Dur dur de revenir avec un livre flamboyant, après le succès international de La petite communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud). Et pourtant : avec l’exigence, l’alacrité et le talent qu’on lui connaît, Lola Lafon a réussi avec son Mercy, Mary, Patty un roman qui a largement époustouflé notre exploratrice Sophie Gauthier. Elle en parle avec un enthousiasme communicatif.
En 1974, Patricia Hearst, héritière de l'empire du magnat de la presse William Randolph Hearst, est enlevée par un groupuscule aux contours indéfinis : l'Armée de Libération Symbionaise. En guise de rançon, les kidnappeurs exigent que des repas soient distribués aux laissés pour compte de la société américaine. Au fil des messages adressés à ses parents, celle qui se fait désormais appeler Tania semble épouser la cause de ses ravisseurs et revendiquer les mêmes moyens radicaux de lutte contre le milieu bourgeois dans lequel elle a été élevée. Elle participe à des braquages de banques avec les membres survivants du groupe avant d'être arrêtée.
Syndrome de Stockholm ? Conditionnement ? Réel choix politique et idéologique ? Alors que le procès de la jeune femme va s'ouvrir à San Francisco, l'un des avocats de la famille Hearst fait appel à Gene Neveva, professeur d'université, spécialiste des comportements des jeunes filles enlevées, afin de constituer un dossier à décharge et de l'aider à plaider pour le lavage de cerveau. Séjournant en France pour un an, Gene Neveva recrute Violette/Violaine, toute fraîche bachelière, pour synthétiser tous les articles de presse ayant traité de l'enlèvement et de ses conséquences. Une relation étrange se construit peu à peu entre la femme à la réputation sulfureuse, entraînée à une pensée personnelle, refusant l'hypocrisie des opinions toutes faites, et la jeune fille, anorexique, introvertie, ignorante des mutations du monde. Cette relation apparaît comme un reflet déformé de ce qu'a pu vivre Patty Hearst avec ses ravisseurs : l'histoire de la naissance d'une pensée individuelle dont on ne sait si elle est issue d'une prise de conscience réelle ou d'une forme de manipulation pernicieuse. Quarante ans après les faits, la narratrice se penche à son tour sur ces histoires enchevêtrées et tente de trouver trace du rapport rédigé par Gene Neveva.
Lola Lafon trace ainsi une ligne d'équilibre entre le passé où Mercy, Mary, Patty, femmes kidnappées à qui la société "bienpensante" a dénié le droit de choisir des chemins différents de ceux tracés par leur milieu d'origine, et le présent où Gene, Violaine et la narratrice sont finalement confrontées aux mêmes prisons, plus retorses car maintenant dissimulées sous un discours égalitariste.
Du roman de Lola Lafon, j'ai aimé l'écriture dense, serrée, comme habitée d'une colère rentrée, et cette architecture qui met en résonance différentes temporalités, différentes figures féminines et leurs singularités. Rien n'est donné pour acquis dans ce récit parfois complexe et, en cela, il est à l'image exacte de ce qu'il porte : un engagement à la réflexion sur le féminisme, sans simplisme, sans aveuglement. Je suis subjuguée par la puissance de Mercy, Mary, Patty qui, en s'emparant des ressources de la fiction, parvient à faire émerger une analyse percutante mais très subtile des discours et des images qui cadenassent les femmes dans un rôle écrit par d'autres. Pour moi un roman littérairement et politiquement magistral !
© Sophie Gauthier
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Rhooo.. Geneviève ! tu me fais rougir pivoine ! Merciiiiii !!!
J'ai tant de romans à lire avant celui-ci que je n'ai pas hésité à découvrir la chronique. Je la trouve superbement écrite.