"Madame Hayat", un roman poignant qui aborde la dualité

La chronique de  Calimero29, membre du Cercle Livresque, nous fait découvrir Madame Hayat du journaliste et romancier turc Ahmet Altan (Actes Sud).

J'ai souhaité, avec cet auteur que je ne connaissais pas et ce roman, poursuivre ma découverte de la littérature turque qui se limite, pour le moment, à Ohran Pamuk, Elif Shafak et Metin Arditi, qui bien qu'étant catalogué comme écrivain suisse francophone, est d'origine turque.

Fazil, après la spoliation et la mort de son père, part faire ses études de littérature loin de chez lui; il vit chichement dans une chambre d'un immeuble où vit toute une humanité de gens pauvres comme lui.

Sa rencontre avec Mme Hayat (dont le nom signifie "vie"), quadragénaire fantasque, sensuelle, lui fait découvrir la volupté, le plaisir, la simplicité de la vie mais son amour de la littérature le conduit plutôt vers Sila, du même monde que lui, du même âge et férue de littérature. Fazil se laisse bercer par ces deux amours, par ses études jusqu'à ce que le suicide d'un journaliste, qui vivait dans le même immeuble que lui et pour lequel il s'était pris d'amitié, pour échapper à la police venu l'arrêter, le projette brutalement dans la réalité d'un pays à la société policière, verrouillée, où règne l'arbitraire, la peur de s'exprimer librement. Plus rien ne sera comme avant.

Ce roman, superbement écrit, aborde, avec poésie, des thèmes graves qui ont pour caractéristique commune, la dualité :
* dualité de l'amour avec Mme Hayat qui incarne la communion des corps, le désir, l'amour charnel, la connaissance intime de la vie face à Sila, qui représente la communion de l'esprit avec des échanges intellectuellement riches, un futur.
* dualité de la littérature qui soulage la peine, la douleur, comble la solitude mais qui, également, éloigne de la réalité.
* dualité de Fazil, qui comme Janus aux deux faces, hésite entre deux amours, tourné à la fois vers le passé empreint d'une Mme Hayat qu'il ne peut oublier, dont ile ne peut se détacher et vers l'avenir tout en l'attendant.

Ahmet Altan donne de la profondeur à ses personnages féminins dont il nous livre de très beaux portraits; à côte de Mme Hayat, libre, de Sila, déterminée, la professeur de littérature sait éveiller les consciences, déclencher la réflexion, la curiosité intellectuelle mais aussi résister courageusement à un pouvoir qui bâillonne la parole.

Sans jamais nommer la Turquie, Ahmet Altan installe une atmosphère de peur, d'étouffement, de violence dont il a été lui-même victime. En effet, ce roman a été écrit en prison, alors qu'il avait été condamné à la perpétuité, alors qu'il était rédacteur en chef du quotidien Taraf, pour avoir prétendument participé à la tentative de putsch contre Recep Erdogan, en 2016. Il a été libéré en avril 2021.

Roman lu dans le cadre du Cercle Livresque et je remercie les éditions Actes Sud et lecteurs.com pour cette belle découverte que je prolongerai certainement avec la découverte des romans précédents d"Ahmet Altan.

©  Calimero29

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