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Notre progression n'étant pas satisfaisante, les coups de crosses de de Gummis s'abattaient sur nos échines et sur nos reins. Il fallait ajouter au froid la présence encombrante et brutale des Posten qui nous encadraient, pressés de mettre le maximum de distance entre l'armée Rouge et leurs culs sales, mais ça n'avançait pas plus vite pour autant. Fin 2012, Tardi entreprenait avec Moi René Tardi prisonnier de guerre au stalag II B la publication de l'un de ses projets les plus personnels, mûri de longue date : l'adaptation en bande dessinée des carnets de guerre de son père, où celui-ci tenait la chronique minutieuse de ses années de captivité dans un camp de Poméranie en Pologne, presque cinq années durant. Une manière touchante et pudique pour le dessinateur, qui se met lui-même en scène dans ce récit sous les traits d'un enfant, de renouer le dialogue avec ce père ombrageux aujourd'hui disparu, profondément meurtri par cette longue épreuve. Le premier volet de cette histoire s'achevait sur le départ des prisonniers de leur stalag fin janvier 1945, toujours encadrés par leurs geôliers, sous la menace de l'armée rouge soviétique lancée à l'assaut de l'Allemagne nazie alors en pleine débâcle. Le second volume de ce grand récit de guerre reprend là où le premier s'était arrêté, toujours sous le regard attentif de l'alter ego enfantin de Tardi : la longue marche des prisonniers dans un dénuement total et sous des températures extrêmes, la violence des garde-chiourme, la peur que suscitent les troupes russes toutes proches, les expédients pour s'assurer les meilleures chances de survie, les velléités d'évasion et ici et là quelques rares moments de récupération, comme la miraculeuse douche chaude négociée dans les locaux d'une ancienne brasserie... Autant de péripéties authentiques directement inspirées du carnet tenu au fil des jours à la mine de plomb sur « un cahier d'écolier coupé en quatre » par René Tardi, que l'on suit avec ses compagnons d'infortune tout au long de leur marche harassante à travers l'Europe dévastée, en direction de la France et de leurs foyers si longtemps espérés. Un témoignage d'une force exceptionnelle, et toujours le brio sans équivalent de l'un des plus grands auteurs de la bande dessinée contemporaine.
Le retour du Stalag IIB à marché forcée vers la France. Un témoignage à deux voix celle de René et celle de Jacques Tardi qui comble au détour d'une case, le vide de l'histoire des carnets de son père. La suite d'un volet assez méconnu de cette guerre pour rien, perdue sans combattre. Beaucoup de textes dans un format paysage gris entre colère, souffrance, humiliation et vengeance. L'horreur au détour d'un chemin, banale.
J'avais aimé le premier tome, j'ai aimé le deuxième, même si parfois on peut se perdre dans l'évocation des villes et villages traversés. Jacques Tardi s'appuie sur les carnets de son père, se met en scène, petit garçon posant des questions à René, notamment sur les inexactitudes de ses notes, sur les erreurs manifestes ou les oublis. Dessin classique pour Tardi, trois grandes cases par page, peu de gros plans, souvent des plan larges, du noir et blanc -sauf la fin. Une bande dessinée extrêmement pédagogique qui reprend les grands moments de la guerre, l'avancée des Russes et des Américains et des Anglais, qui redit une fois encore -mais qui n'est pas une fois de trop- l'horreur des camps de concentration, la solution finale, tout cette haine et cette folie imaginées par des hommes pour détruire d'autres hommes. Le temps passant, la liste des rescapés s'amenuise, il est bon que des récits, des témoignages gravent dans le marbre ou le papier ce qu'ont enduré les gens vivant à cette époque, les juifs bien sûr mais aussi les tziganes, les homosexuels, les handicapés, les prisonniers de guerre. Travailler sur différents supports, les livres, les films, les bandes dessinées, est une excellente idée qui peut élargir le public touché.
Cette BD est d'un abord aisé, elle est le reflet du discours d'un simple soldat français : elle raconte son quotidien, les marches forcées, le froid : "Ces uniformes, que nous avions sur le dos depuis cinq ans, usés et élimés jusqu'à la corde, sans cesse rapiécés tant bien que mal, nous protégeaient à peine du froid. Je portais sur moi plusieurs couches de hardes, tout ce que j'avais pu trouver au camp pour avoir moins froid. J'avais même coupé des bandes dans la longueur d'une couverture et les avais enroulées autour de mon torse et de mon bide sous ma vareuse, en guise de coupe-vent." (p.9). Froid dont parle Michel Butor également encore adolescents au moment de la guerre : "J'ai l'impression d'avoir toujours eu froid pendant les années de la guerre. Même les étés me semble-t-il étaient froids." (In Improvisations sur Michel Butor).
Tardi sait se faire également pédagogue lorsqu'il parle des Lebensborn : "Des femmes mariées ou des filles-mères certifiées conformes pouvaient y accoucher en grand secret, à condition de refiler le môme à la SS. Les lebensborn étaient aussi des lieux de rencontre où des "Aryennes" pouvaient se faire engrosser par des SS..." (p.23), mais aussi de la fin de la guerre et du partage de l'Europe entre les Alliés.
Une série à lire d'urgence.
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