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Trois histoires, trois époques, trois hommes, un même effacement.
Dans « La vision des plantes », Celestino, ancien capitaine d’un navire négrier, revient dans sa maison natale délabrée. Après une vie de violences cruelles commises sur les esclaves noirs qu’il transportait dans les cales de son bateau, il n’aspire plus qu’à soigner son jardin laissé à l’abandon toutes ces années. La compagnie des fleurs est la seule qu’il tolère, parce que les fleurs, elles, ne le jugent pas. Pourtant il n’éprouve aucune culpabilité quant à sa vie passée, n’a ni remords ni regrets, ne ressent rient, se contrefiche de ce que pensent ses voisins, ne cherche ni pardon ni rédemption.
Dans « Raz-de-marée », Boa Morte, un Angolais qui a combattu dans le camp du Portugal lors de la guerre coloniale, s’est exilé à Lisbonne. Mais sa loyauté envers l’ex-Mère Patrie est loin d’avoir été récompensée. Boa Morte a tout juste un toit sur la tête, et c’est à peu près tout. Pour gagner quelques euros, il travaille dans la rue, aidant les automobilistes à trouver une place de stationnement. Il a malgré tout quelques amis, tout autant crève-misère que lui. Parmi eux, Fatinha, épave humaine dont l’esprit bat la campagne la plupart du temps. Elle a l’âge d’être sa fille, alors Boa Morte lui tient compagnie, la protège. Quant à sa vraie fille, restée en Afrique, il ne la reverra sans doute jamais, ni ne lui enverra les lettres qu’il lui écrit tous les jours.
« Brume » raconte la vie (ou la non-vie) de Brume, esclave brésilien « expédié dans le Nord [du Portugal] comme on expédie une lettre » par ses maîtres, pour y travailler dans l’une de leurs propriétés. La vie a fait un seul cadeau à Brume et à son « désespoir d’être un valet en deuil d’une liberté qu’il n’avait jamais connue » : il a appris à lire. Et tout au long de sa vie (sa non-vie), la lecture sera pour lui un refuge, une cabane secrète au fond des bois, l’endroit au monde où il se sentira libre.
Trois histoires d’oubli, pour ne plus se souvenir du passé et des atrocités qu’on a commises ou subies ou pour se libérer du jugement d’autrui, d’une vie de misère et de servitude, en s’évadant dans le jardinage, l’écriture ou la lecture.
Trois histoires d’hommes oubliés, ou sur le point de l’être, ou qui n’ont jamais occupé la mémoire de personne.
Parmi ces trois histoires d’oubli, j’en retiens une : « Raz-de-marée ». Dans les deux autres, j’ai trouvé que la langue était belle, certes, mais inutilement chaotique, se perdant en circonvolutions répétitives entre passé et présent, en phrases confuses et décousues. L’écriture de « Raz-de-marée » est beaucoup plus fluide, le fil narratif bien plus lisible, les personnages beaucoup plus et mieux incarnés ; on ne peut qu’être ému par leur triste sort et par l’histoire d’amitié entre Boa Morte et Fatinha.
En partenariat avec les Editions Viviane Hamy.
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