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Lorsque j’étais petite, j’avais l’ambition de tout savoir, tout comprendre, tout connaitre, tout apprendre. Curieuse de tout, avide de connaissances et jamais rassasiée, je dévorais compulsivement tous les ouvrages documentaires et encyclopédiques qui me tombaient sous la main, sur tous les domaines possibles et inimaginables. Et si, parfois, je me « contentais » de quelques livres, pour d’autres sujets qui me passionnaient plus, je me ruais à la bibliothèque pour emprunter tous les ouvrages évoquant de prêt ou de loin ces sujets. Il me semble même que pour certains domaines, j’avais un petit cahier dédié sur lequel je recopiais avec application tout ce qui me semblait intéressant à retenir … Parmi ces sujets, la culture amérindienne : une de mes maitresses nous avait appris un chant traditionnel iroquois, et cela avait suffi pour faire naitre en moi cette envie irrésistible d’en apprendre plus sur cette culture. De là, de fil en aiguille, je me suis intéressée plus généralement aux cultures chamaniques. Et même si, aujourd’hui, je ne suis plus aussi passionnée par le sujet, je n’ai tout de même pas hésité bien longtemps avant de demander ce roman aux éditions Auzou !
D’aussi loin qu’elle se souvienne, les nuits d’Isidora ont toujours été peuplées de cauchemars terrifiants, d’êtres difformes et d’ombres malveillantes qui hantent son sommeil et s’immiscent dans ses pensées de tous les jours. Et son quotidien n’est guère plus reluisant : la jeune fille ne se sent à sa place nulle part, ni au sein de sa famille adoptive où elle ne se sent pas vraiment la bienvenue, ni au lycée. Lorsqu’elle est exclue de l’établissement pour s’être battue avec quatre autres élèves qui ont abusé de sa confiance, de sa naïveté et de sa soif d’amour et d’amitié, l’adolescente est expédiée manu militari chez la sœur de son père, au Chili. Le pays où elle est née et qui l’attire comme un aimant depuis qu’elle sait qu’elle a été adoptée. Isadora a trois semaines devant elle pour renouer avec ses racines, mais surtout pour percer le mystère qui entoure sa naissance, son abandon, sa famille biologique. Elle a besoin de savoir qui elle est, et pour cela, elle doit retrouver la trace de cette femme qui, parait-il, l’a déposée sur le parvis d’une église alors qu’elle n’avait que quelques mois. Mais Isadora est bien loin de se douter de ce qui l’attend réellement au fil de sa quête … Car les légendes mapuches sont peut-être bien plus réelles que ce que voulait lui faire croire son grand-père.
C’est un roman qui commence comme beaucoup d’autres : nous y rencontrons Isadora, une adolescente mal dans sa peau, mal dans son âme, mal dans son cœur, mal dans sa vie. Comme beaucoup d’enfants adoptés qui ignorent tout de leurs origines, Isadora peine à trouver sa place dans ce monde. Elle a besoin de savoir, de comprendre : qui étaient ses parents biologiques, et pourquoi l’ont-ils abandonnée sur le parvis d’une église ? Les choses sont d’autant plus difficiles pour elle que ses parents adoptifs refusent catégoriquement qu’elle s’intéresse à sa culture natale : ils lui ont même interdit de prendre l’espagnol comme première langue vivante ! Progressivement, c’est donc une sorte de révolte sous-jacente qui est venue combler le trou béant laissé par ces questions sans réponses. Ajoutez à cela ces cauchemars incessants qui reviennent nuit après nuit la hanter, et vous devinez que va arriver un moment où la cocotte-minute expose … Et effectivement, lorsque le vase est plein, il suffit d’une petite goutte pour déclencher une inondation, et toutes ces émotions refoulées surgissent dans un déchainement de colère. Et voilà l’élément déclencheur dont avait besoin l’autrice pour envoyer la jeune fille loin de chez elle : c’est un peu surréaliste (quel parent va envoyer sa fille, qui vient de se faire exclure du lycée pour avoir tabassé d’autres élèves, en vacances dans le pays de ses rêves ?) mais c’est efficace …
Parce qu’on se rend rapidement compte que le plus important, finalement, ce n’est pas tant le mal-être d’Isadora : bien sûr, il y a toujours en arrière fond cette quête identitaire, ce besoin viscéral pour la jeune fille de savoir d’où elle vient pour pouvoir trouver sa place dans ce monde hostile, mais ce n’est finalement que le fil rouge autour duquel se tisse une autre intrigue. Une intrigue où les légendes mapuches prennent soudainement vie, où les cauchemars qui hantent Isadora s’immiscent progressivement dans la réalité. En fouillant dans son passé, Isadora va déterrer des forces qui la dépassent … Avec ce roman, nous plongeons la tête la première dans la culture de ce peuple méconnu qui a bien failli disparaitre, mais qui s’est accroché coute que coute à ses croyances et à ses coutumes ancestrales. Pour parvenir au bout de sa quête, Isadora doit renouer avec cette culture, avec cette magie qui coule dans ses veines … C’est à partir de ce moment-là que le récit prend un autre tournant, qui flirte allégrement avec le fantastique : alors que la jeune fille ne faisait que chercher des réponses à ses questions, elle se retrouve à combattre ces esprits maléfiques qui la traquent depuis toujours dans son sommeil, elle se libère des entraves qui pesaient sur son esprit depuis sa naissance.
A vrai dire, c’est un roman dont je ne sais pas trop quoi dire et quoi penser, sans doute parce qu’il est quelque peu indéfinissable : nous ne sommes pas totalement dans du réalisme contemporain, comme pourrait le faire penser la quête initiale d’Isadora, mais nous ne sommes pas non plus totalement dans du fantastique. Le roman est à l’orée de deux genres, un peu comme les chamanes ont un pied entre deux mondes … Face aux épreuves et embûches qui se dressent sur la route d’Isadora, nous ne savons jamais si ce n’est que du pure symbolisme ou non, nous ne savons jamais si nous devons trembler comme quand un chevalier de fantasy se retrouve face à un dragon ou non … et c’est un peu déconcertant pour le lecteur, même si cela prouve que l’autrice a remarquablement bien fait son travail ! Personnellement, j’avoue que j’aurai préféré que l’accent soit véritablement et clairement mis sur le cheminement intérieur d’Isadora, car même si j’aime beaucoup le fantastique et la magie, je suis quelque peu restée sur ma faim : alors que ce besoin de connaitre ses origines semblait tirailler profondément Isadora, j’ai le sentiment que cet aspect de l’histoire est vraiment passée au second plan, et d’ailleurs, les révélations sur ce mystère tiennent en moins de deux pages au dernier chapitre, et la jeune fille les assimile instantanément … J’ai trouvé ça dommage.
En bref, vous l’aurez bien compris, même si j’ai globalement apprécié ma lecture, je ne l’ai pas trouvé aussi puissante et émouvante que je l’espérais, sans doute parce que ce qui apparaissait comme l’enjeu majeur de cette épopée au Chili a très vite été éclipsée par l’irruption dans la réalité des légendes mapuches. Et même si cela confère une ambiance vraiment très particulière au récit, à la fois très onirique et très pesant, cela nous empêche également de nous attacher véritablement à cette jeune fille en grande souffrance qui n’est finalement plus qu’un prétexte pour nous faire découvrir cette peuplade et ses croyances … Cela reste toutefois un roman envoutant qui a le grand mérite d’emmener le lecteur là où la littérature jeunesse s’aventure très (et trop) rarement : en Amérique du Sud. Quel voyage : on a vraiment le sentiment de sentir la présence de la Cordillère des Andes, vraiment le sentiment de sentir la chaleur du soleil ! Car Katherine Quénot a une très belle plume, elle sait nous embarquer en quelques mots : la narration de ce roman est très vivante, simple mais efficace. En clair, c’est un roman que je conseille seulement à ceux qui n’ont pas peur des récits atypiques et inclassables, et qui aiment quand leurs repères sont totalement brouillés !
http://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2021/05/chamane-katherine-quenot.html
Mignon...
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