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Il est des batailles qu’à défaut de pouvoir gagner, un homme avisé devrait savoir quitter avant d’apporter sa modeste mais tragique contribution à l’hécatombe finale. Voilà pour la version positive, quant à la version négative, vous l’avez deviné, elle se nomme désertion. Et depuis des temps immémoriaux, le déserteur a tellement mauvaise presse que, lorsqu’il rate son coup, il finit au bout du fusil de ses anciens frères d’armes. Déserter en sauvant sa peau n’est pas à la portée du premier troufion venu. Cela nécessite de la préparation (mais pas trop, parce que dans une débâcle le temps doit vous filer entre les doigts), du jugement, de la chance, bien sûr, beaucoup de chance, mais aussi des capacités physiques et une grande résistance aux privations et à la douleur. Le sergent Schirmer avait toutes ces qualités, en quittant le champ de bataille d’Eylau, dans l’espoir que la chance lui sourirait. « Les Dragons d’Ansbach comptaient peu de survivants et, parmi ceux-ci, quelques-uns seulement traverseraient les épreuves à venir. Ceux qui souffraient de blessures ou de gelures graves mourraient les premiers. Puis, quand les chevaux auraient été mangés ou perdus, la faim et la maladie n’épargneraient que les plus jeunes et les plus robustes. Vingt-quatre heures auparavant, le sergent pouvait espérer être du nombre. Mais c’en était fini maintenant. Il avait été lui-même blessé dans l’après-midi... »
L’histoire débute donc en février 1806, dans les plaines glacées et enneigées de Pologne pour se terminer quelque part à la frontière gréco-macédonienne en 1950. Il y est, comme le titre l’indique, question d’héritage ; un héritage substantiel de quelques millions de $ qui pourrait bien devoir revenir au dernier descendant du Dragon, sous réserve que le jeune avocat débutant chargé du dossier réussisse à le retrouver. C’est une belle histoire, bien menée, élégamment écrite et qui permet de s’interroger au passage sur la notion d’héritage. Qu’est-ce qu’un bel héritage ? Des millions ou un modeste livret d’épargne ? Quelques lettres ou quelques photos, souvenirs des jours heureux ? Ou autre chose de plus tangible pour peu qu’on y prête attention ? Partez donc à la poursuite des héritiers du sergent d’Eylau, dans les bourgades de l’Allemagne de l’immédiat après-guerre ou dans les montagnes de Macédoine. Une chose est certaine, Eric Amber a laissé un bel héritage dont nous pouvons tous profiter en lisant ses excellents romans.
Tout amateur du genre aimerait pouvoir, une fois, commettre un bon roman policier. Tout auteur de roman policier (n’en étant pas, je le suppose) connait l’angoisse de la page blanche qu’il affronte bravement, une fois son sujet choisi, par une documentation étoffée et sans failles.
Prenez un écrivain anglais en quête d’une bonne histoire, envoyez le à Istanbul et mettez le en présence de l’un de ses lecteurs assidus, lequel aurait des velléités de prendre la plume en pensant tenir un excellent sujet de roman mais n’en a pas le loisir, pris qu’il est par une activité professionnelle qu’on pourrait qualifier d’exigeante. Nous sommes au printemps de 1939 et le lecteur se trouve être également chef de la police secrète turque.
Bien entendu le sujet de roman sympathiquement proposé par le lecteur à son auteur, s’il ravit le premier, se voyant déjà co-auteur, n’enthousiasme guère le second. Le dossier d’un vrai délinquant dont on vient de trouver le cadavre échoué sur une des rives du Bosphore fournirait assurément un bien meilleur sujet. Ce Dimitrios était un féroce délinquant aux multiples forfaits et aux multiples identités ayant sévi pendant près de quinze ans un peu partout en Méditerranée. Assassinats, trafics de drogue, prostitution, espionnage, attentat politique, il était partout et la police turque est ravie d’en avoir terminé avec lui. Voilà un personnage qui serait parfait si l’on pouvait remonter la piste de ses méfaits pour nourrir la documentation tellement nécessaire à la rédaction d’une bonne histoire. Notre auteur remercie son lecteur en lui promettant de réfléchir à son sujet qu’il abandonne sitôt seul pour se lancer sur la piste de ce Dimitrios, de Smyrne à Paris en passant par Athènes, Sofia ou Genève.
Résumons: un auteur consciencieux et ambitieux, un personnage principal avec un pédigrée long comme un jour sans pain, une bonne histoire et une documentation qui s’étoffe au fil des escales : tout semble réuni pour faire un excellent roman. Mais si, d’aventure, le personnage finissait par devenir tellement envahissant que l’intégrité physique de l’auteur soit remise en question, n’y aurait-il pas matière à regretter d’avoir dédaigné la tranquille banalité de l’intrigue proposée par le policier ?
C’est le sujet de ce roman étrange et original salué, en son temps, par d’aussi enthousiastes que fameux parrains tels que MM Alfred Hitchcock, Ian Fleming ou Graham Greene.
A conseiller aux amateurs du genre et même aux autres…
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