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Léo, jeune rêveur parisien caressant l'espoir de devenir écrivain, bosse dans un lavomatique en attendant de trouver l'inspiration pour son grand oeuvre. Un jour, le destin vient lui donner un coup de pouce sous la forme de son riche cousin, qui lui propose de garder sa maison de vacances : effaré mais content, le timide Léo se retrouve voisin de riches plaisanciers aux voitures de collections et villas d'architectes où le champagne coule à flot.
Dans cette atmosphère aussi légère que surréaliste, cependant, quelque chose cloche. Des corps de jeunes gens sont retrouvés l'un après l'autre aux alentours et une étrange tension monte... Bientôt, il devient clair qu'un assassin pervers sévit tout près. C'est dans ce cadre étrange que Léo rencontre sa voisine, adolescente capricieuse et sauvage : la belle Rose..
De magnifiques illustrations et un beau découpage pour cette histoire cruelle sous le soleil de l'été. Les personnages évoluent dans un décor somptueux mais quelque chose est pourri dans ce royaume, même le petit chat est mort. Entre la fêtes sur la plage et les disparitions inquiétantes de jeunes gens, Léo apprenti écrivain aura grandi et son roman d'apprentissage sera sans doute remis à plus tard.
Déjà... Tout est magnifique.. L'objet livre comme souvent chez @editionssarbacane, les paysages, les personnages, les couleurs... L'ambiance est lourde, la chaleur et la tension sont palpables... Et nous voilà immergé dans un bon vieux polar Hitchcockien... C'est mon coup de cœur BD de l'année... Peut-être aussi parce que ces paysages, ces lieux me rappellent mes lieux de villégiature au bord de l'estuaire de la Gironde...
« Si demain tu cueilles une rose/Dont le cœur est déjà fané/ Dis-toi bien que cette rose/ Est la dernière de l'été » chantait <a href="/auteur/Nana-Mouskouri/24030" class="libelle">Nana Mouskouri</a> dans une ritournelle à la fin des années 1960. « <a href="/livres/Harari-La-derniere-rose-de-lete/1246590" class="titre1">La dernière rose de l'été</a> », c'est aussi le titre qu'a choisi <a href="/auteur/Lucas-Harari/444558" class="libelle">Lucas Harari</a> pour son deuxième album, trois ans après le magnétique « Aimant » paru en 2017, aux éditions Sarbacane. Alors que l'opus précédent jouait de trois couleurs seulement (bleu et rouge assourdis de noir) et se déroulait dans les Alpes suisses en hiver, celui-ci utilise une palette de couleurs plus vives les unes que les autres … pour décrire une bluette estivale dans un cadre idyllique et solaire ? Pas si simple, comme toujours avec cet auteur !
Leo, qui aspire à devenir romancier, travaille en attendant d'être riche et célèbre dans un Lavomatic du côté de la Goutte d'Or. Un soir, juste avant la fermeture, débarque son cousin Sylvain venu subrepticement dans ce quartier populaire à bord de sa voiture de sport pour nettoyer les draps du lit conjugal et effacer toute trace d'adultère. Quelques jours plus tard, ce dernier propose à Léo de se rendre sur la côte pour surveiller les travaux de sa maison de vacances. Devant cette aubaine, tous frais payés, Léo accepte. Il pourra peut-être enfin trouver l'inspiration. Il découvre un monde très éloigné du sien de riches plaisanciers aux voitures luxueuses et semble fasciné par la vie des habitants de la somptueuse villa d'architecte d'à côté …
Une romance entre Rohmer et <a href="/auteur/Francoise-Sagan/5596" class="libelle">Sagan</a>
Juste avant de quitter Paris, Léo achète chez un bouquiniste des quais de Seine , le « <a href="/auteur/Martin-Eden/49175" class="libelle">Martin Eden</a> » de <a href="/auteur/Jack-London/5735" class="libelle">Jack London</a>. L'histoire d'un homme qui vit de petits boulots ( et travaille dans une laverie par exemple, tiens donc … ) et qui par amour pour une fille de la haute société va se cultiver comme un forcené et devenir écrivain. D'ailleurs suite à une boutade, le voilà rebaptisé Martin par sa jolie voisine. Par ce jeu de miroirs et également grâce à la confidence du protagoniste qui avoue qu'il a pour modèle d'écrivain le <a href="/auteur/John-Fante/2847" class="libelle">John Fante</a> des « Quatuor <a href="/livres/Fante-Bandini/3827" class="titre1">Bandini</a> » dans lesquels le héros immigré italien de deuxième génération prend sa revanche sur les WASP qui le méprisent et tente de séduire leurs filles grâce à l'écriture, on comprend que si Léo est attiré par Rose, ce n'est sans doute pas que pour sa spontanéité, sa fougue et sa jeunesse. C'est probablement aussi par son appartenance à une société inaccessible et désirée.
On va ainsi assister dans les premières pages à la romance d'un anti-héros velléitaire (il se rêve écrivain mais on le voit toujours distrait dans ses tentatives d'écriture) quasi trentenaire et d'une adolescente un peu comme dans « Conte d'été » ou « Pauline à la plage » de Rohmer. Cependant, la jeune fille paraît d'emblée désabusée et bien moins naïve que Léo lorsqu'elle lance sa diatribe contre le mariage et les histoires d'amour. On se rapproche ainsi de <a href="/auteur/Francoise-Sagan/5596" class="libelle">Sagan</a> et de « <a href="/livres/Sagan-Bonjour-tristesse/6044" class="titre1">Bonjour tristesse</a> » surtout dans la description des fêtes alcoolisées de la jeunesse dorée et dans la relation ambigüe liant Rose et son père.
L'histoire se déroule dans un lieu imaginaire fondé sur un syncrétisme : ça pourrait être une île de l'Atlantique puisque le héros prend le ferry ou bien la côte de beauté avec le bac qui relie Royan au Verdon : on reconnaît d'ailleurs la gare routière de Royan dans une case, il y a des cabanons de pêche au carrelet , on retrouve aussi le phare de Vallières ou le Tina's café sur la plage de Meschers et ses falaises… Mais il s'agit finalement d'un bord de mer hyperbolique qui tient à la fois de l'Atlantique et de la Méditerranée. Chacun peut s'y projeter et s'y reconnaître et le lecteur se laisse ainsi glisser dans une ambiance.
L'auteur présente régulièrement des dessins pleine planche et même parfois en double planche comme celle des pages 82-83, par exemple, qui présente un paysage côtier semblable à une estampe d'Hiroshige. Ces tableaux dans le récit, outre l'aspect « carte postale » qu'ils procurent, aèrent la narration. le temps s'étire. Comme pour « <a href="/livres/Harari-Laimant/978975" class="titre1">l'Aimant</a> », le dessinateur joue sur les séparations entre les cases ( l'espace inter iconique) pour créer une impression sur le lecteur : les espaces blancs des pages du début de l'album, délitent le temps et l'allonge artificiellement. On a même une grande case blanche au centre d'une double page (p74-75) qui matérialise le vide et suscite l'impression concrète du farniente, de ce temps de(s) vacance(s) où tout flotte.
Les pleines pages colorées qui ponctuent l'album permettent, quant à alles, de découper l'œuvre en autant de chapitres et rappellent la palette chromatique « pop » employée. Elles font penser également aux différentes « couches » de couleur utilisées en risographie et sérigraphie et donnent un côté très artisanal à l'album. Harari est diplômé de l'ENSAD en section « images imprimées » et il maîtrise ces techniques à la perfection. On voit des trames apparentes et du grain sur les pages ce qui confère une dimension expérimentale, sensuelle, esthétique et rétro à l'ouvrage.
Un feuilleté de significations
A ces différentes couches de couleurs matérialisées par les pleines pages monochromes viennent s'ajouter le feuilleté des références. <a href="/auteur/Lucas-Harari/444558" class="libelle">Lucas Harari</a> est un grand cinéphile (ses deux grands frères travaillent dans le cinéma l'un comme réalisateur, l'autre comme chef opérateur) , un féru d'architecture comme nous l'avait déjà montré « <a href="/livres/Harari-Laimant/978975" class="titre1">l'Aimant</a> » ( ses deux parents sont d'ailleurs architectes et il a brièvement songé à leur emboîter le pas) et amateur de bd de la ligne claire. Mais il ne se sert pas de cette érudition de façon gratuite. Chaque référence est signifiante et fournit une clé de lecture.
Ainsi, son personnage masculin : il ressemble à un Tintin par son regard stylisé et son visage rond mâtiné de Nestor Burma quand il est de profil et de Lucky Luke pour sa mèche rebelle. Il est ainsi d'emblée présenté comme sympathique et entraine l'adhésion du lecteur. Ce dernier peut même s'identifier à lui. En effet, de nombreuses planches sont vues à travers son regard. Ainsi, on passe souvent d'un champ à un contrechamp d'une case à l'autre. On observe le personnage regarder et ensuite on voit ce qu'il regarde « en caméra subjective ». Dans une construction à la XXX sur la même page on part d'un plan large en haut de la page pour faire comprendre que Léo regarde la villa de Rose puis on ressert sur ce qui est en train de s'y passer : la dispute entre Rose et son père comme dans un théâtre d'ombres chinoises. C'est un procédé très cinématographique puisqu'il s'agit à la fois d'un plan séquence, d'un travelling et d'un zoom. le lecteur se retrouve dans la peau du héros , voyeur involontaire et se laisse guider par l'interprétation de ce dernier qui hésite à venir au secours de la jeune fille. On pense bien évidemment à <a href="/auteur/James-Stewart/499823" class="libelle">James Stewart</a> dans « Fenêtre sur cour » d'<a href="/auteur/Alfred-Hitchcock/8069" class="libelle">Hitchcock</a>.
De même, comme dans « <a href="/livres/Harari-Laimant/978975" class="titre1">l'Aimant</a> », le décor est un personnage à part entière et oriente également la lecture. Si l'on peut en effet reconnaître dans la maison de Georges Plyret la villa sur la cascade de Frank lloyd Wright, un architecte qu'affectionne Harari, il ne faudrait pas y voir qu'un simple hommage. Cette villa a aussi inspiré une histoire de « Tif et Tondu » de Will et Rosy , « la villa du Long Cri » où elle devenait le repère de Mister Choc et bien sûr la maison de van Damm dans « la Mort aux trousses » d'<a href="/auteur/Alfred-Hitchcock/8069" class="libelle">Hitchcock</a>. Ainsi d'emblée, la maison désigne-t-elle celui qui doit être le méchant aux yeux de Léo et du lecteur. Des archétypes se mettent en place dans lesquels le héros est conditionné par ses lectures et sa culture.
La bascule du récit
Mais n'en devient-il pas par là même aveuglé, optant pour une lecture manichéenne du monde et se fiant un peu trop aux apparences ? Seuls deux personnages portent des lunettes de soleil dans l'album : Léo et Rose. Cela pourrait matérialiser la cécité de l'un et la dissimulation de l'autre. Une certaine ambiguïté se crée.
Celle-ci est accentuée par une voix dissonante : celle de la bande-son. Les chansons teintent le récit et servent de guide en en fournissant des clés métaphoriques. Ainsi, « <a href="/livres/Harari-La-derniere-rose-de-lete/1246590" class="titre1">La dernière rose de l'été</a> » ce n'est pas que la chansonnette de <a href="/auteur/Nana-Mouskouri/24030" class="libelle">Nana Mouskouri</a>, c'est surtout le célèbre poème de l'irlandais <a href="/auteur/Thomas-Moore/71068" class="libelle">Thomas Moore</a> chanté par <a href="/auteur/Nina-Simone/373154" class="libelle">Nina Simone</a> que va reprendre Rose et qui va littéralement envoûter le héros. Il confère une autre signification au récit : au lieu d'inviter à l'épicurisme, il rappelle l'omniprésence de la mort et la finitude de l'amour… D'autres chansons en apparence anodines servent également de révélateurs (au sens photographique) : le « <a href="/livres/Burns-Toxic/216549" class="titre1">Toxic</a> » de <a href="/auteur/Britney-Spears/27116" class="libelle">Britney Spears</a> n'est pas qu'une musique pour boum adolescente mais souligne que l'amour peut être mortifère tout comme « <a href="/auteur/Bang-Bang/464608" class="libelle">Bang Bang</a> » tandis que « Time of the Season » des Zombies représente la montée du désir mais y oppose une figure paternelle … Ainsi la playlist, loin d'asseoir le réalisme, se mue en indice. Petit à petit les certitudes mises en place se déconstruisent pour le lecteur : Rose n'est finalement pas si ingénue que cela ; le parâtre est-il son beau-père comme elle le prétend ou son père comme elle le laisse involontairement échapper ? Quant au méchant qui a le physique de l'emploi (et qui constitue un hommage au grand-père acteur Clément Harari célèbre second rôle du cinéma) l'est-il vraiment ?
Ainsi, le récit bascule dans le récit d'aventures petit à petit et se nimbe de fantastique. Alors qu'il en semblait si éloigné chromatiquement, il rejoint l'album précédent. Des images presque subliminales surgissent et prennent de cours à la fois Léo et le lecteur. On éprouve une « inquiétante étrangeté » et des petits détails deviennent inquiétants : les deux adolescents disparus étaient de grands bruns, le jeu du loup garou semble plus qu'un simple jeu de rôle, la légende apparaît comme dans « <a href="/livres/Harari-Laimant/978975" class="titre1">l'Aimant</a> » par le biais des poupées Kachinkas.
On assiste alors à un changement de rythme et à la mise en place d'une atmosphère pesante. Harari supprime la gouttière entre les cases : des nœuds graphiques et des effets labyrinthiques se créent,. L'œil hésite et se perd. Cela suscite l'angoisse. Les noirs s'accentuent aussi. On retrouve un encrage fort à la <a href="/auteur/Charles-Burns/2230" class="libelle">Charles Burns</a>, les scènes nocturnes se multiplient… le récit devient hypnotique…
Certains ont critiqué le dénouement de l'album qu'ils trouvent frustrant voire décevant. Il me semble au contraire qu'il clôt parfaitement ce récit d'initiation et d'accès à l'âge adulte d'un adulescent qui apprend à se déprendre de ses influences romanesques … On dit souvent qu'un auteur naît non pas avec son premier livre mais avec son deuxième. Et c'est bien le cas ici ! Il y a décidément une patte Harari. Il joue des codes graphiques de la narration comme de ses nombreuses références culturelles. Son récit est à la fois plurivoque, fascinant, expérimental et d'une incroyable maturité. Une fois encore, il faut souligner le superbe travail éditorial de Sarbacane qui sert le propos en nous proposant un superbe livre-objet : impression grand format sur papier épais et jolie couverture avec dos toilé de couleur rose comme il se doit ! Un immense coup de cœur…
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