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Quels sont les ingrédients d'une pandémie ?
A première vue, on pense : virus très contagieux, porté par un vecteur animal (rat, chauve-souris, moustique, pangolin), transmis à un être humain puis un autre et encore un autre, jusqu'à faire le tour de la planète.
Mais d'où sort-il, ce virus ? Fabriqué dans, échappé d'un laboratoire ? Ça reste à démontrer et ce n'est pas l'objet de ce livre, et de toute façon c'est beaucoup plus complexe que cela. L'émergence croissante et accélérée de virus et des zoonoses qu'ils transmettent est largement favorisée par la destruction de la biodiversité. Cette destruction est notamment provoquée par la déforestation, la fragmentation des habitats naturels (par la construction de routes par exemple), les monocultures qui elles-mêmes répondent à des enjeux liés à l'agro-business et au profit, le tout à une échelle exponentielle. Cette destruction provoque, quant à elle, en aval, une "vraie aubaine" pour les agents pathogènes, car "en modifiant dramatiquement les écosystèmes nous leur ouvrons un nombre infini d'opportunités de s'installer dans de nouveaux hôtes. Si vous ajoutez à cela l'urbanisation galopante [...] puis la globalisation effrénée des échanges et, enfin, le dérèglement climatique, vous avez là un cocktail absolument inédit dans l'histoire de l'humanité, qui crée la base écologique permettant aux maladies infectieuses de se répandre en un temps record n'importe où sur la planète" (D. Brooks, biologiste de l'évolution).
Les 61 autres scientifiques interrogés par M.M. Robin dans cet ouvrage ne disent pas autre chose, et certains le disent d'ailleurs avec beaucoup d'amertume, voire parfois de désespoir.
Parce que tout cela est connu (c'est en 1968 que sont abordés publiquement pour la première fois les liens entre perte de biodiversité et santé, lors d'une conférence de l'Unesco sur la biosphère à Paris), su, démontré, prévisible, prévu.
Pour tous ces chercheurs, la solution existe : préserver la biodiversité, maintenant et tout de suite.
Facile à dire.
Parce que c'est une solution sur le long terme. Et c'est là tout le problème.
La première réaction à la pandémie de Covid a été une réaction "à l'ancienne" : le confinement. Puis on a embrayé sur les vaccins. Tout cela c'est très bien (façon de parler), mais cela ne fait que parer au plus pressé, c'est la solution d'urgence, de facilité, à court terme, cela ne soigne que le symptôme et cela ne traite pas la cause. Les plus optimistes diront qu'une fois la crise passée, tassée, on envisagera les solutions à plus long terme. Mais qui ça, "on" ? les intérêts politiques et économiques (et l'individualisme) sont généralement très myopes, voire aveugles à l'horizon, et semblent avoir bien peu de capacité (de volonté) à penser plus loin : "les mesures que nous devrions prendre [...] impliquent un changement dans les relations que les humains entretiennent avec leur environnement, comme leur rapport à la faune sauvage, ou leur manière d'exploiter les forêts et les océans. Et c'est peut-être ce qui fait peur..." (D. Civitello, biologiste). Cela implique de considérer que l'humain fait partie de cette biodiversité, sans lui être supérieur, contrairement aux tenants de l'écomodernisme : "d'après ses adeptes, l'homme est au-dessus de toutes les autres espèces peuplant la Terre et ne fait pas partie de la nature, qui est « déchaînée et sauvage » [...]. Pour eux, l'utilité de la nature se mesure à l'aune de ce qu'elle nous apporte ou nous inflige : elle nous fait du bien ou du mal. C'est ainsi qu'est né le concept de "service écosystémique" qui réduit la nature à un pourvoyeur de services pour l'humanité".
Il serait temps aussi de mettre fin à la logique de "silos" qui a séparé, par exemple, les médecines humaine et vétérinaire au début du 20ème siècle, "une erreur monumentale" (J. Zinsstag, épidémiologiste) à l'origine de la résistance aux antibiotiques. Décloisonner non seulement les différentes disciplines scientifiques, mais plus largement mettre en lien sciences, économie, culture, puisque tout est lié et que le bien-être humain dépend de la santé des écosystèmes : "le fait de bénéficier de bonnes relations sociales, qui peut paraître relever de considérations abstraites, comme le respect, la confiance, le sens de l'éthique ou de la moralité, s'effondre lorsque l'environnement dysfonctionne ou se dégrade, conduisant à des conflits et à des violences contre les plus pauvres et les plus vulnérables" (S. Naeem, écologue et biologiste). Un effondrement causé par "l'uniformisation de la pensée, qui considère la diversité – biologique ou culturelle – non pas comme une richesse, mais comme un obstacle à un type de développement fondé sur l'extraction et la consommation exponentielle des ressources naturelles" (L. Maffi, linguiste et anthropologue).
Comme une biodiversité idéale, "La fabrique des pandémies" est un ouvrage très riche, dense, mais fluide à lire et très accessible, fondé sur des entretiens avec des scientifiques renommés dans leurs disciplines respectives, et étayé de références solides (pour autant que je puisse en juger).
Un beau travail d'enquête, et un récit bien construit. J'espère que ce livre deviendra un documentaire, qui pourrait avoir bien plus d'impact sur le grand public qu'un essai de 300 pages, aussi lisible soit-il. Un impact qui provoquerait une réaction radicale et nécessaire pour secouer l'infinie inertie des gouvernements. Sans ça (et je ne suis pas une optimiste), l'avenir d' "épidémie de pandémies" que nous annonce ce livre est bien peu réjouissant...
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