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Je connaissais essentiellement les Éditions Seghers pour leur poésie, je les découvre maintenant avec ce beau roman, un titre qui m’a donné au prime abord l’envie d’en savoir plus. Stéphane Giusti est un acteur et réalisateur français, il s’agit de sa première publication. À l’évocation de ce Juif rouge, la première idée qui m’est venue en tête fut celle d’un Juif communiste, mais ma culture hébraïque reste à s’améliorer à l’évidence d’autant que le communisme et les religions ne font pas bon ménage. Le Juif rouge est né d’une légende médiévale, le fruit elle-même de plusieurs autres éléments légendaires, véhiculée de génération en génération par des auteurs juifs ashkénazes depuis le XIIIe siècle en Allemagne. Pour citer Wikipédia : « Les Juifs rouges sont de puissants guerriers qui traverseront le fleuve Sambation après l’arrivée du Messie pour libérer le peuple juif de l’esclavage et le venger des milliers d’années d’abus et d’oppression. » Rouge parce qu’il est question de la rousseur des cheveux et de la barbe de ce peuple, et qui contrairement à la fantasmagorie chrétienne renvoie à l’imaginaire qui s’est créé autour du diable, le prince roux, et du mal en général, le judaïsme au contraire revoie à la vaillance et au courage, en référence au roi David (lequel a terrassé Goliath). Par la suite, le terme a surtout servi a désigné ces Juifs de l’Est jouissant d’une liberté manquante aux Juifs européens.
Aaron Tamerlan Munteanu est juif. Il vit en Roumanie, il y est né en 1884 à Galati ville située à la croisée de la Roumanie, l’Ukraine et de la Moldavie. De fait, il aurait tout pour être roumain sauf que son judaïsme l’exclut de facto d’être considéré comme tel, comme l’ensemble de la population juive par ailleurs. Il est très grand, près de 2m20 et il est roux. L’histoire commence pendant la Première Guerre mondiale en Roumanie, face à l’Autriche et l’Allemagne, qui occupe la Roumanie depuis 1916, alors que notre Juif rouge se trouve face à l’ennemi avec Ioan Lupescu, son compagnon de galère, derniers éléments laissés pour tenir leur position face à eux. Face à, justement, une troupe d’Allemands en furie, les deux hommes finissent inévitablement capturés. Tous deux reclus, les choses dégénèrent dans cette intimité forcée, Lupescu crachant sa haine antisémite au visage du grand Juif : Lupescu meurt, Aaron est libéré et fait la rencontre de sa vie. L’homme qui va lui révéler sa destinée, est un dybbouk – dans la mythologie juive et kabbalistique, un esprit ou un démon qui habite le corps d’un individu auquel il reste attaché. Le dybbouk l’éclaire sur la malédiction qui est la sienne, à savoir, errer sur terre pendant l’éternité ( soit l’extinction du dernier homme), un destin sur lequel va s’épancher le récit d’Aaron, du moins sur les quelques décennies qui constituent sa première centaine d’années, le juif rouge, le dernier d’entre eux.
Il y a comme un goût de malédiction faustienne à travers la vie d’Aaron sauf que lui n’a pas vraiment choisi sa destinée, qui le condamne à errer sans fin sur les terres où la population juive pose ses valises – Lettonie, Palestine – et à être témoin de tous les pogroms qui l’anéantissent au fur et à mesure des années, comme il sera le témoin de la Shoah. Ce géant roux est cet être atemporel, polyglotte, qui erre de contrée en contrée et qui constitue cette fable, et la légende du judaïsme, un peu comme le golem. Le côté fantastique, enlevant toute limite d’âge et de frontière, donne de la hauteur à ce récit qui aurait simplement pu être historique, mais qui se veut une vision bien plus globalisante sur la position de l’Homme juif en Europe, avant et après les deux guerres. Il y a ce refus par exemple de sa part de parler Yiddish, la considérant comme un obstacle à l’unification des Juifs, entre ashkénazes et séfarades.
La focalisation interne avec l’utilisation de la première personne narrative rend le style un soupçon désuet très élégant, illustrant un homme du début de XXe siècle qui a grandi au milieu des souvenirs d’un XIXe encore vivaces et la fin des empires dont la Première Guerre mondiale a sonné le glas. Des images qui défilent dans la tête de ce géant qui s’accrochent à elles tant bien que mal à travers les horreurs de la guerre, d’une Mitteleuropa en voie d’extinction, une voix qui rapproche cette guerre de toutes les anciennes guerres qui ont déchiré l’Europe centrale, entre invasions, occupations, et de l’antisémitisme galopant qui exclue cette population de femmes et d’hommes, pourtant tous nés roumains, imprégnés de la langue, de la culture, des mœurs et coutumes du pays, mais qui se voient refuser la nationalité. Et de facto, on prend la mesure des raisons qui ont mené à la naissance de l’état d’Israël, dans la mesure où tous les Juifs ont été ostracisés de leur pays ou territoire de naissance en raison de leur religion, la terre d’Israël- Ersetz Israël, comme le lieu d’une nationalité retrouvée. (...)
Un roman étonnant, s’inscrivant dans la droite lignée du picaresque, pour nous dire le calvaire de la population juive au début du vingtième siècle, des pogroms à l’Holocauste. Aaron Tamerlan Munteanu en est le porte-parole, lui le juif rouge, depuis toujours en marge, remarquable par sa taille, deux mètres vingt-neuf, et sa chevelure de feu. On fait sa connaissance alors qu’il se bat dans les Carpates contre les armées allemandes et autrichiennes. Fait prisonnier en compagnie de son camarade de combat, son destin va trébucher sur des événements anecdotiques mais déterminants : le sort en est jeté, Aaron est condamné à rester prisonnier de ce corps immense pour l’éternité, témoin impuissant condamné à voir se resserrer l’étau autour de son peuple,
Dès les premières lignes, on est capté par la truculence et les provocations du narrateur :
« J’ai toujours rêvé d’être un antisémite »
Mais l’absurde n’est là que pour mieux exposer l’horreur, de la guerre puis de l’acharnement de l’Allemagne hypnotisée par la mégalomanie de son guide spirituel.
Enfermé dans sa malédiction, Aaron va sillonner l’Europe sur les traces d’un avenir qu’il perçoit aussi inévitable que désastreux. Même la Terre promise se révèle être un piège explosif. De rencontres en révélations, le voyage pèse lourd sur les épaules du géant.
Un style remarquable qui éclaire d’un jour nouveau les affres d’un siècle de haine et de folie.
Merci aux éditions Segherts pour l’envoi de ce service de presse numérique via NetGalley France. Cette chronique n’engage que moi.
336 pages Seghers 22 août 2024
#LeJuifRouge #NetGalleyFrance
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