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Dans le prologue, l'Armée rouge se bat contre le Japon sur le front extrême-oriental sur l'île de Sakhaline, au large de la Sibérie. Dans l'âpreté des combats, la caporale Kournikova se souvient que lorsqu'elle étudiait l'ethnologie, elle avait écouté des enregistrements sur cylindres de cire, réalisés par un certain Bronislav Pilsudski sur cette même île : dessus des chants aïnou accompagnés au tonkori ( une cithare ) commentés et datés de 1904. A partir de là, Soichi Kawagoe remonte dans le temps pour nous raconter l'histoire de l'île de Sakhaline, de ses populations ainsi que de ce Pilsudski.
Bronislav Pilsudski, frère aîné de Józef, futur chef d'Etat polonais. Lorsqu'on le rencontre en 1887, il vient d'être condamné à 15 ans de déportation sur Sakhaline, nouvelle colonie russe pour complot contre le tsar, et alors qu'il sombre dans le désespoir des travaux forcés sur cette terre gelée, il est sauvé par sa rencontre avec les Gilyaks, un des peuples autochtones de l'île avec les Aïnous, devenant ethnographe autodidacte. Ces deux peuples sont magnifiquement incarnés, notamment par des personnages féminins fascinants par leur force et leur singularité. Je me suis régalée à aller sur un moteur de recherche pour consulter des photographies de l'époque et notamment celles des femmes aïnous avec le étonnant tatouage labial.
Par sa densité historique, le récit exige un réel effort de concentration, je me suis plusieurs fois perdue. Mais au final, on est récompensé car le sujet est passionnant. On apprend énormément de choses sur l'île de Sakhaline, objet de disputes géopolitiques entre la Russie puis l'URSS et l'empire japonais pour s'emparer de cette territoire, avec comme victimes collatérales, les Gilyaks et les Aïnous, déplacés, spoliés, réprimés, assimilés de force, discriminés par le vainqueur du moment quel qu'il soit. Impossible de ne pas penser au sort des Amérindiens aux Etats-Unis et au Canada, à celui des Aborigènes en Australie ou des Samis en Scandinavie.
L'histoire en elle-même a un énorme potentiel romanesque mais sa narration peu lisible immédiatement crée une certaine distance avec les personnages, la pudeur narrative ne cherchant pas à draguer le lecteur avec les codes occidentaux auxquels on est habitués. Elle se pose là, assez sèche, droite dans ses bottes et ce n'est qu'en avançant dans le récit qu'on s'attache aux nombreux personnages.
En fait, à travers l'histoire intimes de ses personnages, occidentaux ou autochtones, Soichi Kawagoe touche à l'universel en brassant des thèmes qu'il questionne avec acuité et sensibilité pour questionner les lecteurs en retour. Il est ainsi question de réflexions sur la patrie, l'exil et le déracinement, le colonialisme et impérialisme, et surtout d'identité.
Au personnage de Pilsudski, polonais né en Lituanie vivant dans un empire russe qui refuse toute indépendance à la Pologne, jusqu'à interdire la langue polonaise, exilé dans les confins de la Russie, répond celui du Aïnou Yayomanekh devenu son ami, né sur Sakhaline puis déporté par les Japonais sur Hokkaïdo qui ne rêve que de retourner sur la terre de ses ancêtres. Chacun répond à plusieurs noms, imposés par les circonstances politiques, comme Sakhaline, Yankemoshir en aïnou ou Karafuto en japonais. Quelle est sa patrie ? Est-ce la terre sur laquelle on est né ? celle de la langue qu'on parle instinctivement ? Celle où a envie de vivre, terre élective où vivent ceux qu'on aime ?
Le récit est souvent sombre avec ses versants hautement dramatiques, mais c'est sa lumière qui transperce les pages. C'est l'amour, l'amitié, l'entraide qui naissent entre des êtres dissemblables, venus d'horizons et de cultures différents mais unis par l'éducation et l'alphabétisation, qui illuminent tout le récit. Ce fil conducteur humaniste transcende les épreuves imposées par la vie et crée chez le lecteur de nobles émotions derrière la pudeur de l'écriture et celle des personnages. La puissance de Brassens dans la Chanson pour l'Auvergnat n'est pas loin.
« Ma déportation à Sakhaline m'a plongé dans le désespoir. L'ennui, l'humidité, la neige, la taïga. La toundra gelée. On ne trouve rien d'autre, ici. Je commençais à passer mes journées à parler aux sapins, mais les Gilyaks m'ont appris que j'étais un être humain et m'ont accueilli avec sympathie. (…) La source de toute chaleur, c'était ces êtres. L'ardeur prenait naissance chez les gens, se transmettait par les gens. C'était cela. »
Alerte au coup de cœur ! (Avis partiellement rédigé pendant les JO
Le personnage principal de ce roman historico-sociologique est l’île de Shakaline et de ses autochtones avant et après son occupation puis colonisation par les Russes et les Japonais ; les Russes ou les Japonais et enfin les Russes depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Quels qu’en furent les occupants, les autochtones ont toujours été considérés comme des sauvages, des arriérés ; sous-civilisation qu’il fallait éduquer à la civilisation pour lui faire perdre sabarbarie et ses cultures indigènes !
La trame ainsi tissée, l’auteur raconte la vie de quelques individus, habitants historiques ou déplacés, qui ont pensé autrement que la majorité et fait tout leur possible pour que les cultures locales ne se perdent pas totalement et que les peuplades soient considérées comme des humains à part entière.
Sur quelques décennies qui courent de la fin du 19è siècle à 1945, nous suivons plus particulièrement deux personnages. Yayomanekufu est Aïnou, déraciné au Japon et de retour dans son pays. Bronislaw Pilusudski est polonais né en Lituanie et déporté à Sakhaline.
Leurs histoires sont plutôt fascinantes, ce qu’ils ont enduré est révoltant, leur capacité à s’adapter et rebondir est admirable tout comme leur combat à défendre des valeurs méprisées par les dominants.
Grande Histoire et petites histoires sont très intéressantes mais c’est la façon dont elles ont été écrites qui m’a souvent égarée ! Je ne peux pas dire si cela vient de l’auteur ou du traducteur, car ce que j’ai pris au début pour une adaptation de langage à chaque personnage ou lieu ou époque, s’est avéré être un changement de langage régulier sans rattachement à quoique ce soit ! A tel point que j’ai cru qu’il y avait plusieurs auteurs ou un traducteur non francophone, tant certaines phrases sont étranges, des passages très longs, embrouillés ou sans rapport avec ce qui les précèdent !
Tous les événements et les interventions des personnages sont agréables à lire mais c’est ce qui le lie qui m’a semblé plein de “grumeaux” voire rébarbatif par moment ! Il y a un humanisme profond qui ne peut être goûté à la hauteur de ce qu’il mérite, tant la qualité d’écriture est inégale.
Je pense que ce roman est à lire pour son contenu mais qu’il faut le faire sur plusieurs jours pour assimiler ce qui le rend difficile à apprécier.
#soichikawagoe #NetGalleyFrance #rentreelitteraire2024
Pendant la seconde moitié du 19ème siècle, l’île de Sakhaline, à l’extrême est de la Russie et au nord du Japon, a fait l’objet de partages et de disputes incessants entre ces deux pays, qui ne se préoccupaient guère de demander leur avis aux différents peuples autochtones occupant l’île.
Parmi eux, les Aïnous, qui vivent principalement de la pêche, dans le sud de Sakhaline.
Yayomanekf est un Aïnou né sur l’île, mais a été « déplacé » par les Japonais, avec la majorité de la population aïnoue, sur Hokkaido. « Japonisé » malgré lui, il n’aura de cesse de retourner sur sa terre natale.
Pendant ce temps-là, à l’autre bout de l’Empire russe, Bronislaw Pilsudski, Polonais né dans l’actuelle Vilnius, a dû lui aussi renoncer à sa langue maternelle en raison de la politique russe d’assimilation. Nationaliste et socialiste, il est impliqué dans un complot contre le tsar, et se voit condamné à quinze ans de travaux forcés sur l’île de Sakhaline.
Sur place, pendant ses rares moments de temps libre, il rencontre les Aïnous, s’intéresse à leur culture et leurs traditions, prend conscience et s’offusque de l’impact de la colonisation sur leur mode de vie. Il se lie d’amitié avec eux et Yayomanekf en particulier, apprend leur langue, leur enseigne le russe en échange, et réchauffe son âme à cette chaleur humaine qui lui faisait si cruellement défaut dans son exil abrutissant.
Au fil de bien des rencontres et des péripéties, devenu anthropologue autodidacte, imprégné de ses idéaux nationaliste et socialiste et de l’idée qui le porte à aller « vers le peuple, parmi le peuple », Bronislaw passera une bonne partie de sa vie à tenter de sauvegarder l’identité et la culture aïnoues en les documentant et en leur faisant prendre conscience de leur dignité et de leurs droits.
« Source de chaleur » est un roman historique dont tous les personnages ont existé (Bronislaw étant le frère de Jozef Pilsudski, artisan de l’indépendance polonaise). Il retrace une histoire d’amitié entre deux hommes coupés de leurs racines et contraints d’intégrer une autre culture, une histoire de colonisation et de liberté, de guerres et de supériorité raciale supposée.
Le style n’est pas extraordinaire ni toujours très abouti (peut-être à cause de la traduction?*), et manque de souffle romanesque. On s’y perd parfois entre les différents fils narratifs, mais on en apprend beaucoup sur cette région du monde, son histoire et ses habitants.
*j’ai de plus en plus souvent l’impression que les textes sont d’abord traduits par une IA puis revus (ou pas) par un « vrai » traducteur « artisanal ». Sans compter les coquilles d’édition et l’accord du participe passé.
En partenariat avec les Editions Belfond via Netgalley.
#soichikawagoe #NetGalleyFrance
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