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Un titre percutant pour un récit qui ne l’est pas moins. Dans l’album Battue paru aux éditions 6 pieds sous terre, Marine Revéel et Lilian Coquillaud nous entraînent à la suite de Camille sur des chemins escarpés pour y suivre une partie de chasse terrifiante, épreuve de sélection et d’intégration chez les Blanchistes, groupe nationaliste voire régionaliste présumé d’extrême droite. Et si la montagne sublimée par les aquarelles de Lilian Coquillaud est belle, les hommes qui la foulent lors de cette grande battue le sont peut-être moins.
Elle a quitté le pays pour s’en aller vivre sa vie loin de la terre où elle est née et surtout loin de sa famille. Elle, c’est Camille, la fille de Philippe Duhamel, leader des Blanchistes, mort récemment. Et voilà qu’avec le décès de son père, le passé va la rattraper et le cours de son existence va s’en trouver profondément troublé. Cela commence avec la venue d’Hassan son ami perdu de vue devenu journaliste qui vient lui demander ni plus ni moins que d’infiltrer la « Grande battue » ce rituel annuel des Blanchistes. Il pense que sa participation à cette épreuve initiatique au cours de laquelle s’effectue le recrutement des futurs membres - « les meilleurs tireurs du pays, l’élite en charge de sauvegarder leur espace vital » - est l’occasion d’obtenir des preuves de la dangerosité du groupe qui a le vent en poupe dans la région afin d’en demander ensuite la dissolution. Réticente tout d’abord à replonger dans ce passé qu’elle a fui, elle finira par accepter, réussira haut la main l’épreuve éliminatoire de tir qui l’amènera à participer pendant une semaine à cette épreuve en totale immersion dans un environnement sauvage d’une beauté à couper le souffle. La suite ? Une partie de chasse bien particulière au climat anxiogène qui va crescendo, une aventure d’une extrême dureté. Sélection du gibier qu’on va non seulement tuer mais dont on va également se nourrir, communion avec la nature et avec le groupe, dépassement de soi sont à l’ordre du jour. Mais est-ce tout ou cela cache-t-il autre chose? Les propos tenus sont très souvent à double sens à l’instar de la définition du nuisible « est désignée nuisible toute espèce classée comme telle par décret ou arrêté » qui, soit dit entre nous, est tirée du décret du 23 mars 2012 relatif aux espèces d'animaux classés nuisibles. Mais ici, qui sont les nuisibles ?
Qui manipule qui ? Camille n’est-elle pas également la proie de tous, celle que tous veulent récupérer? C’est elle qui possède la caméra mais c’est elle qu’on épie. Nul « big brother » ici mais une multitude de regards constamment fixés sur elle : le regard de l’oncle, nouveau leader qui espère bien la voir rentrer dans le rang, le regard hostile de son cousin Laszlo, le regard narquois des autres participants, sans oublier le regard protecteur(?) d’Hassan qui, derrière ses jumelles, la surveille de loin.
Alors dans cet univers profondément viril, submergée par ses sensations et émotions - peur, dégoût, attirance - qu’il lui faut dissimuler, Camille étouffe, Camille ne sait plus où elle en est.
« La nuit je suis différente du jour./ Hier est aujourd’hui /Temps confondus : obscure lumière et sombre clarté ».
Et puis, il y a les odeurs … « Le corps a une mémoire indéfectible. L’odorat aigu de mon enfance ne m‘a jamais quittée. » Cette considération olfactive qui parcourt le récit lui offre une dimension sensorielle accrue.
Le scénario extrêmement bien ficelé est digne des meilleurs films du genre ce qui n’est pas étonnant quand on sait que Marine Levéel à qui l’on doit notamment en 2018 le court métrage « La traction des pôles »,regard original porté sur le monde paysan, est réalisatrice et scénariste. La tension, le climat angoissant s’installent peu à peu jusqu’à un final saisissant qui nous laisse pantois. On en sort bouleversé.
Lilian Coquillaud (illustrateur de l’album « Les Peuples oubliés » paru aux éditions Paquet en 2011) se met au diapason en nous livrant en couleur directe de somptueux paysages avec un sens aigu du cadrage et du découpage. Il a adopté une palette réduite mais terriblement efficace qui renforce le sentiment de malaise et de danger. L’orange vif de la chevelure de Camille et de la tenue des chasseurs vient percuter les camaïeux de violet, bleu des panoramas grandioses. La dominante fushia, elle vient illuminer le rituel du matin … Les choix graphiques sont partie prenante du récit et contribuent à la tension : alternance flou et netteté, multiplicité des angles de vue, découpage rythmé mettant en valeur l’expressivité des visages et le dynamisme des mouvements.
Battue ? Un véritable choc scénaristique et esthétique, un sublime album au récit implacable où noirceur du propos et puissance des images entrent en résonance avec notre monde actuel en puisant leur source dans la quête identitaire individuelle et collective. Entre sa sélection à Angoulême et le bouche à oreille, il n’a pas fini de faire parler de lui et c’est tant mieux ! Une superbe découverte, un ouvrage indispensable à s’offrir et à offrir !
Le gros plan sur le braque en couverture ainsi que le titre pourraient faire penser à un livre sur la chasse mais « Battue » est bien plus que cela. C’est à la fois une expérience anthropologique, un thriller et presqu’un récit d’épouvante. Il m’a beaucoup fait penser au film « Midsommar » d’Ari Aster et cela n’a finalement rien de surprenant puisque Marine Levéel dont c’est le premier scénario de bande dessinée est réalisatrice et qu’au départ l’intrigue avait été écrite pour le cinéma. Mais en passant du 7e au 9e art, la scénariste donne encore plus de puissance à son intrigue…
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Camille Duhamel vient de perdre son père. Elle est moins affectée par la mort de celui-ci que par la demande de son ami d’enfance, Hassan, devenu journaliste, de retourner sur ses terres natales qu’elle avait fuies et d’infiltrer le groupuscule néopaïen proche de l’extrême droite « les Blanchistes » dont Philippe Duhamel était le leader afin de démontrer que leurs agissements sont loin d’être innocents et les empêcher de faire un carton aux prochaines législatives. Voilà donc le retour de la fille prodige sous le regard circonspect de son oncle et de ses cousins devenus les nouveaux meneurs. Elle va passer les épreuves de sélection pour participer à la grande Battue et faire partie des « élus » du mouvement. Mais ne s’improvise pas détective qui veut … et cette enfance reniée n’aurait-elle d’ailleurs finalement pas marquée l’héroïne davantage qu’elle ne le pense ?
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Ainsi, au-delà d’un reportage (en partie autobiographique) sur des groupes néopaïens quasi sectaires et racistes, on assiste à la quête d’identité d’une jeune femme dans une société patriarcale dont les Blanchistes représentent l’hyperbole. Les interrogations et les atermoiements de l’héroïne sont fort bien rendus grâce à une perception en caméra subjective ou focalisation interne. Camille, sa caméra infrarouge dissimulée dans sa carabine, se fait le relai pour Hassan établi à quelques centaines de mètres mais aussi pour le lecteur. On ne voit que ce qu’elle voit et plus encore on est au diapason de ce qu’elle ressent grâce au monologue intérieur. Alors on tremble pour Camille qui pourrait se faire démasquer et devenir proie à son tour mais au-delà (et c’est la force de l’album) notre perception vacille au gré de ses états d’âme. On perçoit tantôt la Battue comme une boucherie atroce et archaïque, un simple prétexte pour exalter des valeurs désuètes et nauséabondes ou parfois comme une communion avec la nature et un dépassement de soi. La relation particulière qu’elle (re)noue avec son environnement est particulièrement bien mise en scène grâce aux synesthésies et à l’attention portée aux parfums et aux odeurs dont on sait l’importance et le lien à l’enfance depuis Proust et Baudelaire. Ce rapport presque charnel est matérialisé par les mots qui s’inscrivent dans les cases hors des bulles.
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Le danger qui la guette et l’ambivalence de ses sentiments créent une tension croissante et un malaise qui se communiquent au lecteur. L’angoisse s’installe et le final nous laisse sans voix. Le scénario est ainsi véritablement maîtrisé et le dessin n’est pas en reste. Lilian Coquillaud, peintre et bédéiste, nous livre en couleur directe de somptueux paysages. Il a choisi une palette réduite « choquante » qui renforce le sentiment de tension et de malaise. La chevelure rousse de Camille et l’orange vif de la tenue des chasseurs contrastent avec les camaïeux de violet, et le bleu des panoramas montagneux. Le fuchsia domine lui lors des scènes matinales … Ces choix graphiques tranchés, presque fauvistes, sont partie prenante du récit et contribuent à la tension. Le dessinateur multiplie les angles de vue, alterne des panoramas flous et vaporeux et des personnages se détachant avec netteté à l’encre, met en valeur l’expressivité des visages dans des gros plans qui succèdent à des plans larges immersifs comme s’il voulait épouser tous les points de vue possibles et échapper lui aussi à un manichéisme simpliste et délétère.
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« Battue » est donc un superbe album où la noirceur du propos et la beauté éclatante des images entrent à la fois en dissonance et en résonance oxymorique créant un véritable choc esthétique et scénaristique. Un récit particulièrement intelligent qui devrait vous marquer longtemps !
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