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Ce roman letton de Laura Vinogradova, traduit par Louise de Brisson, a reçu le Prix de la littérature de l’Union Européenne en 2021.
Une lecture d'une fluidité captivante qui commence avec une disparition mystérieuse, celle de la sœur de Ruta, Dina.
Les années ont passé et elle n'est toujours pas réapparue, Ruta s'est installée dans un certain confort, sans jamais oublier sa sœur, toujours espérant son retour, incapable de faire ce deuil inacceptable, en attente de vivre sa propre vie.
Aujourd'hui, elle se retrouve loin de tout, dans la maison héritée de son père, une sorte de fuite en avant ou de soupape pour l'empêcher d'être complètement submergée par son histoire, l'attente infinie, l'absente qui prend trop de place, toute la place…
Ruta a vécu une enfance difficile et elle n'a jamais connu son père. Dans cette maison, elle va découvrir un homme bien loin de l'image qu'elle s'en faisait.
La rivière toute proche sera son havre de paix et de réconfort, un ultime refuge. Cette rivière qui semble couler paisiblement n'est pas exempte de turbulences, et c'est aussi, d'après moi, le symbole de la vie, de tout ce qu'on transporte avec soi, de ce passé qu'il faut apprendre à lâcher pour enfin s'accepter, accepter ce qu'on ne peut pas changer.
Un roman très bien écrit, concis, vrai, mais d'une simplicité trompeuse, car la vie dont il nous parle n'est pas si simple justement, elle nous questionne en miroir sur nos propres défaillances, notre rapport aux autres et notre (in)aptitude au bonheur…
Nous retrouvons les Editions Bleu et Jaune avec ce roman très attendu, qui nous emmène au cœur de l’Europe baltique, la Lettonie, le pays du milieu, entourée au nord par l’Estonie, au sud par la Lituanie. Les Editions nous proposent le premier roman traduit en français de la lettonne Laura Vinogradova, qui a obtenu le fameux Prix de littérature de l’Union européenne en 2021, au niveau national elle s’est retrouvée sur la liste finale du Prix annuel de littérature lettone.
La rivière est le texte relativement court d’une autrice lettone, certes, mais de portée universelle, comme l’indique le résumé de la quatrième de couverture. Nous relevons très peu d’allusions géographiques qui ancrent le texte dans une réalité très précise, à peine le nécessaire pour comprendre, avec la sonorité des prénoms et des signes diacritiques notamment du macron ( Lūkass, Jūle ), où vit Ruta, traductrice de trente-six ans. Mais, revenons dix ans en arrière. Ruta avait une sœur aînée, Dina, et c’est justement par cet ultime moment passé ensemble, la dernière image que Ruta aura de sa sœur, que débute ce roman. Une disparition inacceptable pour la sœur cadette d’autant que l’on apprend par la suite le tas de ruines qu’est sa famille, des parents séparés, un père à peine décédé dont elle n’a gardé aucun souvenir, une enfance chaotique auprès de beaux-pères maltraitants, d’une mère négligente puis auprès d’une grand-mère sans le sou mais aimante. À l’annonce du décès de ce père inconnu, Ruta quitte donc appartement et mari pour retrouver la maison de Jūle, le père, qu’un matin sa mère avait fui en emmenant ses filles avec elle. Une maison d’été, dépourvue du moindre confort, isolée, avec plus proches voisines la maison de Matilde, et la rivière.
C’est une Ruta totalement déboussolée qui fait la connaissance d’une voisine, Matilde, trouvée devant chez elle, enceinte jusqu’aux yeux, un petit garçon, Lūkass, à ses côtés. Une famille avec laquelle elle va vite créer des liens, une mère avec bientôt ses deux fils, et son frère, Kristofs, marin-pêcheur. Une histoire d’eau, une histoire de courant, d’eau qui finissent par se rejoindre ou pas : la rivière qui borde ces maisons, bien ancrée dans les terres, qui soulage, apaise, efface, qui compte le temps, rythme les journées, accorde un espace à part dans lequel Ruta peut se mouvoir, sans être dérangée, plongée dans ses pensées et dans ses réflexions. Ce qui réunit Ruta et Matilde, dans cette solitude méticuleusement recherchée, soigneusement entretenue, c’est leur enfance fracassée au sein de familles déséquilibrées, où il manque toujours quelque chose. Ce même manque qui ouvre les brèches de la violence, de la maltraitance domestique : ce sont des gens en pleine reconstruction, une construction familiale, même si elle est atypique et ne correspond pas aux cadres sociétaux classiques.
C’est le processus d’une reconstruction, cette vie que Ruta essaie de se réapproprier et de remettre sur les rails, et ce retour au point de départ, cette maison qui a abrité les premières années, les meilleures, de l’enfance de Rita, n’est pas sans importance. C’est la découverte d’un père inconnu, qui a manqué à sa construction, et qu’aucun des beaux-pères défaillants n’a pu remplacer, c’est le ménage de fond en comble de cette maison, des fréquentes baignades dans cette eau salvatrice et réconfortante qui permet à Ruta de lâcher toutes ses digues intérieures, pour laisser le flot de l’eau la réinventer, lui ouvrir la voie d’une nouvelle existence, faire la paix avec elle-même, et avec ses proches défunts. Cette fameuse rivière accorde toute la paix et la sérénité dont Ruta a besoin, que Matilde elle-même, mère célibataire de deux enfants, trouve son bien-être et une forme certaine d’apaisement et de quiétude. Une sérénité qui se dégage jusqu’à l’écriture de Laura Vinogradova, dont la simplicité, la justesse, la fraîcheur, la douceur et la placidité participe au ruissellement de cette aura de qui imprègne jusqu’au lecteur. Un langage poétique, pur, cristallin, et qui porte en lui toujours une source de lumière, même lorsqu’il est question des enfances meurtries des protagonistes, de la disparition de Dina.
Le récit de rencontres qui se font, des amitiés profondes, des amours manqués, celle de la rivière et de la mer, de Ruta et de Kristofs, une histoire esquissée, réunissant un homme et une femme qui ont trouvé leur point d’ancrage éphémère, près de cette rivière, le temps de quelques semaines, le temps d’une cicatrisation. Le feu détruit, l’eau régénère, chaque cycle a sa fin, et le cycle de la régénération de Ruta prend fin avec l’acceptation de la disparition définitive de sa sœur, de son père, de cette maison et les prémices d’une nouvelle existence. Ruta le comprend, il faut savoir laisser certaines questions sans réponse, comme pour nous, lecteurs, qui comprenons peu à peu que l’on n’aura jamais des explications concrètes sur certains points de l’histoire, en particulier sur la disparition de Dina
La rivière
Un soir, semblable aux autres, Dina rend visite à sa petite sœur, Ruta. Elles discutent, rigolent, s’embrassent et se disent au revoir.
Ce soir-là, en rentrant chez elle, Dina disparaît.
Dix années plus tard, Ruta gère cette absence tant bien que mal.
Elle décide de passer l’été dans la maison de son père, récemment décédé, et qu’elle n’avait jamais connu. Une maison vétuste, située près d’une rivière, pour fuir ou se retrouver. Une saison pour tenter d’avancer malgré l’absence de sa sœur.
Ce roman letton salué par le prix de littérature de l’Union européenne nous emmène dans l’histoire d’un deuil impossible. Une disparition laisse planer le doute pour les proches. Dina est peut-être partie volontairement, elle est même potentiellement heureuse ailleurs, loin de sa famille dysfonctionnelle. Mais le tragique est également probable…
Comment gérer l’absence d’une sœur chérie, faut-il il se résoudre à la considérer comme morte ou continuer d’espérer ?
Ce court roman explore cette béance dans la vie de Ruta, déjà marquée, comme d’autres personnages du roman, par une enfance marquée par la violence et les carences.
Mais surtout il se dégage une grande poésie de ces pages, de moments simples, en apparence, mais qui nous ancrent dans la vie.
Si la nature joue un rôle important, les personnes de l’entourage de Ruta également. Petit à petit, elle va accepter de laisser sa méfiance de côté pour accepter de l’aide et y voir plus clair en elle.
C’est un beau roman que nous offre encore les Éditions Bleu et Jaune, un roman tout en délicatesse, une belle opportunité de découvrir la littérature lettone si vous ne l’avez pas déjà fait.
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