Les écrivains russes sont à l’honneur à Livre Paris du 16 au 19 mars 2018, et c’est une immense fête pour le livre.
Les écrivains russes sont à l’honneur à Livre Paris du 16 au 19 mars 2018, et c’est une immense fête pour le livre.
Sergueï Chargounov est lié à Zakhar Prilepine : ils sont tous les deux opposants de Poutine, et écrivent dans le même journal en ligne. Ils sont également tous deux écrivains. Mais là ou Zakhar Prilepine est direct voire parfois violent dans ses propos, Sergueï Chargounov est beaucoup plus calme. Il dénonce lui aussi les méthodes du président russe actuel, mais de manière moins directe, néanmoins, les concernés comprennent puisqu'ils le menacent au point qu'il ne peut se présenter aux élections et qu'il a ensuite du mal à trouver du travail en tant que journaliste, son nom étant mis sur liste noire.
Je dois dire que la première partie sur l'enfance de Sergueï m'a paru un peu longue. Pas inintéressant, non, un fils de pope au temps du communisme et de la perestroïka, ce n'est pas banal, mais ça traîne un peu en longueur. Ce livre est une suite de chroniques ou de nouvelles qui se suivent chronologiquement et lorsque Sergueï commence à parler de sa famille élargie, sa grand-mère et son oncle Kolia Bolbass, je recolle au récit, tellement ces personnes ont marqué l'écrivain. Et puis, ensuite, c'est l'entrée en politique et la répression, la maladie de son fils et les guerres qu'il couvrira en tant que journaliste. Tout cela se mêle comme dans sa vie, tout arrive en même temps. Je disais que la première partie m'avait paru longue, en fait le style de S. Chargounov ne s'imprimait pas en moi, sans doute parce que je m'attendais à plus fort, un peu comme Z. Prilepine. Il m'a fallu persévérer (merci Colette) pour comprendre que Sergueï Chargounov, tout en dénonçant les mêmes choses, le faisait sur un autre mode, celui de la confession : son livre est plus intime, plus doux, plus apaisé (bon, d'accord moins que Z. Prilepine, c'est compliqué). Au final, ils se complètent parfaitement et en lisant les deux, on comprendra mieux la Russie de maintenant, non pas celle que nous avons en tête, l'âme slave et tout ce qui va avec, le souffle de l'aventure, les grands espaces, les héros de littérature, ... Non, celle des petites gens abandonnées par le pouvoir, celle des coins les plus reculés à la fois éloignés des conflits des puissants de la capitale mais très au courant quand même, celle des gens qui doivent se battre pour vivre, plus parfois qu'au temps de l'URSS. Finalement tout a changé dans ce pays : la doctrine, le libéralisme a remplacé le communisme les dirigeants - encore que V. Poutine était du KGB, ..., mais rien n'a changé : les puissants sont toujours autoritaires et leurs amis bénéficient d'avantages alors que leurs opposants doivent faire profil bas sous peine de sanctions et d'intimidations.
Belle idée de la part des éditions de La Différence que de traduire ces deux écrivains russes qui parlent de la vie quotidienne en Russie et de les publier tous les deux.
Sergueï Chargounov m’a ouvert son album de souvenirs et je m’y suis plongée avec délectation. Chaque chapitre est un flash, une parcelle de sa vie.
Ce qui m’a le plus marqué chez ce fils de pope anti-communiste c’est que je n’y ai trouvé aucune révolte, même lorsque Poutine brise sa carrière politique. L’écriture reste toujours fluide, agréable lire, celle d’un conteur.
Sergueï enfant n’est jamais entré chez « les enfants d’octobre » « Je suis resté en mauvais termes avec l’Union Soviétique pendant toute mon enfance. J’ai été le premier dans toute l’histoire de mon école à ne pas entrer chez les enfants d’Octobre. Je n’ai jamais été pionner non plus. » Ce qui rend encore plus irrationnelle sa nostalgie de « la patrie de son enfance ». Est-ce par nostalgie de son enfance ? Toute son enfance baigne dans cette dualité. Attiré par tout ce qui était soviétique, il adorait la clandestinité des antisoviétiques qui passaient chez lui, la littérature passée sous le manteau…
Jeune adulte, il créé son mouvement politique au « nom de la liberté et d’une vie meilleure » « Hourra ! », son oncle lui a dit de l’appeler ainsi, comme le titre d’un de ses livres. Il connait son heure de gloire, puis est descendu par ce cher Poutine qui prend ombrage de sa popularité et de ses idées.
A vouloir trop jouer franc-jeu, on se fait descendre. La chute est rude, il perd beaucoup de ses « amis ». « On m’avait détruit. On ne m’acceptait nulle part comme journaliste. Mes amis d’hier en politique m’évitaient comme un lépreux. Mes amis d’hier en littérature se réjouissaient de mon malheur. Seuls mes parents n’avaient pas changé. »
En créant son mouvement, Sergueï voulait faire non pas faire une révolution, mais faire évoluer son pays vers plus de justice, vers un meilleur développement.
Persona non grata à la télévision sur les ondes de radio, il obtient un petit reportage sur la Tchétchénie ; ironie du sort, la carte-mémoire lui est confisquée et donc plus de reportage.
Parcourant le pays, il découvre une autre vie beaucoup plus rustre, plus rude, plus dure. Je n’ai pu empêcher un haut-le-cœur en lisant ce qui suit « Le petit s’est approché son père l’a entouré de son énorme bras, a écrasé sa tête duveteuse contre son genou puissant et enfoncé la bouteille dans la petite bouche. » Il s’agissait de vodka et le gamin avait 2 ans !
De son voyage en province, il ramène un sentiment de démission, de nostalgie de l’URSS d’avant où les gens n’étaient pas abandonnés. L’impression, qu’actuellement, les russes éloignés de la capitale ne peuvent compter que sur eux-mêmes, se sentent et semblent être totalement abandonnés par le pouvoir. C’est quelque chose que j’avais ressenti en lisant Assan de Vladimir Makanine ou Un homme de peu d’Elisabeth Alexandrova-Zorina.
Sergueï Chargounov ne polémique pas, il raconte la Russie d’aujourd’hui. Je le sens imprégné de et par son pays. Son écriture est imagée, fluide, forte, sans apprêt ni concession. A l’inverse, les dessins de Vadim Korniloff, me paraissent saccadées montrent le chaos et me mettent mal à l’aise. Toutes ces mains qui enserrent, cachent, se prennent la tête, ces yeux fixes, ces regards sans vie expriment ce qui se cache derrière les phrases.
J’ai aimé cette lecture d’une Russie que l’on entr’aperçoit dans quelques reportages. L’impression d’un bateau à la dérive, d’un bateau ivre où la politique capitaliste menée par d’anciens oligarques fait beaucoup de victimes parmi les petites gens.
Un livre sans photographies mais très imagé. Un livre à lire. Une maison d'éditions qui nous ouvre les portes de la bonne littérature russe contemporaine. Déjà lu, en grandement apprécié, Les enragés de la jeune littérature russe de Monique Slodzian
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