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Texte célèbre datant de 1949, publié d'abord dans la revue Empédocle, La littérature à l'estomac demeure plus que jamais, cinquante ans après sa sortie, d'actualité.
Ce qui énervait Julien Gracq dans le milieu littéraire, tant celui des critiques que de certains écrivains, n'a fait que prendre, depuis, une plus grande ampleur car ce qui fait aujourd'hui d'abord un livre, c'est le bruit : pas celui d'une rumeur essentielle qui sourdrait de l'oeuvre elle-même mais celui des messages accompagnant sa sortie. L'inextinguible besoin de "nouveau" et la vitesse se sont ligués contre lui.
Ce texte figure en édition séparée et dans le recueil Préférences.
La première chose dont la critique s'informe à propos d'un écrivain, ce sont ses sources. Hélas ! (mais cette vérité navrante, il ne faut la glisser qu'à l'oreille), voici qui lui complique la vie: l'écrivain n'est pas sérieux. Le coq-à-l'âne, en matière d'inspiration, est la moindre de ses incartades. J'en donnerai un exemple personnel. Quand je fis jouer une pièce, il y a une quinzaine d'années, la suffisance des aristarques de service dans l'éreintement (je ne me pique pas d'impartialité) me donna quelque peu sur les nerfs, mais, comme il eût été ridicule de m'en prendre à mes juges, une envie de volée de bois vert me resta dans les poignets. Quelques semaines après, je me saisis un beau jour de ma plume, et il en coula tout d'un trait La Littérature à l'estomac. MM. Jean-Jacques Gautier et Robert Kemp, - faisant de moi très involontairement leur obligé - m'avaient fourni le punch qui me manquait pour tomber à bras raccourcis sur les prix littéraires et la foire de Saint-Germain, qui n'en pouvaient mais - cas classique du passant ahuri, longeant une bagarre, qui se retrouve à la pharmacie pour crime de proximité.
Julien Gracq, Lettrines, p. 33 et suivante.
[...] le Français, lui, se classe au contraire par la manière qu'il a de parler littérature, et c'est un sujet sur lequel il ne supporte pas d'être pris de court : certains noms jetés dans la conversation sont censés appeler automatiquement une réaction de sa part, comme si on l'entreprenait sur sa santé ou ses affaires personnelles - il le sent vivement - ils sont de ces sujets sur lesquels il ne peut se faire qu'il n'ait pas son mot à dire. Ainsi se trouve-t-il que la littérature en France s'écrit et se critique sur un fond sonore qui n'est qu'à elle, et qui n'en est sans doute pas entièrement séparable : une rumeur de foule survoltée et instable, et quelque chose comme le murmure enfiévré d'une perpétuelle Bourse aux valeurs. Et en effet - peu importe son volume exact et son nombre - ce public en continuel frottement (il y a toujours eu à Paris des " salons " ou des " quartiers littéraires ") comme un public de Bourse a la particularité bizarre d'être à peu près constamment en " état de foule "): même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l'eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses[...].
Julien Gracq, extrait de La littérature à l'estomac.
Dans ce pamphlet écrit en 1949 et publié l'année suivante, Julien Gracq est particulièrement féroce avec le milieu littéraire parisien, les écrivains, les éditeurs et les critiques. L'écrivain à peine "reconnu" va "donner le spectacle pénible d'une rosse efflanquée essayant de soulever lugubrement sa croupe au milieu d'une pétarade théâtrale de fouets de cirque -rien à faire ; un tour de piste suffit, il sent l'écurie comme pas un, il court maintenant à sa mangeoire ; il n'est plus bon qu'à radioter, à fourrer dans un jury littéraire où à son tour il couvera l'an prochain quelque nouveau "poulain" aux jambes molles et aux dents longues." (p.18) Il est aussi impitoyable avec les écrivains établis qui se comportent comme des "fonctionnaires" de l'écriture, produisant chaque année leur livre sans vraiment changer la formule qui les a fait connaître, sans prendre de risques que l'on finira sans doute par lire tant leurs noms sont martelés : "On y cède à la fin ; il y a des places enviables en littérature qui se distribuent comme ces portefeuilles ministériels échoués aux mains de candidats que rien ne désigne, sinon le fait qu'"ils sont toujours là" [...] De même que l'éditeur sait qu'après un premier livre, inévitablement -bon an, mal an- il en viendra un autre, lui [l'écrivain une fois édité] considère paisiblement qu'il a passé un contrat à vie avec le public..." (p.35/36/37)
Gracq n'égratigne pas uniquement l'écrivain, il n'est pas tendre avec la critique ni avec le public qui, en France, où il y a toujours eu des salons, parle beaucoup de littérature, s'écoute parfois parler, pérorer en société autour du dernier écrivain à la mode adoubé par le monde de la littérature. Il y est souvent plus question de parader que de parler de ses goûts, des sensations ressenties à la lecture de tel ou tel ouvrage, c'est cela que Gracq nomme "La littérature à l'estomac". Écrit en 1950, ce pamphlet peut faire un peu daté, et pourtant, il est intéressant de le lire maintenant et de tenter d'y voir en quoi il est toujours d'actualité. Il fut l'objet de pas mal de commentaires acerbes du monde littéraire, jugeant Gracq élitiste -ce qu'il est effectivement, tant dans ses goûts pas toujours les plus aisés à aborder : Lautréamont, Barbey d'Aurevilly, Robert Margerit, Ernst Jünger, mais aussi Edgar Allan Poe ou Rimbaud... que dans son écriture, pas toujours simple.
Publié chez José Corti, comme tous les livres de Gracq, il m'a fallu -quel plaisir !- couper les pages, comme je l'avais fait pour mon premier Gracq, Au château d'Argol et pour le sublime Le rivage des Syrtes pour lequel il reçut le Prix Goncourt en 1951 qu'il refusa, fidèle à ce qu'il écrivit dans ce pamphlet. Lorsqu'on voit la foire d'empoigne qu'est devenue ce prix et la course à tous les autres prix, peut-on lui donner tort ?
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