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Fallait-il fuir sans cesse pour rester libre ? Et est-ce que n’avoir besoin de personne nécessitait de se détacher des siens ?
Suzanne Meloche, lauréate d’un concours d’art oratoire à 21 ans, quitte sa ville natale d’Ottawa pour aller vivre sa passion artistique à Montréal. Elle rejoint le courant des surréalistes puis celui des automatistes et fréquente les milieux canadiens contestataires.
Si elle a aimé passionnément trois hommes dans sa vie de femme libre, elle n’a pas su s’attacher à ses deux enfants qu’elle abandonne très jeunes. Fuyant son rôle de mère, elle choisit de vivre intensément une vie marginale et devient une poétesse sans attaches, sans cesse attirée par le déséquilibre.
L’autrice, Anaïs Barbeau-Lavalette, s’adresse à Suzanne, sa grand-mère, par ce roman aux chapitres courts qu’elle écrit comme une correspondance. Elle offre à la mémoire de cette femme, une biographie romancée retraçant sa vie en marge de la société québécoise durant la première moitié du XXème siècle.
Outre la révélation de la vie d’une artiste hors du commun, ce roman soulève des questions essentielles, comme la libération de la femme, le tabou de l’instinct maternel et les blessures originelles.
Un roman qui m’a captivée et profondément interpellée sur le conflit entre la vie d’artiste et la maternité que certaines ressentent, encore et toujours, comme une entrave à leur épanouissement.
Une belle découverte.
Suzanne Meloche est née en 1926 au Canada.
Elle a abandonné sa fille de trois ans.
Des années plus tard, sa petite-fille, Anaïs Barbeau-Lavalette retrace sa vie.
C’est une femme extravagante et libre.
Avant-gardiste, elle participe au Québec au mouvement automatiste.
Elle écrit des poèmes.
Elle peint des toiles dont une est exposée au musée d’art contemporain de Québec.
Anaïs s’adresse directement à sa grand-mère.
Pendant une bonne partie du livre, j’ai été gênée par l’emploi du « tu ».
Et puis, une fois l’idée admise et l’habitude prise, je me suis vraiment prise d’intérêt pour cette femme et son tempérament exceptionnel.
Gagnée aussi par l’émotion, non pas pour Suzanne qui a vécu sa vie très égoïstement, mais pour sa fille et sa petite-fille chez qui l’abandon de Suzanne a laissé de fortes séquelles.
Attention pépite ! Coup de cœur ! Amour !
Conseillé par la formidable librairie Tulitu, ce roman biographique est une merveille, que j'ai dévoré en quelques heures... Histoire dure d'une femme recherchant la liberté au point d'abandonner ses enfants, se cherchant dans l'art, dans l'amour, entourée d'êtres torturés. C'est un monde magnifique d'idées et terriblement seul que nous décrit l'auteur, petite fille de cette femme libre sans doute. Seule, surtout.
Une plume incroyable, une atmosphère, une bienveillance qui font de cette auteure une femme à suivre !
Prix des libraires du Québec 2016 / Prix France-Québec / Grand prix du livre de Montréal
Ceci est une histoire vraie.
Anaïs Barbeau-Lavalette est la petite-fille de Suzanne Meloche (1926-2009). Anaïs ne connait rien de cette grand-mère sinon qu’elle a abandonné ses enfants et qu’ainsi Mousse sa maman, vit avec un trou dans le ventre et la peur d’être encore abandonnée. A peine si la petite-fille et la grand-mère se sont croisées deux ou trois fois, donc pas eu le temps de la connaître quand elle meurt.
A son décès « Ma mère s’accroche aux murs. C’est Hiroshima dans son ventre. Elle deviendra peut-être normale. Une femme, avec une mère enterrée. »
C’est cette pensée qui nourrit la petite-fille devenue femme de trente ans. Cela en dit long, sur les cicatrices laissées et transmises.
Lorsqu’il a fallu déménager l’appartement de Suzanne, Anaïs emporte des livres bouddhistes, des journaux, des poèmes, des photos et autres documents. Ceux-là ont été un début de piste pour connaître cette femme qui avait fui.
Pour en savoir plus, il lui a fallu avoir recours à une détective.
« Il fallait que tu meures pour que je commence à m’intéresser à toi.
Pour que de fantôme, tu deviennes femme. Je ne t’aime pas encore.
Mais attends-moi j’arrive. »
Le lecteur découvre cette histoire comme si l’auteur était assise devant une grande malle et qu’elle en sortait des photos en noir et blanc. Ses chapitres sont courts, comme des tableaux, qui feraient divaguer nos pensées, car la force de cette narration est que le lecteur n’est pas laissé à l’extérieur. Lui aussi veut percer le mystère de ces documents.
Claudia et Achille, les parents de Suzanne vivent à Ottawa avec leurs six enfants. 1930 c’est la crise, le père professeur perd son emploi. Le gouvernement préconise pour endiguer les causes de celle-ci, de renforcer l’ordre moral et le retour à l’esprit chrétien. La pénurie s’installe, le rationnement aussi.
Une vie de privations entrecoupée de messes et de confessions à l’église. Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la famille s’agrandit d’un septième enfant, un garçon. La petite Suzanne observe, enrage et grandit sous le précepte principal d’Achille qui est ; « Apprends à bien parler et tu ne seras jamais complètement pauvre. » C’est ce que fait Suzanne, elle est curieuse et avide de savoir, bonne élève, elle fait son premier voyage pour se présenter à un concours d’éloquence. Concours gagné, une première soirée de liberté et la rencontre d’un groupe d’amis qui ne vivent pas comme elle.
Retour à la maison, mais le cœur et l’esprit sont restés à Montréal. Une correspondance s’établit, d’autres lectures se font et les idées fusent. Lorsqu’elle reçoit la lettre du collège qui l’accepte pour qu’elle y finisse ses études, c’est sans se retourner qu’elle franchit le seuil de la maison familiale.
Elle va s’intégrer à ce groupe les « Automatistes ». Elle y rencontre Marcel Barbeau « Il a une présence précise. En tout terrien. Rien d’évanescent. Il est violemment ancré, et pourtant reste insaisissable, profondément secret. »
Va commencer une vie de bohème, ils se marient en 1948, en 1949 Suzanne a 23 ans va être maman pour la première fois d’une petite Manon dite Mousse et deux ans plus tard d’un petit François.
Elle se met un peu de côté pour s’occuper de promouvoir les œuvres de son mari. Et dans leur groupe, dirigé par Paul-Emile Borduas, il lui faudrait faire profil bas. Elle ose critiquer ce qui est écrit sur des tracts et se voit évincée de la signature du manifeste Refus Global, ce qui aura pour conséquence de reléguer son œuvre au second plan : « les femmes ne durent qu’au fait d’avoir signé le Refus global d’être reconnues comme automatistes et, conséquemment, de passer à l’histoire ».
Elle écrit, elle peint mais elle s’occupe des enfants seules, Marcel vit sa vie de créateur. Dans ce groupe d’avant-gardistes, le rôle des femmes reste le même, celui de ménagère et de mère. Suzanne rêvait d’autre chose, d’une vie artiste partagée et non de cette vie de seconde zone. Une photo d’avril 1952 montre un couple avec ses deux enfants, un cliché de la famille idéale, une Suzanne souriante tenant sa petite fille sur les genoux et souriant à son jeune fils.
1ER août 1952, elle prend le bus et quitte sa famille, abandonne ses deux enfants.
Une nouvelle fois, elle part sans se retourner.
Son amie Marcelle l’héberge et par sa légèreté, va aider Suzanne à empoigner la vie et la faire sienne. Elle enseigne le dessin au fusain. Marcel assume son rôle de père en cumulant les boulots pour payer la garderie. Mais tout a une fin et il faut trouver une solution. Suzanne fait appel à ses belles-sœurs : « Tu raccroches. Tu t’accroches. Tu te choisis. » En effet ses dernières ne prennent que Mousse et laissent le petit François.
Celui-ci sera adopté par un couple dont le mari est embaumeur.
Elle conservera le nom de Barbeau car le divorce est illégal au Québec.
Suzanne convainc Marcel de renoncer à ses droits parentaux pour que les deux enfants soient adoptables. Il le fait et part pour New-York.
Avec Peter elle part en Gaspésie et devient postière. Un an plus tard retour à Montréal, le temps de prendre un bateau pour Bruxelles. Puis faute d’y trouver du travail, c’est Londres la patrie de Peter. Ses parents sont ravis de rencontrer Suzanne, mais celle-ci se réfugie à la National Gallery. Elle étudie les œuvres qui y sont, Peter l’y retrouve et l’encourage à reprendre les pinceaux. Elle peindra son Pont Mirabeau.
En 1956 Suzanne est enceinte, elle a trente ans et il faut trouver de l’argent pour « une faiseuse d’anges ».
1958, arrivée à New-York, séjour à Harlem avec Selena. Prise de conscience de la ségrégation et des exactions du KKK.
1961 le fameux voyage en autocar jusqu’en Alabama. Elle fait partie du premier groupe de manifestants qui luttent pour dénoncer cet étiquetage humain : « White only » « Colored only ». D’autres manifestants vont arriver et la prison déborde d’humains. Victoire le 22 septembre 1961, le gouvernement Kennedy ordonne la libération de tous les manifestants et déclare illégale l’utilisation des signes ségrégationnistes.
A la suite de quoi Suzanne va devenir secrétaire d’une association militante à Greenwich, elle a 40 ans. Elle rencontre Gary, 22 ans SDF fracassé par la guerre du Vietnam. C’est avec lui qu’elle fera son retour à Ottawa pour les obsèques de Claudia, sa mère. C’est l’été, elle revoit sa famille.
Mousse a grandi auprès de ses tantes, mais François a fui sa famille adoptive, car la femme qui lui a servi de mère est morte, et le remariage du père est une catastrophe pour cet enfant qui est le souffre-douleur de sa belle-mère. Il fuit les autres et lui-même. Lui aussi est en quête.
1981 signe le retour définitif de Suzanne à son point de départ Ottawa. Elle y restera jusqu’à sa mort.
Un magnifique portrait de femme, dans son contexte.
Un apaisement dans le fait d’avoir retrouver la femme Suzanne Meloche-Barbeau.
Pourquoi es-tu partie ? Une question à laquelle Suzanne refusera toujours de répondre.
Ce livre est une quête longue, douloureuse mais aussi lumineuse. Essayer de comprendre est le premier pas sur la route du non-jugement. Qui sommes-nous pour juger les autres ? Que faisons-nous de notre vie ?
Une seule certitude les actes des uns a des conséquences sur la vie des autres et cela va de génération en génération.
Pour Suzanne et les autres cette définition de la liberté sonne juste :
« La liberté est un privilège borné de frontières dont les transgressions nous régentent immanquablement à récolter l’effet boomerang. » Mofaddel Abderrahim
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 18 décembre 2017.
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