Des incontournables et des révélations viendront s'ajouter à cette liste au fil des semaines !
Après De l’ardeur, récit consacré à l’avocate syrienne Razan Zaitouneh, figure de la révolution populaire du printemps 2011 portée disparue depuis 2013, Justine Augier s’intéresse, toujours dans le registre pot de terre contre pot de fer, à la persévérance d’une poignée de juristes françaises et allemandes soutenant une plainte contre le cimentier Lafarge pour “financement d’organisation terroriste”, “mise en danger délibérée d’autrui” et “complicité de crime contre l’humanité”.
Entre 2013 et 2014, alors que la guerre faisait rage en Syrie, la multinationale aurait financé le terrorisme et Daech pour maintenir en activité son usine de Jalabiy, à moins de cent kilomètres de Raqqa, évacuant ses expatriés mais fermant les yeux sur les dangers courus par ses salariés syriens. Interpelées par les témoignages de quelques-uns de ces hommes, une juriste et deux stagiaires de l’ONG Sherpa engagée dans la défense des droits humains et de l’environnement commençaient il y a huit ans à rassembler les faits et les preuves pour convaincre les juges d’instruction d’ouvrir une enquête.
Mis en examen depuis 2018, le groupe cimentier qui, également poursuivi aux Etats-Unis pour atteinte à la sécurité nationale, a préféré éviter le procès en plaidant coupable d’avoir financé l’État islamique et en s’acquittant d’une lourde amende, est encore en attente de jugement en France, ses avocats s’ingéniant à jouer la montre à coups de recours procéduriers. Toujours est-il qu’après la BNP au Rwanda et Lundin Energy au Soudan, toutes deux poursuivies pour crimes internationaux, c’est la première fois avec Lafarge qu’une personne morale doit rendre compte en France pour sa complicité dans des crimes contre l’humanité. Une avancée que le récit s’émerveille de devoir à la détermination d’une poignée de femmes employées par de petites associations et tenant miraculeusement tête aux armadas d’avocats des cabinets les plus puissants.
Car, et c’est sans doute ce qui rend ce livre tout à fait prenant, la trame narrative choisie par Justine Augier s’attache avant tout, au-delà de l’affaire Lafarge décrite avec sérieux et objectivité, à la dynamique impulsée par une minorité d’acteurs se relayant patiemment, sans jamais baisser les bras, pour faire contre-pouvoir et obtenir que des lignes réputées immuables finissent par bouger. D’un côté, des hommes de pouvoir obsédés par le profit. De l’autre, quelques femmes portées par leur foi dans le droit et s’appliquant avec inventivité à se glisser dans le moindre interstice favorable à la justice. C’est une longue course de relais, un véritable sacerdoce usant et souvent désespérant, mais aussi la démonstration que le progrès est permis dans la défense des droits humains face au cynisme de l’argent et du profit à tout crin.
Enquête documentée sur une affaire symbolique des (ir)responsabilités des entreprises présentes en zones de guerre, ce livre passionnant et accessible est surtout une réflexion pleine d’espoir sur l’engagement et sur l’idéalisme, et un vibrant hommage à celles et ceux qui, fourmis de l’ombre, se relaient pour la seule satisfaction de voir doucement progresser la cause de la justice et des droits de l’homme.
Croire sur les pouvoirs de la littérature - Justine Augier
La littérature pour Justine Augier semble être une échappatoire au regret, une réponse à un fléau, une liberté à l’enfermement ; faire exister celles et ceux qui ne sont plus.
Les livres ne provoquent pas de révolution mais ils nous travaillent, longtemps et d’une façon mystérieuse.
Ce récit émouvant et d’une écriture réfléchie, inclus sa mère disparue dans des livres qui les relient.
Ces livres sont les leurs, sont les nôtres dans les flots des auteurs qui ont été, qui sont encore et pour l’éternité.
La littérature donne vie en soi et à d’autres regards sur le monde,…
Accepter que la littérature rentre chez soi, permet de ne plus sortir de la beauté des pensées des personnages et des histoires ensorceleuses.
Libérer l’écriture, libérer la littérature c’est le thème central et profond finalement au monde qui nous entoure
Quand vous écrivez, vous tentez de trouver quelque chose que vous ne savez pas. Pour moi, tout le langage de l’écriture est de trouver ce que vous ne voulez pas savoir, ce que vous ne voulez pas comprendre, James Baldwin
Je ne connaissais ni Justine Augier, ni son écriture, et j’ai découvert qu’elle est la fille de Marielle de Sarnez et une belle plume !
Hommage d’une fille à sa mère
Justine Augier a rassemblé un ensemble de livres et de mots afin de décrire ce qui la lie d’abord inconsciemment puis consciemment, à sa mère. L’ambiance est certes intimiste et dure du fait de la maladie et de la fin de vie de sa mère, mais tout autant tournée vers le politique, le militantisme, le totalitarisme et la philosophie sociale. Ses références littéraires sont multiples et vastes du fait de l’appel à de nombreux textes, textes qui lui parlent, qui lui rappellent la vie de sa mère. Je sous-entends par là que les 140 pages ne sont pas guillerettes mais leur justesse est telle, que j’ai fini par décider que l’ouvrage était tourné vers l’avenir et la possibilité de plénitude que me donne la littérature.
Elle appuie sur la chance que certains ont de pouvoir accéder à des textes et des oeuvres qui ouvrent l’esprit. Elle évoque à quel point, dès que nous pouvons y consacrer une belle part de notre temps, la lecture devient une chance de nous éloigner du désespoir, voire de devenir « un résistant » comme elle le dit si positivement.
Elle y voit pareillement un atout de celle-ci contre l’oubli. Fixer les faits, l’histoire, la psychologie des évènements est une réelle félicité. Et elle a raison.
La liste des auteurs, des grandes figures et des oeuvres cités serait trop longue ou, si j’en donne quelques uns, elle en deviendrait partiale.
Et pour toutes ces idées réunies, Justine Augier a réussi un pari ; celui de nous conforter dans l’idée que l’accès à la lecture, à la culture est une étoile dans notre ciel. Nous sommes sur le bon chemin en conservant notre passion de la lecture, peut-être un des seuls qui maintienne notre cerveau et dirigent plus sensément nos choix de vie.
Dans « De l’ardeur », Justine Augier évoquait la vie de Razan Zaitouneh, avocate syrienne, militante des droits humains et opposante à Bachar al-Assad, enlevée en décembre 2013 et dont on est toujours sans nouvelles.
Dans cet ouvrage-ci, elle s’intéresse cette fois à Yassin al-Haj Saleh, également opposant au régime des al-Assad (père et fils). Contrairement au livre sur Razan (qu’elle n’a jamais rencontrée), pour lequel elle n’avait pu se baser que sur des écrits, des photos ou vidéos et les témoignages des proches de Razan, Justine Augier a eu cette fois la possibilité de rencontrer Yassin à plusieurs reprises, à Berlin où il s’est exilé.
Avec lui, elle retrace son parcours et sa dissidence, son emprisonnement de ses 20 à ses 36 ans dans les geôles du père Assad, sa participation au printemps syrien à partir de 2011, sa fuite et son exil en Turquie en 2013 jusqu’à son arrivée en Allemagne en 2016, sa tragédie personnelle depuis que sa femme Samira a disparu, enlevée en même temps que Razan et deux autres compagnons d’infortune.
Il est question de la barbarie du régime syrien, de tortures et de traumatismes, du complexe du survivant, de la douleur de l’exil et de l’impuissance face à la guerre sans fin, d’emprisonnement et du pouvoir des livres (ceux d’Hannah Arendt entre autres) qui permettent de s’en évader un tant soit peu.
Mais ce livre est bien plus que la biographie d’un seul homme, il est aussi une réflexion profonde sur le Mal et l’humanité, sur ce que peuvent (ou pas) le droit et les tribunaux pour rendre justice au peuple syrien martyrisé par son dirigeant, sur l’abandon éhonté dans lequel ce dernier est laissé par la communauté internationale, sur les échos que ce conflit meurtrier fait résonner dans le passé récent de l’Europe.
Justine Augier ne se pose pas en moralisatrice omnisciente, loin de là (« …honte de venir d’un milieu privilégié, de me promener avec un passeport privilégié, d’appartenir au monde occidental responsable de tant de violences et d’indifférence »). Avec humilité et sincérité, elle fait part du pourquoi et du comment de sa démarche et de ses recherches, explique son propre parcours, ses doutes, son questionnement, la réflexion qui l’a amenée à écrire sur la Syrie.
J’avais préféré « De l’ardeur », précisément parce que je l’avais trouvé plus ardent, mais « Par une espèce de miracle » est tout aussi poignant et désespérant, admirable d’humanisme et de sensibilité, de richesse intellectuelle, remarquable par son talent d’écriture. Un livre essentiel pour ne pas oublier la tragédie syrienne (et toutes les autres).
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