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Alexandre Courban, historien et collaborateur du journal L'Humanité, nous livre ici avec Passage de l'avenir 1934, une chronique sociale, policière et bien documentée du Paris ouvrier des années 30.
Un roman un peu dans l'esprit de celui de Gwenaël Bulteau lu tout récemment et qui évoquait la France du début du siècle, ou encore d'autres romans policiers "historiques".
Après ce sympathique coup de coeur (le premier de l'année !), on se dit que si l'auteur avait la bonne idée de poursuivre la série (ce roman est présenté comme un premier épisode), on serait ravi de retrouver le commissaire Bornec et le journaliste Gabriel Funel pour une nouvelle enquête "sociale".
● le contexte :
Début 1934. Suite à l'affaire Stavisky, la III° République voit le gouvernement malmené par des manifestations antiparlementaires d'une extrême droite très virulente comme partout en Europe (le parti national-socialiste allemand vient d'être plébiscité au Reichstag).
L'inflation, le chômage et la spéculation vont bon train après la crise de 1929.
À la périphérie de Paris, les bidonvilles fleurissent le long de la "zone" des fortifications.
● On aime vraiment beaucoup :
❤️ On aime cette petite histoire policière sans prétention ni esbroufe toute au service de la découverte d'une période mal connue (l'entre-deux guerres et la III° république) et qui sert de prétexte à une immersion très réussie dans le Paris social et ouvrier des années 30.
D'une prose fluide, maîtrisée et mesurée, mais que l'on devine soigneusement documentée, l'auteur endosse le costume d'historien naturaliste pour nous rappeler les principaux événements, le contexte politique, et sans forcer le trait, les conditions pour le moins difficiles des ouvriers de l'époque : c'était avant l'avènement du Front Populaire et ses conquêtes sociales.
❤️ Les conditions de travail et de vie étaient rudes dans la France d'en-bas, mais l'auteur nous rappelle aussi que si les ouvriers peinaient, d'autres souffraient plus encore : les travailleurs femmes et les travailleurs étrangers.
Pour les ouvrières notamment, l'exploitation économique se doublait d'une domination et exploitation sexuelle dont les victimes ne se comptent pas que dans le monde du cinéma d'aujourd'hui.
❤️ On aime beaucoup l'idée d'avoir centré l'enquête autour de la raffinerie de sucre du quartier de la Gare (la gare d'eau de Paris dans le XIII°) près de laquelle la noyée sera retrouvée.
Pour la petite histoire, la raffinerie dite de la Jamaïque qui est au coeur du roman, est située à Paris dans le XIII°, elle a été créée en 1831 par la dynastie Say et a fonctionné jusqu'en 1968.
❤️ Attention tout de même au piège : un auteur rusé se cache derrière l'innocence tranquille de l'historien explorant le passé pour mieux nous tendre un miroir et le lecteur avisé évitera de penser à la situation actuelle pour se dire que finalement, on n'est pas certain que tant de choses aient réellement changé depuis cette époque.
Inflation, montée de l'extrême droite, violences faites aux femmes, répression policière, spéculation financière, ... tiens donc ?
● L'intrigue :
Tout commence avec "la noyée du pont National", une jeune inconnue dont le corps a été retrouvé flottant sur la Seine et que, faute d'identité, la police va surnommer Daphné (l'équivalent du Jane Doe des séries tv).
Après cette macabre découverte, le lecteur va faire la connaissance des autres personnages du roman dont les chemins vont s'entrecroiser autour de la raffinerie et du cadavre de Daphné.
Le commissaire Bornec, le flic chargé de l'enquête.
Gabriel Funel, un journaliste à l'Huma.
Ernest Vince, le patron d'une raffinerie de sucre, peintre amateur et grand spéculateur devant l'Éternel.
Albert Sainton, le chauffeur-livreur de la raffinerie, membre des Croix-de-Feu.
Et bien sûr quelques ouvriers et autres "camarades".
De février 1934 à juin de cette même année, nous allons suivre Gabriel Funel journaliste à l’Huma ; Ernest Vince à la tête de la raffinerie de la Jamaïque ; Camille employée dans cette même raffinerie et le commissaire Bornec.
J’ai aimé ce commissaire qui cherche à connaître l’identité d’une noyée de la Seine retrouvée en février.J’ai aimé son tic de caresser son alliance quand il réfléchit.
J’ai aimé qu’il donne un prénom de fleur à chaque cadavre de femme inconnu.
J’ai aimé qu’il s’attache à trouver son identité parce que la jeune femme noyée avait les doigts blessés des ouvrières comme ceux de sa propre grand-mère.
L’auteur m’a permis de découvrir le travail des ouvrières (le parton n’emploie que celles qui ne sont pas mariés pour les payer moins cher).
J’ai découvert le lieutenant-colonel Laroque et son organisation les Croix-de-feu limite fascisante.
J’ai été désolée que Camille n’apparaisse que ça et là dans l’intrigue. Mais sans doute son personnage prendra-t-il plus d’ampleur par la suite.
J’ai aimé suivre le journaliste Gabriel qui s’intéresse aux travailleurs-euses et se documente sur leurs conditions de travail.
J’ai bien cru que je lisais du Zola tant les conditions de travail des ouvrières (horaires interminables, pause repas réduite, bas salaire…) sont décrite comme proches de celles du 19e siècle.
L’image que je retiendrai :
Celle du regard d’Ernest Vince sur ses ouvrières qui embauchent chaque matin depuis son bureau en surplomb.
https://alexmotamots.fr/passage-de-lavenir-1934-alexandre-courban/
Le 6 février 1934 est une date qui reste très importante dans l’Histoire du XXème siècle de notre pays. En effet, suite à l’affaire Stavisky et au limogeage du préfet de police Chiappe, une manifestation regroupant les ligues s’ébroue dans Paris, qui fait vaciller le pouvoir. Elle fut aussi le point de départ d’une union des gauches qui se matérialisera dans le Front Populaire. Dans son premier roman, Passage de l’Avenir, 1934, Alexandre Courban revient sur les mois qui ont suivi cette manifestation en nous gratifiant d’un roman historique et policier très réussi qui se veut le premier volume d’une série.
Nous sommes en février 1934. Le Parti Communiste et la SFIO organisent une manifestation en réponse à celle organisée par les ligues le 6 février. Pour la gauche, les manifestants du 6 février sont des fascistes et l’on perçoit la volonté d’unité exprimée dans la rue. L’un des personnages principaux de l’intrigue est le journaliste de l’Humanité Gabriel Funnel qui, au-delà d’articles traitant des dures journées de février, couvre également un fait divers : en effet, le corps d’une femme inconnue a été repêché dans la Seine, enquête dont a hérité le Commissaire Bornec. Peu d’indices existent, hormis le fait que la jeune femme avait des doigts très abîmées, de telle sorte que certaines voix invitent le commissaire à classer l’affaire. Néanmoins, ce dernier tient bon et veut découvrir ce qui se cache derrière celle qui surnomme « Daphné ».
L’auteur nous invite à revisiter le Paris des années 30, dans une période de tension qui, si je ne me trompe, n’est pas souvent traitée en littérature. Cela constitue l’un des attraits du roman. On redécouvre des personnes historiques comme Vaillant-Couturier, le colonel de la Rocque, Marcel Cachin ou encore Edouard Daladier (une chronologie, une description des principaux personnages historiques ainsi que des journaux de l’époque sont d’ailleurs présentes en fin de livre et permettent de compléter notre compréhension du contexte). La condition ouvrière est également au centre du roman, à travers la description qui est faite des ouvrières aux « doigts blessés » ou aux « mains abîmées » qui travaillent en plein Paris dans la Raffinerie de la Jamaïque et qui sont à la merci de contremaîtres qui abusent de leur pouvoir :
Cela a commencé avec celles qui venaient de Saint-Ouen. Elles partaient de chez elles à quatre heures du matin. Elles arrivaient place d’Italie à six heures moins cinq et venaient à fond de train pour arriver à six heures, parce que si elles n’étaient pas là à six heures, si six heures étaient finies de sonner, elles avaient la retenue d’une demi-heure de salaire. On a demandé qu’elles viennent à six heures cinq : le patron, il a jamais voulu. Alors le chef, il proposait parfois à certaines… de s’arranger avec lui.
Les ouvriers vivent dans des conditions difficiles, il existe encore des bidonvilles à Paris, alors que des spéculations (ici sur le sucre) subsistent. Cela est rappelé à juste titre.
Même si le roman est classé comme un policier, l’intrigue en elle-même est assez légère et ce premier tome se lit davantage comme un roman socialement engagé (et l’on sait de quel côté penche Alexandre Courban). C’est peut-être une limite du livre et l’on verra vers quelle direction le second tome nous dirige. J’ajouterais également une autre réserve. Que ce soit dans le corpus ou dans l’annexe, les Croix de Feu du colonel de la Rocque sont mentionnées et jouent un rôle important à l’époque. « Les forces de l’ordre empêchent les manifestants de marcher vers le Palais Bourbon », écrit l’auteur à propos du 6 février. Or, les forces de l’ordre n’étaient pas si nombreuses ; on doit surtout au colonel de la Rocque le fait d’avoir tenu ses troupes. Il n’était d’ailleurs pas anti-parlementaire et fut vilipendé par L’Action française pour ne pas avoir marché sur le Palais Bourbon. Aussi aurais-je préféré que l’auteur choisisse un autre mouvement réellement fasciste comme symbole du 6 février 1934 (et il y avait du choix !).
Passage vers l’Avenir, 1934 reste au final un très bon roman, bien écrit, qui nous fait revivre une époque charnière de notre histoire nationale, en convoquant des personnages fictifs auxquels on ne demande qu’à s’attacher davantage dans les prochains tomes.
https://etsionbouquinait.com/2024/03/17/alexandre-courban-passage-de-lavenir-1934/
10 février 1934. Cela commence, classiquement pour un polar, par une scène de crime : le corps d'une jeune femme est repêchée dans la Seine à hauteur du pont National, vraisemblablement une ouvrière étant donné ses mains abîmées. Malgré le manque d'éléments tangibles, le commissaire Bornec ne croit pas au suicide ou à une noyade accidentelle. Son instinct lui souffle qu'il s'agit d'un crime. Personne ne réclame le corps de l'inconnue malgré les appels lancés dans la presse.
L'enquête en elle-même est relativement simple, Alexandre Courban ne cherche pas complexifier son intrigue policière par moults rebondissements ou fausses pistes. C'est un peu léger pour un vrai amateur de polar, tout comme la caractérisation des deux personnages principaux ( le commissaire Bornec et le journaliste de l'Humanité Gabriel Funel ) aurait sans doute mérité plus de densité. Et pourtant, je n'ai pas été frustrée par ces petits manques tant la reconstitution du Paris des années 1930 est formidable et sert le récit en lui conférant une profondeur passionnante.
Derrière chaque page, on devine l'énorme travail de recherche de l'auteur, mais on ne le sent jamais peser lourdement en mode démonstratif. le récit est au contraire d'une grande fluidité. On découvre ainsi une capitale bouillonnante juste avant l'arrivée au pouvoir du Front populaire. Lorsque le cadavre est découvert, on est quatre jours après la crise du 6 février 1934 et sa manifestation antiparlementaire organisée par les ligues d'extrême-droite qui dégénère en émeutes violentes devant la Chambre des députés. Les partis de gauche l'interprètent comme une preuve de la menace fasciste.
Les pages décrivant la fièvre du Paris populaire sont incroyablement vivantes. Immersion totale garantie, on a par exemple l'impression d'être dans les manifestations ouvrières qui réclament l'unité de la gauche que refusent pour l'instant les instances dirigeantes du PCF et de la SFIO de Blum, préfiguration du Front populaire à venir.
J'ai appris énormément sur un Paris ouvrier disparu depuis longtemps côté Est, autour du 12ème et 13ème arrondissement : sur le rude sort des ouvrières de l'usine sucrière de la Jamaïque, enfileuses, scieuses, rangeuses, casseuses, lingoteuses ; sur la Zone ( plus grand bidonville de France jusqu'à sa démolition en 1956 pour construire le boulevard périphérique, surpeuplé d'ouvriers peu qualifiés, d'étrangers italiens, espagnols ou nord-africains ) ou encore la Cité Jeanne d'Arc, ghetto insalubre à côté de la raffinerie sucrière.
Sans asséner de leçons, le récit avance et compose nettement une France des invisibles au premier rang desquels les femmes sont les principales victimes. L'épilogue sous forme d'article de l'Humanité apporte dignité à la morte du pont National, et c'est avec beaucoup d'émotion et de compassion qu'on découvre son identité et son triste parcours de vie.
Un premier roman réussi, premier volume annoncé d'une série policière historique dans le Paris des années Front populaire. J'attends la suite !
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