Les écrivains russes sont à l’honneur à Livre Paris du 16 au 19 mars 2018, et c’est une immense fête pour le livre.
Les écrivains russes sont à l’honneur à Livre Paris du 16 au 19 mars 2018, et c’est une immense fête pour le livre.
Intemporel, une île sans bordures, invisible pour les yeux, métaphysique et étrange.
Nous sommes entre les plaines et les voix. Un chant choral qui acclame et prononce la prophétie.
On ressent les embruns, le brouillard, le sel et les étoiles, les mots qui étonnent, bousculent et transcendent par une magnificence spéculative.
Trois voix majeures, celles des chroniqueurs dont on retient l’avant-garde, les faits comme des adages.
Ce livre est un classique, une référence.
La double voix d’un couple princier qui remet d’équerre les paroles. Ils retournent la terre et sèment le trouble. La quête de vérité en absolu.
Ce serait comme un conte des mille et une nuits. Mais bien plus encore, tant il est unique, précieux et étonnant . Magnétique et enivrant, magique, de rêve et d’évasion.
C’est dans l’orée médiévale que tout est assigné. À l’instar des êtres qui déambulent légendaires et mystiques. Le fantastique, les époques et le temps qui s’enroule et se déroule à l’infini.
L’histoire de la vie en somme, comme l’Atlantide. Un récit très ancien auquel on redonne la parole, autrement.
La trame qui joue son rôle de rémanence et de pouvoir.
L’honneur d’un livre empreint de théologal, de force et de sagesse.
« La plus haute harmonie entre les pièces du jeu d’échecs existe dans leur disposition initiale ; le premier mouvement la brise. Chaque nouveau coup ne fait qu’empirer les choses, mais ne pas bouger est impossible. C’est là l’impitoyable loi des échecs, et ce ne sont pas les joueurs qui l’ont inventée. »
« Prince, tu auras un fils du nom de Parthène, ce qui signifie vierge. Chez le prince Andronic naîtra une fille, Xénie, c’est à dire étrangère, ce que l’on peut comprendre comme étrangère au monde. Et ils seront unis par le mariage, et avec cette union la guerre intestine prendra fin dans l’Île. »
Ce livre est l’imaginaire comme le vaste désert. La marche lente dans les cimes d’un livre presque inexplicable, tant sa beauté est intérieure et ses mystères des contes entrelacs, passé, présent, futur. « Histoire de l’Île » est le piédestal littéraire. Un livre qui sera étudié par les étudiants (es) en littérature, tant la forme et le fond, le sens et la prise somment le monde.
Écoutez : « Les enfants sortent sur la terrasse et voient la MER. Ils s’assoient sur les fauteuils de chêne aux accoudoirs sculptés en têtes de lions. Ils attendent que tout le monde se réveille . »
Une multitude d’univers dans une stupéfiante acuité verbale. Une litanie prodigieuse. La génèse d’une Île étrangère au monde . Le piédestal !
Né à Kiev en 1964, spécialiste du Moyen Âge, « Histoire de l’Île » est le cinquième roman d’Evgueni Vodolazkine. Traduit à la perfection du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton. Publié par les majeures Éditions des Syrtes.
Les chroniques du temps passé
Voici une terre mystérieuse. Une île qui se situe dans les limites terrestres mais que, personnellement, je ne connais pas.
Cette île possède une tradition bien ancrée : des moines rédigent la chronique des années qui défilent, des conflits et des moments de paix.
Cependant, les moines ne sont pas les seuls à rédiger cette chronique : Parthène et Xénie, dirigeants dont le destin est intrinsèquement lié à l’île, éclairent les récits de leurs souvenirs et réflexions personnelles.
Ces deux personnes ayant, d’ailleurs, une exceptionnelle longévité qui ferait pâlir d’envie bon nombre d’entre nous.
Les éditions des Syrtes nous gâtent avec ce roman d’Evgueni Vodolazkine.
En effet, on peut lire cette histoire comme un récit complètement ancré dans la fiction, teinté de réalisme magique et servi par un humour d’une grande efficacité.
Sans oublier une mystérieuse prophétie qui forcément, doit être retrouvée pour mieux comprendre le destin de l’île à moins que celui-ci ne soit déjà tracé par la faute des hommes condamnés à répéter les mêmes erreurs.
Mais ce serait passer à côté de la véritable force de ce récit.
Car ce roman est une véritable réflexion sur l’histoire, l’Etat et la politique.
Une façon d’étudier comment le temps était vu, jadis, et comment il est apprécié à l’époque contemporaine.
Comment les hommes politiques tentent de s’approprier l’histoire, d’ailleurs peut-elle être objective ou n’est-elle qu’un instrument au service du pouvoir?
Et surtout, ce sont les grands bouleversements étatiques qui se retrouvent à travers les pages de ce roman atypique.
Bref, je me suis régalée avec ce récit et espère que vous en ferez de même.
Cette rentrée littéraire a vue fleurir quelques romans en provenance de l’Europe de l’Est, dont certains titres russes. Parmi ceux-ci, la maison d’Éditions des Syrtes spécialisée dans ce domaine, a publié trois titres dont Brisbane d’Evgueni Vodolazkine, dont je n’ai lu que de bons échos. Titre que j’avais noté tout en haut de ma liste mais je me suis finalement décidé pour son précédent roman L’Aviateur. Pour la simple raison qu’il traitait des îles Solovki et que j’avais très envie d’en savoir plus après avoir lu il y a quelques années L’île de Sakhaline de Tchekhov. Entendons-nous bien, le documentaire de Tchekhov n’était en aucun cas romancé, loin s’en faut, alors qu’il s’agit ici d’une œuvre de fiction pure. Il y a un autre roman d’Evgueni Vodolazkine dont j’ai également vu passé des critiques positives Les quatre vies d’Arséni, qui a pour décor la Russie médiévale. Les textes d’Evgueni Vodolazkine semblent avoir bonne presse, qu’elle provienne des médias ou des blogueurs/instagrameurs/facebookeurs, et je m’en vais de ce pas rejoindre le cercle de celles et ceux qui ont apprécié leur lecture de Vodolazkine.
Innokenti Petrovitch naît en 1900 et vit sa vie de jeune russe, malgré la mort de son père, jusqu’à ce que les bolcheviks prennent le pouvoir et bouleversent sa vie. C’était le temps du bonheur. Cette nostalgie de la félicité perdue, à jamais, traverse le livre de part en part, la puissance de ces doux souvenirs le font tenir quand il se retrouve totalement démuni de toutes sortes de repères, cette sensation qu’il ne retrouvera jamais plus et à laquelle il se raccroche tant bien que mal. Car Innokenti se réveille à l’aube du XXIe siècle russe dans la peau d’un jeune homme de trente ans, et autant vous dire que le choc est rude. Après un long « coma » de soixante ans, c’est l’absurdité qui le trouve à son réveil, celle de notre monde actuel, rendue par un soupçon d’humour agrémenté de cynisme et d’(auto)dérision. Mieux vaut en avoir, il est vrai, quand on se réveille à l’époque des émissions de télé-réalité!
Parce que la remarque n’est pas innocente quand on s’aperçoit que Robinson Crusoé, lecture favorite de son enfance, ne cesse de ressurgir de sa mémoire, à lui le rescapé d’un temps révolu et des camps de travail des îles Solovki. Innokenti, c’est un vestige archéologique, les archives de sang et d’os de l’état socialiste qui a fini par s’égarer dans les méandres de la société capitaliste qui n’a guère d’autres valeurs que celle de l’argent. Et tant pis s’il s’agit de faire le pitre au milieu d’une publicité pour les légumes congelés! (Je vous tais bien malgré moi l’ironie de la situation que vous comprendrez si vous lisez le roman!). Car il faut de l’argent pour survivre. L’île d’Innokenti est bien petite et l’océan qui le sépare de ce monde sur le point de basculer dans un siècle nouveau est celui de la multitude des tombes des gens aimés, parents, amis ou même connaissances, qui se sont éteints pendant son absence.
Il y a beaucoup d’îles dans ce roman, archipel d’Innokenti: celle de Robin, des Solovki, la sienne ou plutôt les siennes ou celles, comme j’en parlais plus tôt, de la fiction télévisuelle. La mémoire vacillante d’un homme qui doit réapprendre à connaître son pays, cette autre entité qu’il ne comprend plus. Les quelques remarques mi- acerbes mi- résignées sur l’état de la Russie en disent long. L’auteur enchevêtre habilement trois pans, trois époques de la vie de notre jeune-vieil-homme: sa jeunesse encore préservée, puis ses années de bagne sur les îles Solovki et son apprentissage de cette nouvelle fédération russe de 1999. La particularité de ce roman, c’est ce récit journalier qui le structure, une sorte de journal intime de la vie qu’Innokenti redécouvre, de son passé qu’il se remémore peu à peu, ensuite remplacé par un journal à trois voix. Les deux temporalités mélangées, donnent une sensation d’irréalité, de cette impossibilité de s’ancrer dans le réel, de ne faire que survoler la réalité.
Parce que finalement le rôle d’Innokenti, l’aviateur Platonov, est, avant tout, celui de donner une vision d’ensemble de la Russie de ce XXè siècle plutôt mouvementé, qui a mis fin au tsarisme, qui est devenu union et enfin fédération. S’il est dans la capacité de donner cette vision élargie de la situation, l’Aviateur, qui survole époques et décennies, est aussi dans la capacité de donner une nouvelle vision de sa situation actuelle. Ce titre reflète de la complexité et de la profondeur de ce roman qui nous entraine aussi sur une réflexion sur l’Histoire, à travers divers échanges avec le docteur Geiger. Cet échange et comparaison de points de vue est tout à fait instructif d’autant que leur vécu de la Russie est tout à fait différent: l’un a vécu la dictature Stalinienne, et la pire peine qui soit, l’envoi au bagne. Tandis que l’autre voit les hommes d’État se succéder sans pour autant que le pays n’évolue positivement (Nous sommes en 1999, Vladimir Poutine venait juste d’accéder au pouvoir…).
Quel formidable récit l’histoire de cet homme à la conscience gorgée par les souvenirs d’une Russie disparue! On y relève à la fois une gravité certaine, de la part d’un homme qui est revenu du fin fond des enfers, mais aussi une pointe de dérision; et cette combinaison donne toute sa richesse à ce roman, à la fois tragique et drôle, ou les trahisons, et elles sont légions, marquent un homme qui n’a finalement fait que se laisser transporter d’un endroit à un autre, sans vraiment avoir eu le pouvoir de changer les choses, pantin des uns et des autres, jouet de circonstances extérieures, d’autorités supérieures, où le libre-arbitre n’est plus qu’un vain mot. Je me suis laissée envoutée par le parfum mélancolique de la vie disparue, du bon temps d’autrefois, du cocon familial, des premiers émois amoureux, du goût inimitable de cette première vodka, mais aussi de la découverte de la télévision et de son pouvoir hypnotique, de la diffusion immédiate et étouffante d’informations en tout genre, de ce sentiment oppressant de l’instantanéité de l’informatique, des bruits des sabots de chevaux qui a disparu pour laisser place à la cacophonie discordante des moteurs en tout genre.
J’ai aimé l’idée de mettre sur le même plan la Russie ancienne et celle d’aujourd’hui, évidemment il n’y a pas de comparaison à faire mais à travers le personnage principal le lecteur se rend mieux compte de l’évolution du pays, de ses mœurs, et peut-être de la perte de valeurs. Il est vrai que les passages sur les travaux forcés sur les îles ont eu un écho particulier dans mon esprit après avoir lu l’œuvre de Tchekhov et d’ailleurs l’auteur a, par le biais de son personnage, évoqué la façon dont l’homme peut endurer le pire, les passages les plus touchants du roman. Rien que pour ces passages-là, ce roman est superbe réussite. Et puis il va sans dire que l’on s’attache à Innokenti, à travers sa justesse d’analyse, sa capacité à voir le monde tel qu’il est, ni mieux ni pire, et ce recul sur lui-même.
Mais tout a une fin, et après avoir gouté les joies des années quatre-vingt dix, notre aviateur va embarquer pour un ultime voyage. Cette découverte d’Evgueni Vodolazkine et de sa plume à la fois délicate et pleine d’émotions, si juste à la fois dans le révoltant et l’abject, les drames et la nostalgie, l’absurde et le cocasse est une jolie révélation pour moi. J’ai bien envie de m’attaquer à Brisbane, peut-être en fin d’année, lorsque je serai venue à bout de ma PAL spéciale littérature russe. Je remercie encore Les Editions des Syrtes pour ce passionnant roman!
Innokenti est un homme de son siècle, il a l’âge de son siècle. Né en 1900 en Russie, il est envoyé dans un camps de travail après avoir été condamné pour meurtre. Mais pour alléger sa peine au quotidien, il accepte de devenir le cobaye d’un des plus grands scientifiques de l’époque. En 1999, il se réveille et découvre la Russie de maintenant. Près d’un siècle plus tard, les mentalités, la technologie, le mode de pensée, ne sont plus les mêmes. Comment Innokenti va vivre et survivre à cette fin de siècle dans la rue qui l’a vu naître, dans l’appartement qui l’a vu condamné.
Le roman nous décrit deux visions, celle de l’Union Soviétique, communiste, et aujourd’hui, la Russie, capitaliste. Deux pays différents, aux mêmes racines. L’auteur propose une réflexion poussée sur une quantités de sujets. Ainsi, ce qui peut paraître normal à une époque l’est moins dans une autre époque, et ce, quelque soit l’époque. L’homme s’adapte, et comme Innokenti nous le précise, mérite ses dirigeants. Dans un roman à l’écriture fluide, belle, typique, poétique, l’auteur apporte une réflexion philosophique, importante pour nous qui nous estimons être mieux qu’avant, moins bien qu’avant, nous qui nous comparons systématiquement, aux autres, à nous-mêmes.
Un roman superbe, qui loin des sentiers battus, nous fait réfléchir sur l’existence même de ce que nous sommes. Alors, élevons nous un peu, tel l’aviateur qui rêve de parcourir les cieux, et prenons de la hauteur.
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