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D’abord Ultramarins, maintenant Palais de verre : les deux romans de Mariette Navarro ont en commun une héroïne – l’une commandante de cargo, l’autre employée dans une grande tour de bureaux – depuis si longtemps attachée à se plier aux exigences de son métier qu’elle est la première surprise de constater un beau jour, la chose s’étant imposée d’elle-même, sans tambour ni trompette, laissant simplement dans son sillage un sentiment d’étrangeté soudaine, qu’une rupture s’est à un moment donné produite, qui la désolidarise d’un univers professionnel où elle ne se reconnaît plus.
Est-ce plus fort encore d’avoir dû batailler double, l’une pour s’imposer dans une profession masculine, l’autre pour s’élever socialement loin de sa province et de son milieu modeste ? Toujours est-il qu’après tant d’efforts vers un objectif débouchant finalement sur les aliénations grandissantes de professions absurdement devenues aussi insensées que brutales et déshumanisantes, est arrivé sans qu’elles s’en rendent compte le point de non retour. Symbolisée par le brouillard en mer ou par la tornade s’abattant sur la ville, la rupture n’attend pas la prise de conscience du protagoniste tout à sa lutte pour rester en trajectoire. C’est comme un glissement qui s’opère, le passage ni prémédité ni contrôlé – le personnage subit sa bifurcation sans l’avoir jamais décidée – vers une nouvelle dimension perçue pleine d’étrangeté et restituée par une atmosphère flirtant avec l’absurde et l’onirisme, le tout dans un profond sentiment d’isolement et de confusion.
Entre le « je » monologué de la narratrice dont la sortie de rang s’incarne métaphoriquement au travers de la trappe par laquelle elle se hisse sur le toit de l’immeuble pour une nuit de méditation hors du monde, et la rumeur du « nous », l’ensemble indistinct des collègues qui, nous indiquant au passage son prénom à elle, Claire, se souvient avec inquiétude d’un autre employé mené au suicide par l’ostracisme dicté à son égard par leur organisation, jamais aucun dialogue ne s’établit. Et, dans une juxtaposition, étudiée jusque dans le moindre mot pour accentuer le sentiment d’étrangeté, d’isolement et de dérive, de scènes volontairement génériques où chacun se reconnaîtra – on ne saura jamais le métier de Claire mais on en retiendra ce que la majorité des employés vivent au bureau –, l’on voit le personnage, pris dans un tourbillon de désarroi et de violence évoquant de manière originale et poétique le burn-out, prendre conscience qu’il est, déjà et malgré lui, coupé sans retour de ses anciens semblables, partis sans lui plus loin sur leur chemin. Est-ce un drame ? Peut-être pas, car après la décomposition et le deuil vient le temps de la recomposition, du mouvement et de l’espoir.
Habile à modeler la forme pour mieux épouser le fond, Mariette Navarro aime nous glisser dans des sortes de failles spatio-temporelles. Jouant de l’étrangeté pour nous dérouter dans tous les sens du terme, ses textes sont des invitations poétiques au pas de côté en même temps que de petits bijoux de maîtrise littéraire.
Prise de conscience brutale d’une anomalie, sentiment de ne plus être à sa place, Claire, avec une lucidité retrouvée se réfugie sur le toit de cette tour de verre qui abrite depuis trop longtemps sa soumission. La trappe d’accès a été refermée.
Une tempête violente change les repères d’une mécanique bien huilée, mais si fragile. Lorsque la routine tente de se réinstaller, que les accès au quotidien sont à nouveau disponible, Claire l’invisible, la transparente, s’incarne enfin au coeur de l’équipe qui la snobait…
Ce récit d’une révélation soudaine, sur fond de catastrophe naturelle possède une dimension mystique étonnante. Dans un premier temps captée par la précision diabolique de l’écriture, le fond ne m’a pas laissée indifférente. Il fait référence à la cruauté du monde du travail, aux complexes interactions au sien des entreprises, où il est nécessaire de hurler avec les loups pour ne pas se retourner du côté des agneaux.
C’est aussi la faille qui révèle la lumière et la décision de s’affranchir de ce piège d’un destin construit sur une hasard qui ne fait pas toujours bien les choses.
Séduite par la puissance de l’écriture, pour un court texte marquant.
135 pages Quidam 30 aout 2024
Lu dans le cadre du jury des lecteurs FNAC 2024
Au cours d'une traversée de l'Atlantique, l'équipage d'un navire marchand se baigne en pleine mer. Le moment est suspendu, les hommes nagent nus et se sentent libres. Mais au retour sur le bateau, l 'ambiance prend une tournure étrange.
Je pensais y trouver de la magie, un peu d'onirisme, mais je me suis ennuyée. Les personnages étaient creux, je n'ai pas eu d'émotion. J'étais contente de le terminer.
D'accord.
Elle a bafouillé d'accord, la commandante du bateau. Avant de se ressaisir. de le redire. Fermement. D'accord pour une baignade.
Une entorse aux règles.
Un pas de côté.
Loin des côtes.
20 marins dévêtus se jettent à l'eau, pendant que la commandante veille sur son grand navire. Cette baleine au coeur qui tambourine. Un unisson entre elle et lui. Son bateau.
Quand ils remontent à bord, ils sont 21. Elle compte, la cheffe. Son second aussi. 21. Voilà, c'est comme ça.
Les interdits qu'on brave. Même de touts petits interdits. Une heure, quelques minutes, reprendre ce corps de marin qui ne vous appartient plus, soumis aux machines, aux vents, aux vagues, aux ordres. le reprendre et lui offrir une baignade. Un mot d'enfant, un jeu d'enfants, dans cet univers si rude.
Est-ce qu'on les paye toujours... ?
Un roman à la lisière de l'onirique. Un roman poétique, dans son rythme, dans ses mots. C'est beau, sensible, calibré. le vocabulaire est pesé, rien n'est hasard, c'est un travail d'orfèvre.
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