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Emma était une petite fille vivante, galopante et gaie, une vraie gazelle. Un jour de son adolescence, où l'un de ses copains l'invite chez elle, un énorme chien se jette sur elle , la rendant infirme à vie. C'est le chien du père de son ami qui n'a pas l'air d'éprouver de remord devant le désastre: il ne dira qu'une seule phrase, abjecte. Pas de consolation, pas d'attendrissement. Le chien sera abattu, mais la douleur physique et psychique d'Emma reste...
Elle va alors se battre pour pouvoir marcher puis pour moins boiter. Elle va aussi se battre pour rendre un peu de dignité aux Harkis de son quartier. Ces Harkis, "traîtres" à leur pays qui n'ont jamais eu la reconnaissance de la France. Et qui sont maltraités ici comme là-bas.
Un très beau roman, qui, comme chaque roman édité par Sabine Wespieser défend des valeurs et a pour héroïne, une femme forte.
En juin 1869 eut lieu la première grève de femmes, celle des ouvrières de la soie à Lyon. Exploitées, mal logées dans des dortoirs sans air, elles réclament le même salaire que les hommes et une réduction du temps de travail et des pauses alors que la journée compte douze heures de travail debout.
Cette main d’œuvre féminine bon marché et peu qualifiée vient des campagnes pauvres ou du Piémont voisin. Ce sont des « ovalistes », chargées de garnir l’ovale, c’est à dire les bobines qui torsadent le fil de soie qui sera ensuite tissé.
« La soie ovalée composée de huit, douze ou seize brins de soie grège tordus, chacun séparément puis ensemble, en sens inverse. Car il s’agit de donner de la force au fil, et même une force extraordinaire afin qu’il résiste aux extensions et aux fatigues du travail de l’étoffe. »
L’auteure a choisi de suivre quatre de ces humbles ovalistes qui vont se mettre en grève et tenter d’infléchir leur destin. Toia la piémontaise, Rosalie, Marie ou encore Clémence la lyonnaise, elles sont quatre, comme les quatre relayeuses du quatre fois cent mètres. Pourtant « en 1868, les femmes ne courent pas, on l’a assez dit, ou alors en cas d’urgence et empêtrées dans leurs jupes. » Pourtant, c’est bien d’une course qui s’agit, une course contre la pauvreté et le malheur, une course avec passage de témoin pour les femmes qui viendront après elles et qui lutteront pour plus de justice et d’égalité.
Cette première grève connue initiée par des femmes sera suivie, un an plus tard, de la Commune où les femmes auront un rôle à jouer.
« Et puis ce sera la Commune où les femmes, qui soutiennent leur mari, leur frère ou leur père en grève, sont à leur place. »
Le roman est bien documenté sur l’époque et le travail harassant des ovalistes. On suit le mouvement à travers le regard des quatre ouvrières. A les côtoyer ainsi on entre dans leur vie, on découvre leurs rêves et leurs aspirations.
Maryline Desbiolles a su nous rendre ces trois femmes émouvantes et très proches. Nous découvrons la condition difficile, révoltante de ces ouvrières reléguées au plus bas de l’échelle et qui triment douze heures par jour pour une misère. Souvent, elles tombent malades et meurent d’une phtisie ou autre chose, tant leurs corps sont malmenés, épuisés.
Rendre hommage à ces anonymes qui ont osées se révolter contre l’ordre masculin et celui des patrons était important et nécessaire. Voilà qui est fait, avec une verve créatrice et une écriture élégante et vive, à travers les biographies romancées de ces quatre ovalistes. Un roman qui se lit avec plaisir et curiosité.
Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c’est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l’enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIXe siècle, cette opération emploie des milliers d’ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu’au Piémont, elles s’entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés, totalement assujetties au strict règlement de leurs « usines-pensionnats ». A l‘été 1869, ces filles illettrées, qui se voient contraintes d’avoir recours à un écrivain public pour exposer leurs revendications, se mettent en grève, réclamant un meilleur salaire et un temps de travail réduit. C’est la première grève de femmes connue. Elle va durer un mois, se solder par des emprisonnements et des expulsions des ateliers-dortoirs, avant que le travail ne reprenne sans aucune avancée significative. Elle marque cependant l’histoire d’une pierre blanche, celle qui inaugure la longue lutte dont les femmes se sont passé le relais jusqu’à aujourd’hui pour l’amélioration progressive de leur condition.
Cette image du passage de relais entre les femmes s’est si bien imposée à l’auteur lorsqu’elle s’est intéressée à la grève des ovalistes qu’elle en a fait le fil conducteur de son roman. Soif d’émancipation, prise de conscience de leur sororité face à la toute-puissance des hommes et des employeurs qui les traitent en « bonnes filles » modestes et dociles : sans violence ni sang versé, avec la seule calme détermination née d’un trop-plein d’injustice et de servitude silencieuse, ces femmes sont les premières, non pas à se révolter, mais à en prendre l’initiative. Ce sont elles qui s’autorisent enfin à ne plus courber l’échine. Et même si elles n’obtiennent pas gain de cause, elles sont des pionnières qui ouvrent à leurs semblables, femmes de leur temps ou des générations à venir, le long chemin du féminisme. Alors, à cette troupe en jupons perdue dans l’oubli incolore de l’anonymat, Maryline Desbiolles a choisi de prêter quatre visages imaginés comme en technicolor, leur redonnant chair et vie en quelques scènes croquées sur le vif, et insistant sur la sororité des femmes par-delà les siècles.
Jonglant avec les mots et les images dans une langue courant comme une rivière en longs rubans de phrases non dénuées de poésie, l’écrivain met l’originalité, probablement clivante, de son style au service d’un roman social et féministe, construit sur un fait historique oublié pour mieux inviter les femmes à reprendre le flambeau de la lutte.
Les sans-grades, les oubliés de l’histoire, les invisibles, ne souffrirons pas de ce statut dans le roman de Maryline Desbiolles, Il n’y aura pas de sang versé. Celui-ci met en scène quatre femmes, Toia, Rosalie Plantavin, Marie Maurier, Clémence Blanc. Elles ont peu de points communs quant au parcours initial de leurs vie, souvent caractérisé par la misère , une souffrance familiale, un manque d’éducation . Pour Maryline Desbiolles, c’est une comparaison sportive qui s’impose pour éclairer et expliciter le sort de ces femmes, et les relier entre elles, celle des relayeuses d’un parcours athlétique . Ces femmes ont en commun d’être des ouvrières ovalistes, lorsqu’elles sont embauchées à différents moments dans les usines textiles de l’agglomération lyonnaise. Leur rôle est de garnir les bobines des moulins ovales et de surveiller la torsion nécessaire à donner au fil grège.
Dans leur parcours, il y a l’espérance d’échapper à la misère, de trouver une vie meilleure, c’est souvent la cause première de l’émigration vers un autre pays : « Toia serait logée, nourrie, à l’atelier, avec d’autres bonnes filles comme elle, des ovalistes on les appelle. » Pour Rosalie Plantavin, c’est le souvenir de sa famille qui lui donne l’énergie indispensable pour survivre dans ce nouveau milieu, impersonnel, mais où elle trouve de l’humanité et du réconfort : « Avec Thérèse, elle va au café, un vinaigre, comme l’appelle Thérèse, où on boit du vin et de l’eau-de-vie. C’est la première fois que Rosalie Plantavin entre dans un café ;(…) Je suis une femme qui tombe, je suis une femme qui boite, je suis une femme qui rit, je suis une femme qui pleure, et de se savoir capable de toutes ces choses la réconforte grandement. »
Au cours de leur participation à la grève survenue en juin 1869, ces femmes se confrontent à la réalité sociale et économique, à l’apprentissage de la rédaction et de la formulation de leurs revendications, ces dernières démarches étant grandement facilitées par l’entremise d’un écrivain public, Monsieur Bosquier.
Même si ces demandes ne sont pas toutes satisfaites à bref délai, c’est une étape qui est marquée dans leurs vies, un point d’ancrage pour l’avenir , une leçon de vie administrée : « Jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là , des mois de juin et juillet 1869 , à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord (…) Être soi-même en sortant de soi , consiste à éprouver ce que nous ignorons , une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir, les parents ? les patrons ? »
Le récit de Maryline Desbiolles nous plonge avec grand bonheur dans le ressenti individuel de ces ouvrières, dans leur découverte très personnelle de l’émancipation, des conflits sociaux , de la nécessite de l’éducation .Il rejoint ainsi la grande Histoire .
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