L'archipel du chien, c’est une île mystérieuse, située quelque part dans une mer qui ressemble étrangement à la Méditerranée, à une époque contemporaine non définie,. C’est là que vous entraine le tout dernier roman de Philippe Claudel, paru aux Editions Stock.
L’avis de Catherine :
L’île est vilaine.
Dans cette île de L'archipel du chien qui vit au rythme de coutumes ancestrales de la pêche ou de la vigne, et des caprices du volcan Brau lorsque trois corps d’hommes- noirs de surcroît, s’échouent sur la plage, c’est un véritable tsunami. Aussitôt, un pacte du silence est scellé par le petit groupe qui a fait la découverte macabre, ce catalyseur qui vient ébranler toutes les ambitions personnelles de ce petit microcosme insulaire, qui exacerbe le côté sombre et diabolique de chacun et qui pousse à désigner un bouc-émissaire, l’Etranger du groupe.
Dans l’excellent “Inhumaines” Philippe Claudel faisait une critique acerbe des travers de notre société contemporaine en décrivant au vitriol, en un roman d’anticipation, une société sans régles ni tabous, aux moeurs débridées, sorte de dystopie (ou utopie suivant les affinités de chacun.) A nouveau, il excelle en nous contant une fable tragico-comique qui interpelle chacun d’entre nous sur notre indifférence et notre lâcheté face à la tragédie des migrants.
La description des personnages vaut son pesant d’or, anonymes pour mieux incarner un caractère universel, ils portent le nom de leur fonction le Maire, le Docteur, l’Instit, le Curé , le Commissaire ou de leur caratéristique la Vieille, le Spadon, Fourrure , autant de représentations caricaturales mais truculentes de ce huis clos.
Seule la petite fille Mila (celle qu’on mit là) porte un prénom comme une actrice dans ce drame où elle tient un rôle clef: la scène de son apparition théâtrale pour la confrontation est grandiose.
L’auteur réussit la prouesse d’osciller entre différents genres: on passe d’une pseudo tragédie grecque avec les oracles d’une pythie en début et en fin de roman, à un roman policier avec cadavres, meurtre, enquête d’un Commissaire atypique et cocasse, et multiples rebondissements, tout en déclinant les mots avec la poésie d’un peintre. Il s’agit là d’un véritable exercice de style, où l’auteur maîtrise les mots et les manipule à l’envi éveillant non seulement tous les sens du lecteur mais aussi sa conscience.
L’avis d’Emma :
Trois corps échoués sur une plage interrompent la tranquillité des habitants isolés d’une île, qui ne savent que faire pour éviter le scandale. D’abord fait divers, “erreur”, cette apparition fait basculer l’île oubliée dans les profondeurs de l'affreuse vérité humaine.
Philippe Claudel propose ici une réflexion sur la condition humaine, sur les vices des hommes et de la facilité à laquelle on décide d’ignorer ce qui nous dépasse et dérange le quotidien. Ce roman contemporain, presque pièce de théâtre ou encore conte noir, aborde la crise des migrants tout en exposant l’horreur humaine: le besoin de toujours trouver un bouc-émissaire et de fuir à tout prix responsabilités et morale. Le thème abordé force à la réflexion, et à la remise en question: qu’aurions-nous fait, à leur place ? La droiture de l’Instituteur, mise à mal par des habitants communautaristes bornés, rappelle la situation actuelle des politiques européennes anti-migrants, de l’étouffement de la gravité d’une réalité que l’on cherche à ignorer.
L’ambiance sur l’île est claustrophobique, et Philippe Claudel imagine un huis clos dont l’atmosphère est semblable à celle d’Agatha Christie dans Dix petits nègres : un environnement malsain où les coupables ont des visages ordinaires. Les personnages sont épurés, archétypaux, mais frappants par la brutalité de leurs actes et de leurs décisions. J’ai aimé le procédé d’aliénation de leur identité, les rendant identifiables seulement par leurs fonctions, ou par leurs surnoms, donnant au roman une intemporalité presque mythique, légendaire. L’intrigue est bien tissée, c’est un roman policier et mystérieux, qui nous fait douter de nos propres convictions. La fin est surprenante, et clos la parabole du roman parfaitement : une boucle hors du temps, entre réalité et cauchemar.
Une note un peu plus négative, pourtant, pour conclure. J’ai trouvé ce roman parfois trop moralisateur, et lourd dans son intervention d’une Voix, divine, qui juge et met en garde. Un roman à lire tout de même, pour la fluidité de la narration, et la réflexion qu’il provoque.
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Il est sur ma liste, je l'attends à la bib