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C'est un immeuble au coeur d'une capitale, le genre d'endroit que l'on ne choisit pas d'habiter : on y naît ou on y échoue. Une famille vit là, autour, ou plutôt à côté, de la mère veuve. L'aînée, Sarah, est revenue au bercail avec sa fille et son mari car ce dernier a perdu la raison ; elle passe ses journées enfermée, à peindre comme on s'invente un ailleurs. Son frère et sa soeur, Adel et Yasmine, étaient proches naguère, mais désormais adultes ils ont changé et ne se parlent plus, ils se devinent. Adel porte un secret qui l'étouffe et le réveille au milieu de la nuit. Yasmine est si belle, libre et lucide qu'elle en paraît étrange, elle-même se sent étrangère à la réalité qui l'entoure. La réalité, c'est l'Algérie, un pays qu'on quitte plus facilement qu'on l'aime tant l'avenir y paraît bouché, l'espoir confisqué. Dans ce quartier d'Alger on s'observe, on s'épie, on commente. Avec ironie, avec concupiscence, avec cruauté, rarement avec bienveillance. Tour à tour les membres de la famille, mais aussi les voisins, les vieux d'à côté ou les jeunes du bas de l'immeuble, prennent la parole pour évoquer un quotidien fait de promiscuité, de désoeuvrement, de mal-être, de révolte.Sensible, sombre et violent, le premier roman de Kaouther Adimi ausculte une société contemporaine dans ses souffrances et ses espérances. Certes, il s'agit d'Alger, et on peut voir dans ce livre la radioscopie d'une ville marâtre qui abandonne ses enfants à l'incertitude et au découragement. Mais au-delà de son inscription géographique, par sa profondeur polyphonique, L'Envers des autres tend un miroir à multiples facettes à l'humaine condition et à sa solitude fondamentale : le sentiment d'absence à soi-même est l'unique dénominateur commun d'individus qui se côtoient sans se rencontrer, qui trichent pour se supporter. Et l'empathie semble un conte inventé pour les enfants, pour ne pas briser prématurément leur innocence pleine de rêves légers comme des ballerines de toile.
C'est le portrait d'une Alger très noire que brosse ici Kaouther Adimi à travers les voix des protagonistes de ce roman choral. L'envers des autres comme l'envers d'un décor où « l'enfer, c'est les autres ». Ces autres qui sans cesse jugent cette famille qui semble concentrer sur elle la malédiction : Adel et Yasmine, deux enfants à « la beauté incroyable », étrangement complices mais qui aujourd'hui ne savent plus se parler avec les mots, Sarah leur sœur aînée revenue vivre sous le toit familial avec son mari qui perd la boule. Autour d'eux, des voisins qui tous semblent se méfier d'eux, de leur « bizarrerie », de leur esprit libre aussi. Yasmine pourrait se faire damner n'importe quel homme et les effraie, Adel est celui qu'on semble à peine tolérer : trop fin, trop beau, trop ambigu pour cette société patriarcale qui a du mal à complètement mettre le pied dans le XXIe siècle. Et là, au cœur d'Alger la Blanche, chacun se dévoile à travers des monologues intérieurs tourmentés, rêveurs ou rageurs. Mais qui finalement de ce voisin d'âge mûr qui va, contre un maigre billet, voler quelques baisers et quelques photographies aux étudiantes, de ce mère acariâtre fustigeant ses enfants, capable même de douter de sa propre maternité, de cette jeune femme condamnée à peindre les murs de sa chambre en signe de liberté ou de ce mari au soliloque décousu est finalement le plus fou, le plus étrange, le plus bizarre ?
Premier roman de Kaouther Adimi, (autrice notamment du beau et très remarqué Nos Richesses en 2017), L'envers des autres porte en lui une forme de désespoir, celui des destins déjà tracés, inéluctablement liés à la naissance, la géographie. Chacun des personnages se rêve autre mais un autre inaccessible, jamais un être en devenir, ou si peu ou seulement dans la naïveté innocente de l'enfance. Chacun sait, sent que la société, ses dogmes religieux et archétypaux l'a déjà englouti et n'a plus qu'un choix : celui d'y répondre pour survivre. Âpre et tragique, L'envers des autres révèle déjà la plume de chroniqueuse de son pays qu'est aujourd'hui Kaouther Adimi. Heureusement, les romans qui suivront se révèleront un peu plus lumineux (en tout cas moins dénués d'espoir) que celui-ci dont on sort le cœur serré et un peu abasourdi.
J'avais envie de le lire, alors je l'ai emprunté à la médiathèque. Un bijou caché dans les rayonnages, oublié des bibliothécaires et bien sur des lecteurs. Les autres critiques expliquent bien l'atmosphère de ce roman, l'Algérie d'aujourd'hui, la vie si difficile de tous ces gens, de ces femmes jeunes qui ont tant de difficultés à être libres. De très beaux portraits des personnages, j'aurai aimé les accompagner encore et encore...Un premier livre merveilleux, ne passez pas à côté et je vais insister pour que les bibliothécaires le mette en évidence et le conseille aux lecteurs. Pour mon prochain club de lecture il sera au-dessus de la pile
Vous dites Alger la blanche ? Yasmine n’en voit plus « la blancheur, la beauté ou la joie de vivre, mais uniquement les trous qui me font bondir de ma place, les pigeons qui lâchent leur fiente sur ma tête et les jeunes désœuvrés qui essaient de me tripoter au passage ». Yasmine si belle qui méprise les autres pour survivre, qui a peur et peu de foi en l’avenir : Le silence est trop pesant, il nous angoisse, nous donne l’impression qu’un drame est en train de se préparer. Les cris sont comme un protège-cahier : tant que quelqu’un crie, on est presque certain de ne pas avoir de problème »
« Elle l’aime plus que tout : il est son chat, sa vie, son trésor, son ange, son petite garçon, sa raison d’exister, son miracle, son bébé. Elle est sa puce, sa femme, sa chérie, sa poule. Ils finissent par rompre. Il a dit qu’elle était grosse. Elle a dit qu’il embrassait mal, il devient un salaud, un connard, un enfoiré, un tortionnaire. Elle est une garce, une conne, une poufiasse, une gamine »
Adel pleure dans son lit en position fœtale sans trouver le sommeil « J’ai envie de vomir. Pas seulement de la nourriture ou de la bile, mais de vomir tout ce que contient mon corps. De me vomir » Quel désespoir dans la bouche d’un jeune homme. Il est ce qu’il ne devrait pas être dans ce pays.
Sarah la sœur aînée revenue dans le cocon familial avec son mari devenu fou.
La mère qui ne comprend plus rien qui est dépassée depuis que son mari a été fauché par une balle perdue.
Alors Mouna arrive avec ses ballerines de Papicha qui aime Kamel, le marchand de frites qu’elle veut épouser quand elle sera plus grande, car elle n’a que 9 ans et que c’est dur de vivre entre un papa devenu fou, une maman qui n’est guère plus claire avec ses pinceaux et sa peinture. Bien sûr, les filles de sa classe se moque d’elle, mais elle s’en fout : elle aime Kamel et c’est sa raison d’être. Il n’est pas certain que ce ne soit pas la plus désespérée.
Et puis, il y a les autres Kamel, Adel… fumeurs de joints, buveurs de bières, emplis de désespoir, rêvant de fuite vers l’étranger pour une vie soi-disant meilleure.
Cela me fait un peu penser à la chanson de Brel : Ces gens là.
Ces dix portraits écrits à la première personne du singulier nous offrent une image de colère, de violence, de tristesse et de désespoir. Chacun raconte sa souffrance sans regarder ni anticiper la souffrance de l’autre. Ils sont dans une bulle sans oser la faire éclater de peur d’en crever.
Un petit livre par la taille, mais si profond par son contenu. Kaouther Adimi d’une écriture sèche et nerveuse brosse un portrait désespéré de la jeunesse algérienne sans espoir ni rêve. La fuite en avant dans l’alcool, la drogue, la folie….. n’est que la seule solution trouvée.
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