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« Rivière », vibrant et émouvant, dans cette ampleur littéraire essentialiste. Le grondement de la vie-même, un torrent qui dévale des vallées éphémérides.
L’horizon sans fin, les méandres frappent les pierres gorgées d’eau.
Ce texte de Lucien Suel, puissamment fluvial, rassemble l’étymologie de ce mot : rivière. Le microcosme des géographies intérieures.
« L’eau c’est la vie. La terre, c’est la mort. »
Jean-Baptiste est ici. Il rassemble l’épars, se heurte aux souvenirs.
On avance pas à pas, avec lui, dans ce récit mélancolique, si beau. Au cœur de son quotidien, l’homme avec son chien, sans cesse en corrélation avec la montée des eaux intérieures, comme une cascade sur son propre corps.
Tout ce qui agite les rémanences-gué.
On déambule avec ferveur et l’on écoute le passé, l’orée des années 60, avec Claire, sa femme.
Ils s’aimaient dans cette pudeur des sans-fautes ni ratures.
Gange ou Jourdain, la frange devant les yeux, Claire est morte, mais ici, encore.
Seul et entouré des rumeurs du monde, des pavloviennes saisons, il est dans le chant des regains.
Dans l’écho de la voix de Claire qui chuchote dans ce livre, des litanies souveraines.
Il écoute de la musique, la leur.
« Il sait où elle est, dans quelle allée, sous quel arbre. » « Peut-être est-il plus important d’oublier que de se souvenir ? »
La solitude-rivière, les images défilent encore inlassables sur les entrelacs de ses regards.
On ressent un homme debout pourtant, en plein soleil de ses certitudes.
L’écho de Claire, comme un marque-page boréal entre les lignes de « Rivière ».
« Sortie de terre, je suis maintenant dans le blanc neigeux. »
« Claire Dehorne, timide, longs cheveux lisses, taille fine serrée dans une paire de jeans ; Jean-Baptiste Rivière, diable roux débraillé, regard sombre, barbiche de révolutionnaire. Là, se crée une spirale commune. »
Jean-Baptiste, la spiritualité innée, homme-sirène qui interpelle les crépuscules de ses jours. On imagine un clochard céleste pétri d’elle encore. Les générations immuables, sauf le temps qui passe.
« Dans son esprit, il se sent terre et feu. Il voit Claire, en elle, l’air et l’eau. Ensemble, ils sont un univers. Ils étaient le monde jusqu’à ce qu’elle soit en terre. Dieu sait sur quels chemins invisibles erre son âme.
Lui, le jardinier romantique, Alpha son chien dans les jambes, mimétisme, la présence qui assigne la connivence.
Claire, acclame la trame.
« Qui s’apprête à mourir doit semer le blé. Ces mots sont ceux de Karp Ossipovitch Lykov, un vieux croyant russe. »
L’adage qui forge l’heure du jour, les rivières mentales, les résurgences, Jean-Baptiste est lié pour toujours au tracé de sa vie-rivière.
« Rivière sans retour, je n’en veux pas. Je suis dans un cycle. »
« Rivière » est le retour à la source. Il faut puiser l’eau, laisser les reflets engendrer l’exutoire. Le deuil à l’instar d’une nage dans un torrent glacé mais spéculatif.
On aime Jean-Baptiste qui s’élance vers le prochain, comme un signe de renaissance.
La poésie est un fleuve qui s’écoule sur les pages : « Les feuilles de l’érable tombent sur le sol et dans la rivière où le courant les emporte. »
Haut les cœurs !
Publié par les majeures Éditions La Contre Allée.
Jean-Baptiste Rivière est un "bouseux psychédélique" qui "préfère l'odeur du fumier à celle des gaz d'échappement". Il a perdu sa femme, Claire. Morte mais loin d'être muette, elle s'exprime tout au long du roman. Est-ce que J-B l'entend ? A chaque lecteur de l'interpréter. En attendant, celui-ci, en plein deuil, s'occupe de son jardin en compagnie de son chien Alpha, et erre dans la communication numérique sur Twitter avec DarkDada, qui est un personnage bien particulier.
Les souvenirs arrivent comme des vagues au cœur d'un Rivière en deuil. Décennie psychédélique, utopie hippie, rock et contre-culture.
C'est un livre où on veut rester tête sous l'eau, hypnotisée par une lueur qui éclaire l'obscurité de cette rivière.
Lucien Suel est un poète jardinier. Et s'il est encore méconnu, il est temps de vous plonger dans cet inconnu. C'est un livre pour tous les âges. J'ai 23 ans, et j'ai beaucoup apprécié !
L'infiniment vaste de l'horizon et le tout exigu d'une bille colorée trouvée sur le chemin de l'école et gardée en trésor comme la promesse d'une possibilité d'ailleurs... le regard d'Angèle se pose sur les choses, sur les lieux et sur les gens, troublé par leurs mystères. Un pas après l'autre, un rêve après l'autre, Angèle absorbe ce qui fait son monde familier jusqu'à l'incertain, jusqu'à une opacité qu'elle pressent sans en discerner les contours. Comme en suspens juste au-dessus de la frontière de l'enfance, elle observe, elle s'imprègne du monde, en essayant de lui donner sens avec les moyens que l'enfance met à sa disposition. Elle essuie la méchanceté et la bonté d'un même mouvement, comme elle essuie le carrelage de la maison familiale avec une wassingue, sans toutefois avoir la force de tordre. Tordre la serpillière, tordre les mauvais rêves pour en essorer la crainte, tordre les gestes cruels pour ne garder que l'innocence, tordre la réalité pour parvenir à en extraire les mots qui libèrent, il faut grandir pour y réussir et grandir c'est tout un apprentissage...
Lucien Suel excelle à dire aussi bien la consistance de la terre et de la brique que l'impalpable frémissement d'un être qui s'éveille. Sous ses mots, Angèle devient fillette-fée, aussi légère que les nuages auxquels elle donne forme, et aventurière d'un quotidien ordinaire, alourdie de tout ce qu'elle ne peut exprimer. La poésie, le lyrisme se déploient dans les évocations sensibles comme dans les détails les plus prosaïques. C'est toute l'enfance qui nous revient en vagues sensorielles et craintives. Ce moment d'équilibre instable où la conscience s'affûte sans que les mots puissent encore l'affirmer. Ce moment où, comme une wassingue, on éponge toute la réalité en vrac, sans pouvoir trier, ni essorer. Angèle, personnage solaire par la grâce d'une écriture ciselée, sautille sur la marelle du temps et fait sans cesse renaître les saisons tendres et cruelles de tous les apprentissages.
Baroque et psychédélique, ce "Lapin mystique" nous entraîne dans une spirale cauchemardesque où les repères agissent comme des trompe-l’œil et où l'esprit des Monthy Python se mêle allègrement aux rêveries fantastiques de Lautréamont.
Majestueuse, l'écriture de Lucien Suel, impose sa scansion à un récit hallucinatoire qu'il serait vain de vouloir résumer.
Amoureux d'histoires linéaires, abstenez-vous ! Amoureux de la force incantatoire du Verbe, précipitez-vous !
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