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En épousant la fille du tout-puissant patron de l'usine de carrelage locale, convoitée depuis la maternelle, Clément a réussi sa vie au-delà de ses espérances : il a sécurisé sa "zone de confort", s'est mis à l'abri du mauvais goût, du besoin matériel et de la médiocrité ambiante. Mais un tragique accident de voiture qui laisse sa jeune épouse dans un état critique menace cet équilibre douillet et met au jour la sombre mécanique des interdépendances. L'avenir se trouble et la géographie familiale vacille. Entre lutte et syndrome de classe, une comédie mordante qui explore le règne de la peur sur l'ultralibérale solitude de nos contemporains.
Comme une détonation sur la vie scrupuleusement rangée du jeune couple modèle que forment Clément et Daphnée, l'accident de voiture qui cloue cette dernière à l'hôpital pour de longues semaines de rééducation intensive est aussi un symptôme. Les certitudes se craquèlent, les garde-fous chancellent, l'horizon se complique. Tandis que Daphnée, gravement secouée, entame le lent réapprentissage de la vie, Clément, assailli de doutes et de culpabilité (il conduisait), tente d'apprivoiser les répliques sismiques que l'événement provoque sur son quotidien, et au coeur de sa belle-famille, son eldorado.
C'est que depuis la maternelle sa vie entière a tendu vers son entrée dans cette nouvelle famille, vers son évasion de sa propre condition, sa propre ploucitude. Son beau-père est le grand petit patron de la ville, qui l'a "pris" avec lui à l'usine, en héritier tacite. Sa belle-mère incarne l'embourgeoisement mesuré, le bon goût garanti qu'il convoite et touche du doigt. Une sécurité haut de gamme, dans un environnement de qualité. Des règles qu'il a appris à dicter, des objectifs qu'il sait désormais piloter, une cage, un asservissement qu'il chérit. Mais voilà qu'il se met à rencontrer les autres, qu'il se découvre touché par des gens qu'il n'aurait pourtant pas envie de devenir, des gens ordinaires aux réactions spontanées, aux sentiments authentiques - imprévisibles.
Il n'est pas le seul à être chamboulé. Si Hervé, le beau-père, résiste de son mieux à la panique qui rôde - il tient la baraque, il croit en la transmission -, Carole, la belle-mère semi-bovaryenne aux immatures et multiplexes errances, réévalue soudain la totalité de son existence au vertigineux miroir de son gendre. Cette histoire est son histoire.
D'une acuité pénétrante, sans compromis et néanmoins non dénué de tendresse, le regard d'Ilan Duran Cohen sur ses personnages agit comme loupe au soleil. Le quotidien est une succession de petits incendies criminels. Le poids de la société consumériste confisque tout idéal alternatif et jusqu'à la notion de destin. La peur de l'avenir fige tous les élans. L'irruption de la liberté menace tous les équilibres. Et face aux tourments de l'âme, du coeur et du cul, on se découvre, horrifié, des réactions de divas de telenovelas, comme dictées par des formats commercialement éprouvés dans des fictions de consommation courante.
C'est sur l'air et le ton de la comédie légère et grinçante, avec souplesse et fluidité, que L'Homme à débattre dit cette mutation contemporaine qui nous dévore et menace de nous engloutir, ainsi que la redoutable persistance des différences (des différends) de classes sur les échanges en milieu tempéré.
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