#Lectrice du mois de février et rédactrice du blog Dis-le en livres, par Rahma, Rahmatou a lu pour nous Le chagrin des vivants de Anna Hope (Gallimard) et rencontré l'auteur avec quelques lectrices passionnées, découvrez sa chronqiue et son retour sur cette rencontre.
A première vue, j’ai d’emblée été saisie par la douceur lumineuse émanant de la jaquette (détail d’une illustration de Malgorzata Maj photographiée par Arcangel Images). Le synopsis annonce la couleur : en novembre 1920, alors que l’Angleterre organise le rapatriement et prépare des funérailles nationales pour la dépouille du soldat inconnu, trois femmes ayant subi plus ou moins de pertes liées à la guerre, poursuivent leur quotidien…
Dès le début du récit, le lecteur est immédiatement frappé par l’atmosphère : palpable à en devenir quasiment une entité propre. Il la vit, sent les odeurs, entend les voix et leurs inflexions, perçoit les changements climatiques : la pluie, le froid, la chaleur … Anna Hope a merveilleusement su restituer l’ambiance du Londres des années d’après-guerre et le lecteur s’y plonge avec délices.
Malgré le thème, les différents tableaux sont présentés sans aucune pesanteur - jamais ternes ni désespérés. Seule une mélancolie douce et sereine s’invite parfois, permettant à l’auteure d’explorer le jeu des contrastes et n’en rendant, par conséquent, le récit que plus vivant.
A travers ces histoires entremêlées, le lecteur découvre que, même dans la plus profonde détresse - émotionnelle, physiologique, sociale, les petits tracas et questionnements « futiles » (du quotidien ou non) ne quittent jamais réellement l’être humain et peuvent, au contraire, l’aider à « supporter la vie ». Est particulièrement touchante l’image d’Ada, dévastée par la disparition de son fils, tentant d’imaginer son visage dépourvu de rides et qui optera, finalement, pour le côté des vivants en retrouvant le chemin de son époux…
Anna Hope capte l’essence même des relations humaines et la transcrit tout en sensibilité et retenue, au travers des actes et paroles des personnages, mais également de leurs regards et de leurs silences. L’on retrouve, dans ce roman, les caractéristiques universelles et intrinsèques de la nature humaine, les comportements que peuvent avoir les hommes entre eux, tant dans l’adversité que dans la solidarité.
Chaque scène est pétrie d’émotions intenses et toutefois baignée de pudeur et de sobriété – notamment le passage dans lequel une mère annonce à son enfant, né après le départ de son défunt père, que ce dernier se trouve dans le convoi acheminant la dépouille du soldat inconnu…
L’auteure a pris le parti de situer l’action dans l’Angleterre d’après-guerre, une fois le danger écarté. La liesse et le soulagement sont donc de rigueur. Les plus lourdes répercussions d’une guerre sont réunies dans cet ouvrage au travers des trois personnages principaux et leurs entourages, à savoir : la perte d’un être cher (fils, fiancé, …), la perte de revenus et ses incidences sur la vie de famille/de couple, l’infirmité, l’invalidité, l’incapacité physique ou mentale, et leurs conséquences. Cependant, le sujet est traité en finesse, sans jamais larmoyer...
L’auteure dote son roman d’un final à l’image du restant du manuscrit : parfaitement crédible, finement nuancé, épuré, ciselé avec une précision de joailler. Sans trop en faire, elle suggère avec pudeur les voies se dessinant devant les trois femmes…
Nimbé d’une espèce d’intemporalité, ce récit offre au lecteur une parenthèse ouatinée dans laquelle la dimension temps cesse d’opérer. Intense et puissante, l’écriture d’Anna Hope suspend littéralement le temps.
Le titre original Wake, pouvant se traduire par « veillée mortuaire » (en ôtant toutefois la connotation lourde de sens qu’y ajoute, en français, l’adjectif « mortuaire ») est particulièrement bien trouvé. La traduction Le chagrin des vivants lui rend totalement justice, restituant fidèlement l’opposition, le tiraillement entre le bonheur d’être vivant, d’une part et la tristesse de la perte, le sentiment de culpabilité d’avoir « survécu », d’autre part…
Un prodigieux premier roman servi par une écriture éblouissante…
Je tiens à saluer la prouesse de la traductrice, Elodie Leplat, qui a su conserver intacts l’éclat et la vivacité de la prose d’Anna Hope, rendre les dialogues terriblement vivants et les personnages si charnels, si incarnés…
Suite à cette lecture et grâce à Lecteurs.com, j’ai pu assister à une rencontre avec Anna Hope dans le magnifique salon rond des éditions Gallimard. Découvrant une auteure éminemment accessible et ouverte, j’ai pu lui poser quelques questions et beaucoup en apprendre sur son processus d’écriture.
A la lecture, je me suis demandé, vu que le roman conte les histoires de plusieurs personnages en parallèle, indépendamment tout d’abord, puis en croisé et entremêlé, si l’auteure avait écrit l’histoire de chaque personnage d’un seul tenant puis découpé et intercalé les différentes scènes des trois différentes histoires pour tisser sa trame, ou bien défini dès le début le plan, la trame du roman.
Anna Hope m’a gentiment expliqué qu’elle ne s’imposait qu’une règle : ne pas alourdir le récit, et qu’elle se fiait tout d’abord à son instinct pour sentir qu’une scène était close et qu’il fallait passer à la suivante, puis qu’elle s’en remettait à ses bêta-lecteurs.
J’ai également souhaité comprendre comment l’auteure était parvenue à décrire de manière si sensitive des atmosphères qu’elle ne pouvait, pour des raisons évidentes de chronologie, avoir connues (telles quelles, du moins).
Anna Hope m’a alors expliqué qu’elle s’intéressait énormément aux cinq sens, que les imaginer et les évoquer l’aidait à rester ancrée…
Nous avons également pu apprendre les motivations ayant poussé l’auteure à situer son récit en 1920 et à le centrer sur ces trois femmes n’ayant pas participé directement à l’effort de guerre.
Anna Hope a, en effet, expliqué à l’assistance que le sujet de la première guerre mondiale était si vaste qu’elle a ressenti le besoin de se donner un cadre pour le traiter et structurer son récit : ce furent les cinq jours nécessaires à l’exhumation de la dépouille du soldat inconnu, à la vérification de l’impossibilité d’identification, à son rapatriement en Angleterre et à la tenue des funérailles nationales.
Anna Hope nous a également appris que, féministe, elle avait souhaité se pencher sur les femmes restées au pays, devant poursuivre leur existence et vivre « la myriade de moments minuscules desquels une vie peut dépendre »…
Pour ces superbes découvertes – une pépite et son auteure, je tiens à remercier chaleureusement Lecteurs.com et les éditions Gallimard.
Vous pouvez retrouver l’intégralité de ma chronique sur Lecteur.com (sous la fiche du livre), ainsi que sur mon blog, dans la rubrique « J’ai lu, j’ai aimé…ou pas ! ».
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