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« Je l'ai pris et je l'ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l'ai perdu, je l'ai abandonné dans l'étendue du film atlantique. Et puis je lui ai dit de regarder, et puis d'oublier, et puis d'avancer, et puis d'oublier encore davantage, et l'oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. Pendant tout un moment il ne savait pas, il ne savait plus, il ne savait plus marcher, il ne savait plus regarder. Alors je l'ai supplié d'oublier encore et encore davantage, je lui ai dit que c'était possible, qu'il pouvait y arriver. Il y est arrivé. Il a avancé. Il a regardé la mer, le chien perdu, l'oiseau sous le vent, les vitres, les murs. Et puis il est sorti du champ atlantique. La pellicule s'est vidée. Elle est devenue noire. Et puis il a été sept heures du soir le 14 juin 1981. Je me suis dit avoir aimé. » Marguerite Duras
Marguerite Duras utilise une nouvelle fois un écrit qui rappelle une lettre, très courte (comme "la Pute de la côte normande"), ici adressé à Yann Andréa, qui est à la fois son compagnon de vie depuis juin 80 et à la fois l'acteur du film très particulier "l'Homme Atlantique". Le 15/06/1981, après une relation de couple houleuse et violente, on comprend que Yann Andréa claque définitivement la porte (même s'il finalement il revient, l'impression indélébile s'est formée). Duras oscille entre distanciation et douleur insupportable.
Elle le résume ainsi : "Tandis que je ne vous aime plus, je n'aime plus rien, rien, que vous encore" (p.27)
Elle explique aussi ce qu'elle aime finalement chez lui et qui permet de mieux comprendre certains de ses autres livres comme "Yeux bleus, cheveux noirs" = "Reste aussi cette exaltation qui me vient [...]. Je n'ai plus rien à faire qu'à subir cette exaltation à propos de quelqu'un qui était là, quelqu'un qui ne savait pas qu'il vivait et dont moi je savais qu'il vivait, de quelqu'un qui ne savait pas vivre" (p. 29).
Il est étrange de désirer une personne non désirante. Est-ce que cela permet de mieux placer son propre désir, d'avoir plus de place pour son désir à soi ?
Prose poétique de 30 pages éditée en 1982. On n’existe que dans le regard de l’autre (ou pas) (ou plus).
Transcription de la bande-son du film "Agatha ou les lectures illimitées" que Marguerite Duras a réalisé en 1981. On reconnait entre les lignes de cette lettre, sa vie amoureuse tumultueuse avec le jeune Yann Andreas (je t’aime/je ne t’aime plus – Reste/Va-t’en – Tu existes, tu as existé, tu n’existes plus). Présence, oubli, abandon : une souffrance. Duras dirige:
« Vous regarderez l'appareil comme vous regardiez la mer, comme vous regardiez la mer et les vitres et le chien et l'oiseau tragique dans le vent et les sables d'acier face aux vagues. »
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