Au coeur du ténébreux vingtième siècle, à la découverte du dixième roman d'Eugène Ebodé
Au coeur du ténébreux vingtième siècle, à la découverte du dixième roman d'Eugène Ebodé
« La Rose dans le bus jaune » relate l’histoire de Rosa Parks. Nous connaissons tous Rosa Parks sans peut-être connaitre son nom.
Nous sommes le 1er décembre 1955 en territoire d’Alabama. Rosa Parks couturière noire termine sa journée et prend son bus Habituel. Epuisée elle refuse d’obéir au chauffeur de bus qui lui demande de laisser sa place à un homme blanc comme la loi, en vigueur à l’époque, l’y oblige. Son action qui n’a pas été voulue mais simplement dictée par l’épuisement lié à une longue journée de travail va provoquer son arrestation. Elle a 42 ans.
Elle ne le sait pas encore mais son action va être décisive dans le long combat contre la ségrégation noire. Le scandale de son arrestation va provoquer une émeute. Les communautés noires se soulèvent et décident du boycott de la compagnie de bus, boycott qui va durer 380 jours et qui va menacer sérieusement la pérennité de la compagnie de bus Montgomery.
Son soutien viendra du pasteur Martin Luther King Junior qui, à 26 ans à l'époque, va entamer un combat, une lutte, qui traversera les frontières et qui va, à jamais, bouleverser la vie de la population noire. Rosa Parks restera au côté du Pasteur Martin Luther King. Les communautés noires se soulèveront accompagnées de blancs désireux de changer le monde et de combattre le racisme. Une marche pour l’égalité des droits sera organisée, non sans difficulté, en 1963. C’est lors de cette marche vers Washington que le pasteur prononcera « I have a dream ». Prix Nobel de la paix en 1964 le pasteur sera pourtant assassiné en 1968.
Ce récit, mélange des genres, oscille entre réalité et fiction. Très abondement documenté c’est un vrai plaisir de lecture, on y côtoie l’histoire, le rôle de l’église, celui du Ku Klux clan, du FBI, …. Ce roman est une introspection dans l’histoire des Etats Unis, nous informe sur les mentalités de l’époque et relate les luttes multiples des citoyens noirs pour accéder à une reconnaissance. Ce roman à un double intérêt, celui de la lecture au sens littéral et celui d’aller plus loin. Eugène Ebodé nous donne simplement envie d’en savoir plus, de ne pas nous arrêter au dernier mot de la dernière phrase de la dernière page du roman. Il nous invite à chercher, à nous documenter, à creuser cette vérité historique et en cela c’est une véritable réussite.
Rosa Parks a quitté ce monde en 2005 après avoir lutté toute sa vie contre le racisme et la ségrégation. Par son action, elle est entrée dans l’histoire des Etats Unis d’Amérique.
En 1955, Harriet Tubman, grande militante, était décédée depuis 42 ans, Jesse Jackson, pasteur et militant pour les droits civiques, n’avait que 14 ans, Nina Simone avait 22 ans et n’était pas encore engagée pour les droits des hommes, Joséphine Baker était en France, et un certain Barak Obama n’était pas encore né !.
« Voici l’histoire de Mado Hammar, née en 1936 d’un père suédois et d’une mère camerounaise, à Edéa, la ville lumière ! »
1929, Gösta Hammar, suédois, rejoint son oncle à Douala, pour gérer l’exploitation forestière qu’il possède. Gösta tombe amoureux du pays, de la profession et de femmes noires, dont Monica Yaya qu’il souhaite épouser. Le fruit, Mado naîtra de ses amours. Gösta repart pour la Suède où la déclaration de guerre le retient. Avant de partir, il confie sa fille à des amis qui ne peuvent avoir d’enfant, Hélène et Jacques Boisson Là, finis les câlins, la tendresse Pour Hélène seule comptent l’éducation, l’apparence. Sur leur propriété, heureusement, il y a Dipita, domestique noir qui l’emmène sur les bords de Rivière Rouge et lui témoigne une certaine affection. Seul souvenir heureux de cette période pour Mado.
Les Boisson retournent quelques temps en France. Mado, alors qu’ils repartent au Cameroun, reste chez la grand-mère où petite fille métisse est la proie des regards au mieux curieux des gens et sa scolarité dans une école catholique n’arrange pas les choses. De protestante par son père, la voici catholique par le bon vouloir de ses « parents adoptifs ». Les années grises s’enchaînent jusqu’à sa rencontre avec Marcel, peintre, qui devient son mari et sera son grand amour..
« Le hasard a agi. Il a édifié le destin de Mado et creusé en elle des puits de colères. Il lui a aussi apporté des joies inattendues » Les carnets d’Afrique du grand-oncle Sylvander vont lui permettre de reconstituer une partie de son histoire africaine.
Mado créée l'association des amis du musée de Céret et elle y côtoie de nombreux artistes dont Picasso qui n’est absolument pas insensible aux charmes de la belle métisse. « Il darda son regard d’un noir de jais sur Mado… Elle répète souvent, en parlant de cet instant « Brûlant était le regard de Picasso » ». Elle ne fut pas sensible à ses charmes, trop éprise de Marcel. Elle est également à la base du premier Congrès des écrivains et artistes noirs
Mado est une grande dame, la dame de Céret. Sa vie est faite de résilience, de courage, de ténacité, de chagrin, d’amour. Maurice a su, par son ouverture d’esprit, la sortir du carcan où l’avait mis ses parents adoptifs et l’école catholique. Elle se révèle et se mue en une jeune femme intelligente, ouverte aux autres, à l’art, belle (Picasso la compare à Joséphine Baker)
Eugène Ebodé raconte l’histoire de Mado sans tenir compte de la chronologie, les souvenirs amènent à une époque, la découverte des papiers de son grand-oncle lui font faire des allers et retours. Je visite le XXème siècle, le temps des colonies, la seconde guerre mondiale, Céret et tous les peintres et artistes qui s’y côtoient ; elle retrouve même sa mère qu’elle croyait, plutôt qu’on lui avait fait croire, morte.
J’ai beaucoup apprécié l’ écriture de l’auteur, fine, fluide, poétique,chaque mot est pesé, la musicalité me plaît.
Mado Petrash vit toujours et Eugène Ebodé lui rend un bel hommage
https://zazymut.over-blog.com/2022/06/rugene-ebode-brulant-etait-le-regard-de-picasso.html
C’est l’histoire d’une femme inconnue pour la plupart d’entre nous. L’histoire d’une femme dont l’enfance a été kidnappée, d’une femme née en 1936 d’un métissage avec tout le poids du regard des autres. Elle s’appelle Mado Hammar, figure incontournable dans les Pyrénées-Orientales pour avoir créé, administré nombre d’entités dans le domaine de l’art, elle qui a côtoyé Picasso, Dali, Chagall, Matisse, Soutine…
Edea, Cameroun. C’est là qu’est née une petite fille de mère camerounaise et de père suédois. Gösta Hammar avait déjà une fille, fruit d’une relation avec une native de ce pays où il a débarqué en 1929 à l’invitation de son oncle. Quelques années plus tard il tombe amoureux d’une autre beauté, Monica Yaya. Mais le mariage ne voit pas le jour malgré le désir commun des jeunes gens de faire vie commune. La guerre mondiale éclate et la petite Mado est séparée de ses parents, le père repart en Europe pour une durée indéterminée et la mère est chassée. Jacques et Hélène Boissinot, un couple ami de la famille Hammar, va s’occuper de la fille, Hélène n’ayant pu avoir d’enfant après un avortement qui s’est mal passé. La mère adoptive va élever Mado sans aucun amour et la petite fille pensera toujours aux longues marches avec son père près de la Rivière Rouge et du parfum perdu de sa maman, maman que l’on dit morte. En 1943, elle quitte définitivement l’Afrique pour habiter à Perpignan avec sa mère adoptive puis avec la mère de celle-ci.. Une nouvelle vie commence, faite déjà de regrets mais avec une détermination prodigieuse qui fera de Mado une femme libre, amoureuse jusqu’à la mort de son Marcel et combative pour l’amour de l’art et des injustices raciales.
Eugène Ebodé peint un portrait romancé avec des couleurs lumineuses autour de ce personnage féminin en portant un regard excessivement affectueux envers cette femme invincible malgré les coups du destin qui s’acharneront sur elle. Les passages avec Pablo Picasso sont brefs mais pas ceux consacrés à la peinture, le couple Mado et Marcel Petrasch s’étant installés à Céret et levant des fonds pour dynamiser le moribond musée d’Art moderne. Mado Petrash sera aussi l’un des piliers pour mettre en lumière le premier Congrès des écrivains et artistes noirs fondé par Alioune Diop, éditeur de présence africaine, dont l’affiche est signée par un certain Pablo Picasso, celui dont le regard était brûlant selon Mado.
Brûlante aussi est cette lecture qui nous entraîne sur les chemins du XX° siècle, d’une Afrique colonisée et d’une Europe colonialiste, sur la mouvance de l’art moderne, de toutes les créations, et, nous invite dans des demeures opposées, de ceux qui gardaient l’esprit colonial et de ceux qui rejetaient toute forme de supériorité. Le tout avec un phrasé riche puisé dans l’immense palette des mots.
En remerciant la Fondation Orange et Lecteurs.com pour l'envoi de ce livre
http://leslivresdejoelle.blogspot.com/2021/05/brulant-etait-le-regard-de-picasso.html
Madeleine Petrasch, dite Mado, est née en 1936 au Cameroun d'une mère camerounaise et d'un père suédois. En 1929, à l'âge de dix-huit ans, son père, Gösta Hammar, a rejoint à Douala son oncle maternel qui était à la tête d'une société forestière florissante. Dans ce Cameroun colonisé en partie par les britanniques et en partie par les français, Gösta et son oncle se distinguaient des autres européens dont ils ne partageaient pas les préjugés racistes. Son père, bel homme au tempérament d'explorateur, découvre le monde africain et s'y sent chez lui, complètement à l'aise.
Aujourd'hui, devenue une vieille dame de plus de quatre-vingt ans dont l'œil " pétille toujours de la même soif de savoir et d'émerveiller", Mado a reconstitué son histoire à partir des "carnets d'Afrique" de son grand-oncle, un taiseux qui aimait écrire. Elle a reconstitué le puzzle de sa vie : la rencontre de ses parents, sa naissance suivie du refus de leur mariage par la famille de sa mère, le geste d'amour de sa mère, Monica Yaya, qui accepte de confier sa garde à Gösta en attendant que leur situation puisse être régularisée. Ensuite ce sera son adoption par un couple de français expatriés à qui Gösta l'a confiée le temps d'un séjour en Suède qui durera plus longtemps que prévu car la seconde guerre mondiale éclate juste à ce moment là.
Mado a pris conscience du poids de la guerre sur son destin... Une fois son père adoptif engagé volontaire auprès du général Leclerc, sa mère adoptive Hélène rejoint la France avec elle. La guerre terminée ses parents adoptifs repartent au Cameroun la confiant à la mère d'Hélène qui vit près de Perpignan, Mado est alors inscrite dans un pensionnat catholique. Que de coupures dans la vie de la jeune Mado qui vivra dans le souvenir du fleuve Sanaga, appelé Rivière rouge et blanche, sa "boîte à chagrins" et recherchera toute sa vie son identité entre ses origines suédoise, camerounaise et française. Mado ne retrouvera son père qu'à l'age de quinze ans, remarié avec une cantatrice finlandaise avec qui il a eu quatre enfants. Quant à Monica, sa mère biologique, on lui a dit qu'elle était morte...
Mado, devenue une beauté souvent comparée à Joséphine Baker et danseuse hors pair, épouse Marcel et suit une formation dans la promotion des arts. Installés à Céret, petite ville réputée pour ses cerises et fréquentée par des artistes de renom, ils contribuent à sortir le musée d'Art moderne de sa léthargie. Mado crée l’association des amis du musée de Céret et rencontre Picasso qui pose son regard incandescent sur elle "Brûlant était le regard de Picasso", dira-t-elle plus tard.
Eugène Ebodé a choisi de raconter sous la forme d'un roman l'histoire fascinante de Mado qu'il a rencontrée plusieurs fois. Il nous livre une biographie romancée qui fourmille de détails, un texte essentiellement axé sur la vie de Mado. Ses rencontres avec les artistes, Picasso, Dali, Chagall, Miro, Matisse... ne sont que brièvement évoquées contrairement à ce que suggère le titre, mais cette vie est tellement riche et singulière qu'elle méritait bien un roman.
Mado a eu une vie faite de déracinements et de séparations, elle a vécu les douleurs de l'exil, la blessure du racisme, la sensation de n'être nulle part à sa place en France. Elle a réussi à maintenir des liens avec son père malgré ses absences, malgré les questions qu'elle n'a jamais réussi à lui poser, à maintenir des liens avec sa mère adoptive malgré son manque d'affection, sa raideur, sa brutalité et surtout malgré son horrible mensonge sur la disparition de Monica, sa mère biologique, dont elle n'apprend que vers l'âge de trente ans qu'elle est en vie. Avec un pouvoir de résilience remarquable, elle a su malgré tout former avec eux tous, parents, frère et sœurs, une famille soudée. Pour son 83ème anniversaire en 2019, beaucoup de ceux qui étaient encore vivants étaient autour d'elle.
Mado a vécu des drames intimes, des deuils abominables mais sa vie a été éclairée par son amour de l'art et par son amour pour Marcel avec qui elle a formé un merveilleux couple. Sa rencontre avec des artistes de renom, son engagement pour le musée, sa contribution à l'élan culturel de Céret ont rendu sa vie très riche et intense.
La plume d'Eugène Ebodé est très poétique, il restitue les souvenirs de Mado dans un désordre qui ne nuit nullement à la compréhension, j'ai cependant trouvé complètement déplacée sa tirade pleine de hargne et d'ironie contre le gouvernement à propos de sa gestion de la crise sanitaire, seul avait sa place dans ce récit l'avis de Mado sur cette période qui l'a séparée de ses enfants et au cours de laquelle elle a perdu son mari.
Un récit passionnant sur une femme au parcours très singulier. Une belle réussite.
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