Ce qui surprend dans cet ouvrage c'est la forme qu'il prend. Trois parties. Trois monologues. Enfin, plutôt des dialogues dont nous lecteurs n'entendrions qu'un participant. Le premier est de l'étudiant de chinois. Le deuxième d'une commissaire qui a subi divers affronts et règle ses comptes...
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Ce qui surprend dans cet ouvrage c'est la forme qu'il prend. Trois parties. Trois monologues. Enfin, plutôt des dialogues dont nous lecteurs n'entendrions qu'un participant. Le premier est de l'étudiant de chinois. Le deuxième d'une commissaire qui a subi divers affronts et règle ses comptes avec son collègue, celui qui interroge l'étudiant de chinois. Le troisième, c'est à nouveau l'étudiant qui parle. Le style est très haché. Phrases très courtes, beaucoup de questionnements sans forcément les réponses puisqu'on n'entend pas les propos de l'autre interlocuteur. On les devine par les réflexions suivantes des narrateurs. Pour les amateurs, il y a du Céline là-dedans : variations des niveaux de langage, langage très oral, propos tendancieux, racistes, homophobes, phallocrates, tout y passe. Dans toute cette logorrhée -parfois fatigante avant de se faire au rythme qu'elle impose-, l'auteur apporte des réflexions intelligentes, des questionnements universels ; il se permet par exemple de parler de la France et de sa lente (?) dérive vers l'extrême droite : "Mais, si dans le pays des Droits de l'homme on élit comme président le candidat d'extrême droite ? Hein ? Vous avez déjà réfléchi à ça ? (...) Mais j'attends de voir ce qui se passera quand le pays des Droits de l'homme deviendra fasciste ! Et par-dessus le marché en ayant la bombe. Je vous garantis qu'il deviendra alors beaucoup plus chic d'étudier le chinois que le français." (p.43/44)
On peut être noyé dans le flot ininterrompu des intervenants et ce, d'autant plus que la mise en page est dense, sans espace pour respirer, collant ainsi à ce dialogue de fou, rapide, désordonné, sans reprise de souffle. Un livre qu'il n'est pas facile de quitter, à moins de noter précisément la ligne à laquelle on s'est arrêté. Néanmoins, moi qui aime les textes aérés, j'avoue que cette densité sert celui-ci, rajoute de la confusion, de la colère ou de la paranoïa et de la rapidité dans les propos des personnages. C'est décousu, ça part dans tous les sens, mais on comprend tout, même lorsque Bernardo Carvalho balance une information par surprise et que ce ne sont que les phrases suivantes voire les pages suivantes qui l'expliquent.
Il parle de tout : de la France qui lorgne vers l'extrême droite, de la Chine qui domine le monde, de la disparition des langues et de fait de l'appauvrissement du monde : "Il est écrit ici que la diversité est un réservoir d'adaptabilité. Plus il y a de différences, plus nous avons de chances de nous adapter à l'inattendu. Avec davantage de langues, nous avons davantage de possibilité de résister." (p138), du racisme, des noirs, des juifs, des homosexuels, des sectes, de la religion, du trafic de drogue.
Bref, un roman fourre-tout qui paraît fouillis et qui est diablement maîtrisé. Un roman célinien, qui tout en faisant dire aux personnages des énormités plaide en faveur de la différence, de la rencontre d'autrui. Et un auteur brésilien sait de quoi il parle tant les habitants de ce pays sont d'origines diverses.