Des incontournables et des révélations viendront s'ajouter à cette liste au fil des semaines !
La nature est généreuse et belle sur l’île de San Juan, dans l’Etat de Washington. J’ai bien dit Etat, non pas la capitale fédérale du même nom. Tout à fait au nord-ouest des Etats-Unis, limitrophe de la frontière canadienne, au Sud de Vancouver. Cependant la vie n’est pas si facile pour tout le monde, dans ce cadre somptueux.
Faisons connaissance avec Elena et Sam, deux sœurs nées à un an d’intervalle. Elles vivent sous le même toit que leur maman dans une maison, sans grand charme, héritée de la grand-mère. Famille soudée, les deux filles très proches, elles se remémorent leurs jeux d’enfance dans ce merveilleux cadre de vie : « Quand elles étaient petites, toutes petites, les sœurs adoraient vivre sur San Juan, elles se rendaient à Lime Kilm et passaient des journées entières à guetter les baleines, postées sur les falaises. En apercevoir une, c’était comme voir une étoile filante. Il n’était surtout pas question de fixer un point précis – il fallait laisser flotter son regard. Elena était particulièrement douée pour ça. Elle donnait un petit coup de coude à Sam et chuchotait : « Baleine à bosse ». Les touristes, autour d’elles, équipés de jumelles, retenaient un petit cri et se penchaient vers Helena pour tenter d’entendre ses secrets. Elle montrait du doigt les bancs de cétacés. Baleines à bosse, baleines grises, baleine de Minke, marsouins qui ondulaient et bondissaient dans les vagues. Orques majestueuses, avec leurs ailerons aiguisés comme des lames. Les filles se promenaient sur les falaises et regardaient les otaries se laisser dériver en contrebas. Elles se dirigeaient vers le nord, vers English camp, où s’élevait autrefois une maison communale salish, et s’inventaient des rôles en marchant dans l’épaisseur des fougères humides. »
Les jeunes femmes ont, désormais, presque trente ans. Depuis cette douce petite enfance où elles se sont fait la promesse de rester toute leur vie l’une près de l’autre, elles ont traversé des périodes délicates. La venue d’un beau-père violent, expérience douloureuse heureusement aujourd’hui révolue. A suivi, la pandémie de Covid19, où le travail s’est fait rare, et de ce fait aussi les rentrées d’argent. Et voilà que la maman, aujourd’hui, très gravement malade à force d’inhaler des produits toxiques dans le salon de beauté où elle travaillait, a fini de ruiner les économies et les dettes s’accumulent.
Elena, l’ainée, gère la situation délicate du mieux qu’elle peut et s’use en petits soins auprès de sa maman.
Sam est plus rêveuse, elle souhaite quitter San Juan et ses tracas pour une vie citadine auprès d’Elena. En attendant, elle s’occupe de la restauration des touristes sur un ferry qui sillonnent les îles. Elle s’émerveille un jour, quand non loin du bateau elle voit une masse brune en train de nager, un ours. Fait rarissime qu’il quitte le continent pour se réfugier sur une île ! Mais, peu de temps après, quand Elena lui révèle qu’elle a aperçu la bête dans le jardin de la maison, son admiration se transforme en peur. D’autant plus, qu’Elena se prend d’amitié pour l’animal et fait tout pour l’attirer. Sam voit l’ours comme un intrus qui la supplante dans le cœur d’Elena. Effectivement les rapports sont plus tendus entre les deux sœurs et des non-dits, tout à coup, font surface. Sam arrivera-t-elle à trouver un moyen pour écarter l’inopportun et resserrer les liens avant que la structure familiale n’en souffre ?
Une histoire simple décrite d’une plume plaisante. Simple, mais qui aborde de nombreux thèmes, la place prédominante des liens familiaux, sororité, aide aux anciens, violence au sein du couple, mais avant tout décrit la difficulté de vivre dans l’Amérique d’aujourd’hui où la couverture sociale est quasi inexistante. Se pose, également, le problème de la cohabitation de l’humain avec les animaux et la manière de l’aborder, divisant en deux clans la population. Une lecture qui, finalement, fait réfléchir.
Sortie du livre chez vos libraires le 08 janvier 2025
Un grand merci à Autrement Littératures pour cette lecture anticipée.
Bienvenue au Kamtchatka
Le livre débute au moins d'août alors que deux jeunes soeurs, âgées de 11 et 8 ans, prennent le soleil un dimanche après-midi au bord d'une baie de la péninsule volcanique du Kamtchatka, dans l'extrême-est de la Russie. À la fin du chapitre, là où se trouvaient les soeurs, il n'y a plus que l'absence. Elles ont disparu comme des fantômes, soufflées par le vent ou plutôt attirées dans la voiture noire et brillante d'un homme étrange.
À partir de là, Dégels s'éloigne radicalement et agréablement de ce que l'on pourrait attendre. Julia Phillips n'est pas pressée et elle ne choisi pas le plus court chemin. le roman se préoccupe moins de résoudre le mystère que de plonger le lecteur dans la vie intérieure d'une douzaine de femmes qui ont été directement ou indirectement, consciemment ou pas, touchées par la tragédie.
Chaque chapitre représente un mois, chaque chapitre est centré sur une femme et assez complet pour que l'on puisse oser parler de nouvelles. À travers ces différentes perspectives, on voit comment la disparition des fillettes affecte les habitants de ce territoire et comment cela évolue avec le temps. La panique initiale laisse place petit à petit à l'habitude puis au désintérêt.
L'autrice ne fait rien pour clarifier les liens entre ses femmes, pour expliquer comme les pièces s'emboîtent. C'est au lecteur de résoudre ce casse-tête.
L'histoire se propage de la capitale de la péninsule à son nord rural et on est transporté dans des endroits d'une beauté étonnante: forêts densément boisées, étendues de toundra, volcans, sources d'eau chaude, paysages enneigés.
Finaliste du National Book Award, la construction de « Dégels » rappelle le « Ici n'est plus ici » de Tommy Orange mais avec en plus une pointe de Laura Kasischke.
Ce huis-clos à l'échelle d'une péninsule est un premier roman très prometteur qui mérite grandement votre attention.
Traduit par Héloïse Esquié
Un thriller pas comme les autres ! Par son cadre, d’abord, le Kamtchatka, une péninsule devenue perméable à l’immigration des non russes. Julia Philips a pris les codes du genre et les a faits tous exploser. Le criminel ? On ne sait pas rien de lui. Il a le profil du marginal, mais l’auteure ne s’étend pas sur sa psyché, en cherchant à comprendre, par exemple, en quoi une enfance malheureuse aurait pu le mener au crime le plus odieux. Les enquêteurs ? Une bande d’incapables dont les hésitations coupables et les incompétences sont aussi révoltantes qu’incompréhensibles. Les victimes ? Là encore, on a peu d’informations. Le mobile ? Totalement inconnu ! Le dénouement et la scène finale ? D’une désarmante discrétion. Alors de quoi ça parle ? De la manière dont les cercles (1°famille, 2°proches, 3°habitants du coin) absorbent le choc de la disparition de deux fillettes. Chaque chapitre est un mois de l’année, dédié à l’un de ces cercles – ce qui en fait un roman choral. Plus le temps passe, et plus on découvre à quel point cette affaire non élucidée a perturbé le quotidien de chacun, à en devenir obsédante, pathologique. La plus grande qualité de ce roman est aussi son défaut : la multitude des personnages impliqués. Chaque chapitre est presqu’un nouveau livre, ce qui demande un gros effort de concentration. On s’y perd un peu et puis, à partir de la page 250, accélération, la trame, avec tous ses fils tendus, se resserre, jusqu’à l’apothéose finale qui m’a prise de cours. Malgré quelques longueurs, c’est un thriller inattendu que vous n’oublierez pas de sitôt !
Bilan :
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