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« Tu aurais pu passer quelques jours ici et repartir comme ça, tranquille. Mais tu t’es tapé un arbre, et maintenant, tu fais partie de l’histoire en cours. Je sais que tu n’as pas choisi, Antoine, mais tu y es… »
Le narrateur est un jeune diplômé ingénieur agronome à tendance oisive avec une capacité réelle à ne rien faire tant qu’il n’y est pas forcé.
La vie d’Antoine est sans projets ni décisions, portée comme une feuille d’automne par le vent.
On va le suivre passionnément sur un chemin semé d’embûches et d’aventures qui m’ont fait lire ce livre bien écrit, très rythmé, chargé d’une belle philosophie humaine, quasi d’une traite.
Antoine se retrouvera à de nombreuses croisées de chemins et les multiples orientations qu’il prendra le construiront et c’est sans guide, sinon par lui-même, qu’il trouvera sa place dans la vie.
Au début du livre, on le trouve dans l’appartement hérité de son grand-père à Paris.
Les ‘Nuits debout’ battent leur plein en bas de chez lui, Place de la République. Comme toutes les nombreuses manifs dans la capitale, le bruit kidnappe la tranquillité des habitants.
Antoine descend non pas pour de quelconques convictions mais pour parler à des gens autour des braseros, comprendre ce qui les motive et surtout parce que le bruit de la foule, des slogans, des musiciens et des sonos au max, font que le bruit s’engouffre par les fenêtres, « rendant la vie impossible à l’intérieur des logements. »
Mais voilà qu’un peloton de CRS entre en action face à une contestation réchauffée par l’alcool et qui devient tendue sous l’invective anti ci et ça crachée par les haut-parleurs. Les insultes des assaillants font se dresser les matraques policières et fuser les gaz lacrymaux. Antoine tousse, avance dans le brouillard à la recherche de sa porte cochère mais le voilà balancé contre une vitrine et plaqué au sol à quelques pas de l’entrée de son immeuble.
Une jolie blonde aux yeux bleus, style free-love, va l’aider à se relever et même l’embrasser. Antoine la retrouvera pour quelques heures au lit. Elle l’invitera à venir la voir à la ZAD de Notre-Dame des Landes où elle vit.
Poussé par l’ennui de ne rien faire, il refera tourner le moteur de la vieille voiture de son grand-père garée au parking depuis des mois et en route.
On va suivre Antoine jusqu’à la ZAD où il restera un temps et participera au travail des potagers et constructions de cabanes dans ce lieu loin d’une vie rêvée dans la boue, le froid et la pluie.
Un assaut policier confronté à la violence des zadistes ultras le décidera à fuir le site et répondre à l’invitation d’un copain à venir le rejoindre chez lui à Brisbane.
Si l’auteur nous fait vivre live ‘Les nuits debout’ et la ZAD de Notre-Dame des Landes, il décrit l’Australie avec autant de talent, des grandes villes et demeures bourgeoises, au fin fond des villages aborigènes et leurs traditions en passant par les mines d’or de Kalgoorlie, les rubans goudronnés qui traversent le bush bordés de terre rouge, de gigantesques termitières et de kangourous écrasés.
Si les accidents vont charger Antoine de quelques complexes de culpabilité, ils vont aussi lui faire trouver sa voie sur un futur inattendu.
Après avoir shooté un kangourou sans le faire exprès, une voiture lui rentre dedans à un croisement. Le chauffeur meurt sur le coup laissant un gros sac plein de pognon à ses côtés.
Au-delà de l’aventure prenante et pleine de suspens, Jacques-Olivier Trompas se sert de ses personnages pour dépeindre chaque situation et chaque point de vue d’une façon objective sur de nombreux sujets tels l’écologie vs la société de consommation, le capitalisme vs l’anti capitalisme, les traditions vs le modernisme, l’honnêteté vs la malhonnêteté, la générosité vs l’égoïsme, la compassion vs l’indifférence, etc.
Antoine nous emmènera au bout de lui-même car pour finir peu importe le chemin que nous prenons, c’est le cheminement qui compte.
Un super bouquin d’aventure contemporaine humaine et voyageuse, riche et généreux.
D’autre part, il est à noter que l’édition polynésienne « Au vent des îles » offre un beau livre, avec un papier de qualité, un format agréable, et l’illustration de couverture signée Gabrielle Ambrym est absolument magnifique avec ce Gugubarra que je vous invite à découvrir en hommage à la lumière du jour qui suit la nuit…
Absolument séduite et ravie d'avoir découvert cet auteur!
Ce livre ! Admirez le graphisme de la couverture de Gabrielle Ambrym. Comment douter alors de ce temps de conception intuitif et aux traits révélateurs d’une histoire à venir résolument perfectionniste. Quel charme et quelle prouesse !
Olympien, merveilleux de délicatesse et de justesse, « Gugubarra » est un roman sensible, profondément humain.
Ce kaléidoscope sociétal, écologique, étire ses rais de lumière jusqu’au tremblant de l’antre d’Antoine, le narrateur. Il vit seul et pour cause. Il a en lui des blessures infinies, insondables et les regrets vifs. Remords-braises, ses regards se perdent sur Paris, sa ville.
Il ne travaille pas. Il vit avec l’héritage de son grand-père, ethnologue, pour un an de ressources en faisant très attention. Il cherche sa voie. Pas de côté.
L’écriture est un arc-en-ciel. À elle seule, elle déploie la force intrinsèque de ce récit bleu-nuit dont l’intimité est Antoine lui-même. Ce dernier observe une manifestation de sa fenêtre. Combat d’une jeunesse contre les fléaux inégalitaires, la terre blessée dans sa chair. Sans se sentir véritablement concerné, il va se fondre en elle, observer les mailles se refermer immanquablement. Essayer le mimétisme, survivre. Effet dominos, grand-écart, Antoine cherche les compensations, les moindres indices qui l’aideront à exaucer ses repentances.
Son grand-père était pour lui le socle. Orphelin de ses parents à dix-sept ans, un drame qui n’en finit pas. Tout se bouscule et la trame est un papillon de nuit sur une ampoule qui vacille.
« Moi, le spectateur attentif de ses récits j’admirais l’homme qui avait vécu sa vie. Une vie pleine, riche, forte. Une vie à l’opposé de celle que j’entamais. »
Un grand-père érudit, épris des tribus Aborigènes, les périples en Australie, sciences-humaines et connivence. De fil en aiguille Antoine va à Notre Dame des Landes. Il n’a pas le profil, pas encore.
« Je raconte à Glen que mon grand-père avait écrit un ouvrage sur le « temps de rêve » des Aborigènes de la région de Weemol, dans le Territoire du Nord. »
Glen est son opposé. Convaincu, engagé, petit-bourgeois, il prend son rôle à cœur. Il va entraîner Antoine jusqu’en Australie à Brisbane, sa terre natale.
« Alors j’observe ces gens. Impossible de douter de leur bonne foi, de leur sincérité. Mais cette pensée unique de groupe me rebute, c’est plus fort que moi. »
On ressent l’idiosyncrasie et les habitus de l’Australie. Manichéenne, dualité, les Aborigènes « tous connectés, tous reliés par un fil invisible. Invisible surtout pour nous les occidentaux. »
Le récit est souffle et quintessence. La capacité hors norme de Jacques-Olivier Trompas de mêler une fiction au réalisme fou, sentimentale, existentialiste, politique et engagée. Et la gravité d’une renaissance à la vie pour Antoine. Dans les entrelacs de « Gugubarra » Kookaburra, le plus gros martin-pêcheur du monde. Symbole quand tu nous tiens ! De ce peuple Aborigène broyé par les blancs. Les coutumes et rites écrasés du pied. Le travail dans les mines, poussières noires au profond des yeux, corruption et soumission.
« Faire société, c’est être capable de comprendre l’autre, l’empathie, Antoine...et c’est accepter des règles communes. Pour les Aborigènes, les règles australiennes ne sont pas communes, elles ont été plaquées sur eux comme de la peinture sur de la poussière... »
Ce livre de salut, extraordinaire, est un hommage mémoriel pour les Arborigènes. Une ode générationnelle. Pétri de compassions, loyal et initiatique, ce livre à tiroirs, visages et altruisme est un voyage dont on revient métamorphosé. Après « Au pays des borgnes » et « Blackbird », « Gugubarra » signe la consécration d’un grand écrivain. Publié par les majeures éditions Au Vent des îles.
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