leurs relations sont bien plus complexes qu’il n’apparaît au prime abord. Akira a besoin de dominer et de créer des jeux étranges, combat de sumo, voler un couteau à cran d’arrêt…
Il se sert d’un jeu de cartes aux figures étranges pour désigner celui qui fera plouf, autrement dit qui perdra et deviendra le souffre-douleur. Étrangement, cela tombe toujours sur Minoru, et comme c’est Akira qui tire lui-même les cartes on comprend vite qu’il triche…
On assiste à une montée en puissance de la maltraitance au collège et cela dérive vers une violence de plus en plus forte qu’elle évolue de manière insidieuse. On passe des mots aux coups, on maltraite au passage une pauvre sauterelle qui n’avait rien demander en lui versant de l’acide sulfurique sur le corps et en faisant croire aussi à Minoru qu’on lui en verse sur la tête…. Pour atteindre l’apogée à la fête des morts, Okuribi, le 15 août, où tout va basculer, d’où le sous-titre du livre « Renvoyer les morts ».
Tout évolue crescendo dans ce roman : le riz qui pousse au fil des saisons : marécage, puis les feuilles qui apparaissent puis les grains… sur fond de végétation qui change, les relations entre les individus avec les disputes entre les parents d’Amuyu, l’atmosphère se tend, et Hiruki Takahashi sait très bien manier les mots pour faire monter la puissance, la violence…
Je me suis laissée happer par ce texte envoûtant, plein de poésie, écœurée par les actes des collégiens, par l’ignoble Akira et la relative apathie d’Amuyu, mais subjuguée, j’ai continué à lire alors que je déteste la violence, le harcèlement dans les romans…
Le Japon est un pays qui me fascine depuis longtemps, mais jusqu’à présent, mes lectures se limitaient à Haruki Murakami que j’adore, ou Yasunari Kawabata, ou quelques lectures de maîtres Zen ainsi que dans un autre genre, Jiro Taniguchi et ses « quartiers lointains » ou Fuyumi Soryo et sa série « Cesare » sans oublier Ito Ogawa et quelques autres quand même, ne soyons pas trop modeste !
Ce roman de Hiruki Takahashi est le premier à être traduit dans notre langue et il va rester un bon moment dans ma mémoire, il ne va pas être facile à oublier…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman intense et hors du commun et son auteur. J’adore la couverture de ce roman, et en général toutes les couvertures des éditions Belfond…
Je remercie aussi Frédéric qui a si bien parlé de ce roman dans son blog « La culture dans tous ses états et m’a donné envie de le lire.
https://thedude524.com/2020/10/07/rentree-litteraire-2020-okuribi-renvoyer-les-morts-de-hiroki-takahashi-belfond/
#Okuribi #NetGalleyFrance
https://leslivresdeve.wordpress.com/2020/12/19/okuribi-de-hiroki-takahashi/
“Okuribi Renvoyer les morts” deuxième roman de l’auteur Hiroki Takahashi est le premier à être traduit en français (par Miyako Slocombe). Il a obtenu le prix Akutagawa qui récompense des nouvelles ou des romans courts d’auteurs débutants. Et c’est bien entre le roman et la nouvelle qu’il se situe, les anglosaxons le qualifieraient même de novella…
Ayumu, quinze ans, doit régulièrement déménager au gré des mutations de son père. A chaque fois, il doit s’adapter à un nouveau logement, à une nouvelle école et s’y faire des amis. Pour sa dernière année de collège, sa famille quitte Tokyo et s’installe à Hiragawa une région rurale beaucoup plus au Nord. C’est une tradition dans l’entreprise ou officie le père : avant d’obtenir une belle affectation on doit passer par quelques années de purgatoire. L’enfant citadin découvre alors la campagne, des coutumes et des croyances ancestrales inconnues et globalement inquiétantes ainsi que le collège d’une toute petite ville de province et les façons rustiques de ses nouveaux condisciples. Le lecteur avec lui puisque tout le roman est en focalisation interne. L’adolescent qui n’a jamais eu de mal à s’intégrer dans de nouveaux groupes se retrouve dans une classe de douze élèves seulement d’un établissement qui fermera l’année suivante faute d’effectifs suffisants. Et si dans les grandes cités scolaires tokyoïtes, il est facile d’éviter les fauteurs de trouble c’est bien plus délicat quand la classe ne compte que cinq autres garçons ! Dès lors Ayumu ne peut que sympathiser avec la bande des collégiens de 3eme année menée par Akira qui a déjà été sanctionné l’année précédente pour ses accès de violence. Ceux-ci passent le plus clair de leur temps après les cours à se livrer à des jeux bizarres et cruels et Akira, qui se sert d’un paquet de cartes hanafuda pour choisir celui qui devra relever le défi, se débrouille toujours pour que le timide Minoru soit désigné par le sort … Ayumu a déjà été confronté à la violence spontanée et fugitive dans les établissements qu’il a fréquentés auparavant mais n’a jamais assisté à des brimades systématiques et organisées. Devant ce harcèlement, va -t-il persister à vouloir s’intégrer ou bien s’indignera-t-il ?
Le « Ijime » ou « intimidation » est devenu un sujet privilégié de la littérature japonaise. On pensera ainsi à « Heaven » de Mieko Kawakami (paru chez Actes sud en 2016) mais, contrairement à ce dernier roman où le narrateur, nouvel élève au strabisme marqué, se fait harceler par sa classe toute entière, « Okuribi » va à rebours des scénarios classiques. Ici Ayumu, le nouveau dans la région, celui-ci qu’un ancien élève du collège surnomme « le relégué » dans l’incipit, ne sera pas la victime docile que l’on attend. C’est un observateur un peu philosophe qui par ses questionnements va forcer le lecteur à s’interroger sur l'existence du bien, du mal, sur le rapport des forts contre les faibles, la banalité et le non-sens du mal et de la violence, les victimes et les bourreaux, etc…
Takahashi montre que le manichéisme n’a pas lieu d’être : Akira est à la fois bourreau et victime, Minoru semble atteint d’un certain syndrome de Stockholm puisqu’il accepte toutes les brimades avec un demi-sourire et prend parti in fine pour son bourreau tandis qu’Ayumu observe, mais désireux de s’intégrer, n’agit pas. Il y a une sorte de fascination des uns pour les autres, un peu d’homo-érotisme aussi (certaines pages aux bains publics semblent sorties d’une œuvre de Mishima). Moins qu’un roman d’éducation, c’est un roman d’initiation. Les adultes sont étonnamment absents comme s’ils évoluaient dans un monde parallèle. Les professeurs ne s’immiscent pas. Le narrateur quitte la candeur de l’enfance et atteint l’adolescence. Cette mue difficile est symbolisée par celle de l’insecte qui meurt avant même d’avoir réussi à s’extirper de son cocon et qui fascine les garçons.
Cette transformation a lieu entre le mois d’avril (rentrée au japon) et le 15 août, le jour d’ « Obon », la fête des morts. Elle est donc accompagnée de celle de la nature. D’ailleurs, les superbes descriptions des cerisiers en fleur, des rizières verdoyantes et des paysages montagneux vus par les yeux du narrateur permettent une respiration au milieu de la tension croissante des jeux dangereux des collégiens tout en faisant ressortir encore plus brutalement cette violence adolescente et peut-être même la violence institutionnalisée de la société japonaise toute entière. Les brimades juvéniles éclairent en effet d’un jour nouveau la mutation forcée du père (on doit aussi « en baver » pour grandir au sein de l’entreprise) ou le silence des professeurs … Finalement Takahashi, qui ne tombe jamais dans le pathos, dénonce la responsabilité de chacun et pointe du doigt le poids des traditions : l’acmé de la violence se produisant un jour de festival. Il montre également ce que découvre Ayumu c’est la complexité de l’homme et du monde, le côté doux-amer des choses, la beauté et la cruauté de la vie.
C’est un petit roman en pagination mais il est bien plus grand dans tous les échos qu’il provoque ; dans un style simple et dépouillé il donne à voir la beauté de la Nature et les abysses de la psyché humaine. Je remercie l’auteur, les éditions Belfond et Babelio de m’avoir permis de faire cette belle découverte.
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