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Qui n'a rêvé, flânant rue de l'Abondance, de voir soudain surgir, ressuscitée, la vie grouillante de l'antique Pompéi : l'animation dans les boutiques (tabernae) de Julia Felix, les gargotes (cenacula), les bars (cauponae), restaurants rapides, tel celui d'Asel-lina et de ses accortes serveuses où l'on consommait chaud aliments et boissons que conservaient ces amphores encastrées dans la maçonnerie, aussi caractéristiques que les passages en relief pour piétons entre lesquels on croit encore entendre le crissement des charrettes recouvrant le constant murmure des fontaines ? La catastrophe de l'automne 79 a préservé, mieux que partout dans le monde gréco-romain, malgré déprédations et accidents de l'histoire, les traces de la vie, les architectures publiques et privées, les oeuvres d'art, les objets du quotidien, jusqu'aux squelettes et aux corps que les moulages de Fiorelli ont reconstitués de façon saisissante.
C'est une telle résurrection qu'opèrent ici Eva Cantarella et Luciana Jacobelli, l'une spécialiste du droit et des institutions romaines, l'autre archéologue ayant longuement collaboré aux fouilles de Pompéi. Travail scientifique : il analyse et met en perspective la réalité vécue du temps, si présente au point de paraître «moderne», en l'arrachant aux aimables légendes que la littérature - Gautier, Jensen, E. Bulwer-Lytton -, le cinéma et la peinture «pompier» ont complaisamment propagées, tout comme à la tentation aiguë de l'anachronisme. Ces graffitis de femmes amoureuses, de soupirants déçus, d'écoliers vindicatifs ; ces programmata en faveur de candidats aux élections, écrits sur les murs par les corporations de foulons ou d'orfèvres ; ces violences à l'amphithéâtre entre supporters des gladiateurs locaux et ceux de Nuceria ; ces meretrices, fornicatrices, noctilucae, ambulatrices sorties tout droit d'un film de Fellini. autant d'invites aux rapprochements avec notre monde contemporain.
C'est pourtant la mise à distance qui est la marque et l'intérêt du travail des auteurs. Pompéi, au contact des Etrusques et des comptoirs de la Grande Grèce, passée au Ve siècle sous le contrôle des Samnites puis, au IIe siècle, de Rome victorieuse de Carthage, offrait une société complexe, aux institutions hybrides - municipe de droit romain, mais colonie pour vétérans de Sylla - au sein d'un environnement privilégié : la Campanie et particulièrement la région du Vésuve, riche en huile et en vin ; l'embouchure du Sarno ouvrant la route au commerce maritime et à toutes les influences venues de Grèce ou d'Orient, afflux d'esclaves urbains ou agricoles, gladiateurs, cultes de Dionysos ou d'Isis, goût du luxe dont témoignent les riches demeures citadines et les mirifiques villas parsemant le golfe de Naples.
En regard des normes rigides de l'austère Rome antique - civilisation de paysans, de juristes et de soldats, donnant, notamment, à la «puissance paternelle» tout pouvoir sur les enfants, même adultes et exerçant de hautes fonctions -, les moeurs de cette société mêlée et florissante marquaient un décalage que les auteurs se plaisent à souligner : cela vaut, en particulier, pour les femmes, soumises en droit, en réalité subtilement émancipées, ni matrones ni messalines.
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