Est-ce que l’art et l’écriture permettent de donner un sens à la vie ?
Est-ce que l’art et l’écriture permettent de donner un sens à la vie ?
Entretien avec Lisa Liautaud, directrice littéraire et responsable de la fiction française et étrangère
Nuit des étoiles ou pas, on a envie de suivre les conseils de Sigoléne Vinson, et vous ?
Cette semaine, suivez Yann Briand, Directeur littéraire des éditions Le Passage et Charlotte Lefevre, responsable éditoriale pour la littérature française et étrangère aux éditions Pocket
Un livre ovni dans la veine du Caillou; il y a la palourde mais je préfère le gracieux hippocampe...Je m'inquiétais du silence de Sigolène, ayant "oublié" la Canine de Georges que je n'ai pas trop aimé et par hasard, je vois sur la table d'une de mes librairies ce livre à la jolie couverture; c'est semble-t-il dans un lieu proche de Maritima mais dans une écriture poétique et parfois un peu hermétique comme dans le Caillou.
J'aime beaucoup Sigolène, la femme et l'oeuvre; je l'ai connue après "Charlie" à la sortie du Caillou (à Brive) et le courant a passé. Nous nous sommes un peu perdues depuis le Covid mais nous nous sommes rencontrées deux années de suite à Lomme pour un prix qu'elle a reçu. Ce prix a malheureusement disparu (sans vraies explications) avant sa 20ème année.
Un livre étrange où l'agonie des palourdes est un signal: tout va mourir à cause des rejets d'une centrale qui adoucit l'eau. "La fille" est aimée mais n'aime pas en retour.
L'écologie est présente dans toute l'oeuvre de Sigolène, au moins à partir du Caillou.
La Palourde. Ce titre intriguant m'a tout de suite happée, tout comme sa couverture, harmonieuse et colorée avec ses méduses, symboles du féminin et de l'ambivalence des sentiments. Une palourde c'est un petit coquillage qui s'enfouit dans le sable dans le but de se protéger de ses prédateurs à l'instar de la narratrice du roman, une femme dont on ne connaîtra jamais le prénom. Elle se fait appeler « Ma fille » par un prétendant désespéré de voir qu'elle ne daigne pas lui renvoyer ne serait-ce que le milième de son amour. Elle erre dans un petit village, journaliste à ses heures perdues et spectatrice d'une destruction amorcée de la nature qui l'entoure. Elle se demande s'il n'y a pas une corrélation entre son vécu et cette destruction...
La Palourde, c'est un roman qui parle d'amour, qui met l'accent sur l'écologie, sur la préservation de la nature et du lien qui l'unit à l'être humain. C'est un roman hors-norme qui évoque des âmes en quête d'affection, qui cherchent un sens à leur vie et à leurs actes. C'est un roman de la solitude tout autant qu'un roman qui met en son centre les relations humaines.
J'ai été séduite par l'écriture de l'auteur, à la fois douce, mélancolique et pleine de sous entendus. Chaque être vivant est en quête de son alter-ego ou à défaut de celui ou celle qui le fera se sentir moins seul. Ce besoin d'être aimé, d'aimer en retour et de se sentir vivant. Vivant tout comme le monde qui nous entoure, tout comme cet étang oublié que l'on retrouve dans le récit, abimé par la main de l'homme. Cette nature si parfaite que la narratrice entend en écho, qui lui susurre des messages atypiques ! Que ce personnage féminin est entraînant, empli de questionnements philosophiques et parfois candides, une femme qui lâche prise intérieurement, se laisse emporter par un univers qu'elle s'est créé et qu'elle retrace dans un carnet.
Un roman ovni comme l'édition Tripode aime les appeler, qui nous emporte dans des contrées presque inconnu, qui nous font divaguer tout en nous ramenant à la réalité, à ces petits riens qui nous entourent, à ses sentiments qui nous font vivre.
"Les notes de mes carnets contrefont parfois la réalité, mais les articles que j'en tire sont toujours considérés comme des histoires vraies. Ainsi, j'ignore si je suis ou non faussaire, si j'agis pour tromper la mort ou tromper la vie."
Suivre Sigolène Vinson est une entreprise périlleuse dans laquelle on s'engage sans filet et sans aucune garantie de trouver son chemin. Une aventure de tous les sens. Même si cette fois le lieu ne nous est pas inconnu, il fut le théâtre de Maritima en 2019 (sans doute mon préféré), cet étang de Berre auprès duquel l'autrice a élu domicile et dont elle semble connaître les moindres recoins. La narratrice de ce nouveau roman y a trouvé refuge à l'écart d'une société qu'elle préfère fuir au profit de ce microcosme particulier. Le petit monde qui vit autour de l'étang a ses rites, son langage. Ses inquiétudes aussi, liées à l'usine électrique qui déverse ses eaux, aux butins de pêche de moins en moins miraculeux. Il règne ces jours-ci une chaleur écrasante, sensation de brûlure que rien n'apaise et qui semble entraîner la narratrice dans des rêves oscillant entre mirages et hallucinations. Perdue entre la peur d'un avenir menaçant, la recherche de l'apaisement dans les liens ténus avec la moindre parcelle de vivant, le rejet d'un passé qui continue à obérer le présent, les étincelles d'espoir qui jaillissent malgré tout. Se fondre dans la communauté de l'étang ne soigne pas toutes les plaies. Le temps reste un élément insaisissable, incontrôlable pour la jeune femme qui se demande sans cesse "comment étirer cette minute qui précède le début de la fin"...
Alors, raconter des histoires. Celles des centaines d'êtres vivants qui habitent l'étang - palourdes, hippocampes, anguilles - le survolent ou grouillent sur ses rives, celles des pêcheurs réunis autour d'un pastis, de Marie dont l'esprit s'échappe ou même de l'ingénieur, cet enfant du pays qui lui vante les mérites de sa centrale hydroélectrique mais qu'elle préfèrerait embrasser même si elle a depuis longtemps renoncé à l'amour. Chercher comment croire à nouveau, un nouvel évangile auquel se référer. Parcourir la roselière en s'interrogeant sur la dette des humains envers la terre et le moment où celle-ci réclamera des intérêts. Entrevoir une échappatoire par la fiction où malgré tout rien n'est totalement factice. Oui, suivre Sigolène Vinson est une entreprise périlleuse (mais si riche) et un voyage où l'on oscille entre sourire et larmes, où l'on perçoit dans sa chair cette sensation de flottement, de tragique à fleur de peau. En immersion totale. Que celui qui n'a jamais tenté de changer le cours de son histoire ou de feinter le destin lui jette la première palourde.
"En secret, j'espère un dénouement où je serai en règle avec les êtres qui peuplent mes calepins, où je serai libérée de mes obligations envers les hommes et les mouettes. Oui, je rêve d'une fin heureuse. Pour les histoires vraies et celles que je feins."
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
Un caillou, c’est ce que la narratrice aimerait bien devenir. Depuis quelques temps déjà, elle se tient éloignée du monde. Depuis qu’elle a démissionné de l’Éducation Nationale, elle cloisonne sa vie entre les quatre murs de son appartement. Pour qu’on la laisse tranquille, elle assure quelques heures en extra dans un brasserie de la ville, un minimum nécessaire à une vie que d’aucuns qualifie de normale. Mais à part les clients croisés, les insignifiantes relations de travail et les deux réunions familiales annuelles, la narratrice attend. Que l’arthrose la guette, que la vieillesse la rattrape, que la vie glisse, qu’elle se transforme en caillou.
Un soir, la rencontre avec son voisin va faire bouger les lignes. De leur rendez-vous quotidiens naît une relation d’artiste à muse, le vieil homme n’ayant de cesse de reproduire le visage de sa jeune voisine, la faisant également pénétrer dans l’histoire de la sculpture. Quand son vieux voisin meurt, la jeune femme décide d’aller voir en Corse, où M. Bernard passait tant de temps, ce qui l’attirait tant.
Étrange situation au départ de ce roman : qu’attend cette jeune femme en se coupant ainsi du monde ? Ni agoraphobe, ni vraiment misanthrope, elle semble s’être simplement désintéressée du monde, de ce qui s’y passe, de ceux qui le peuplent. Attentive toutefois à cette voisine atteinte d’éléphantiasis pour qui elle fait quelques courses, répondant à l’invitation de M. Bernard à des goûters quotidiens, elle se dévoile peu à peu. Le vieil homme fait renaître en elle de l’intérêt, pour la sculpture par exemple. Il la brusque un peu, ne laissant jamais leur relation prendre une tournure tendre ou paternaliste. Et pénètre finalement bien plus profond dans sa vie qu’elle ne semblait laisser voir. De cette rencontre aux agacements réciproques naît presque un second roman, comme une seconde vie où les pierres ont toujours leur place. Les cailloux comme autant de matière à creuser, tailler, modeler pour en extraire un indispensable souffle de vie. Un étonnant premier roman, écrasé de soleil et tout imprégné de poésie – celle de la vie.
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